A noter que Lefebvre dit dans ce vieux livre toujours édité que le courant libéral est affaibli, discrédité (ou un truc du genre) : je pense que la donne a changé depuis.
Je copie-colle le passage qui m'avait interpellé (j'ai accès à tous les QSJ par mon compte d'étudiant) :
Quelles sont les grandes conceptions du monde qui se proposent aujourd’hui ? Il y en a trois, et trois seulement.
La conception chrétienne, formulée avec la plus grande netteté et la plus grande rigueur par les grands théologiens catholiques. Réduite à l’essentiel, elle se définit par l’affirmation d’une hiérarchie statique des êtres, des actes, des « valeurs », des « formes », des personnes. Au sommet de la hiérarchie se trouve l’Être Suprême, le pur Esprit, le Seigneur-Dieu. Cette doctrine, qui cherche effectivement à donner une vue d’ensemble de l’univers, fut formulée avec la plus grande ampleur et la plus grande rigueur au Moyen Âge. Les siècles ultérieurs ont ajouté peu de chose à l’œuvre d’un saint Thomas. Pour des raisons historiques qui relèvent d’une étude particulière, cette théorie de la hiérarchie convenait particulièrement au Moyen Âge (non que la hiérarchie statique des personnes ait depuis lors disparu, mais parce qu’elle était alors plus visible, plus officielle que par la suite). C’est donc la conception médiévale du monde qui se propose encore de nos jours comme valable.
Vient ensuite la conception individualiste du monde. Elle apparaît dès la fin du Moyen Âge, au XVIe siècle, avec Montaigne ; pendant près de quatre siècles, de nombreux « penseurs », jusqu’à nos jours, ont formulé ou réaffirmé avec de nombreuses nuances cette conception. Ils n’ont rien ajouté à ses traits fondamentaux ; l’individu (et non plus la hiérarchie) semble la réalité essentielle ; il posséderait en lui, dans son for intérieur, la raison ; entre ces deux aspects de l’être humain – l’individuel et l’universel, c’est-à-dire la raison – il y aurait une unité, une harmonie spontanée ; de même entre l’intérêt individuel et l’intérêt général (celui de tous les individus), entre les droits et les devoirs, entre la nature et l’homme. À la théorie pessimiste de la hiérarchie (immuable dans son fondement et trouvant sa justification dans un « au-delà » purement spirituel), l’individualisme tenta de substituer une théorie optimiste et l’harmonie naturelle des hommes et des fonctions humaines. Historiquement, cette conception du monde correspond au libéralisme, à la croissance du tiers état, à la bourgeoisie de la belle époque. C’est donc essentiellement la conception bourgeoise du monde (bien que la bourgeoisie en déclin l’abandonne aujourd’hui, et revienne vers une conception pessimiste et autoritaire, donc hiérarchique du monde).
Enfin vient la conception marxiste du monde. Le marxisme refuse de poser une hiérarchie extérieure aux individus (métaphysique) ; mais d’autre part, il ne se laisse pas enfermer, comme l’individualisme, dans la conscience de l’individu et dans l’examen de cette conscience isolée. Il prend conscience de réalités qui échappaient à l’examen de conscience individualiste : ce sont des réalités naturelles (la nature, le monde extérieur) – pratiques (le travail, l’action) –, sociales et historiques (la structure économique de la société, les classes sociales, etc.).
[...]
Trois conceptions du monde et trois seulement avons-nous dit plus haut. Cela signifie que certaines théories, qui se proposent aujourd’hui comme des conceptions du monde, n’ont aucun droit à ce titre. Par exemple, l’existentialisme, aujourd’hui à la mode, place au centre de ses préoccupations la conscience et la liberté de l’individu, prises comme un absolu. L’existentialisme, sous cet angle, n’est qu’un « ersatz » tardif et dégénéré de l’individualisme classique. On sait qu’il en répudie l’optimisme facile ; on sait aussi qu’à l’occasion, pour se « moderniser » et passer en contrebande des thèmes déjà vieillis, il se donne une teinture de marxisme. Cela ne change en rien l’essentiel, à savoir, l’effort pour tirer une prétendue vérité absolue d’une description de « l’existence » et de la conscience individuelles.
Trois conceptions du monde et trois seulement. Cela signifie que le fascisme et l’hitlérisme, malgré leurs prétentions ridicules, n’ont pu présenter une « conception du monde ». Ils ont voulu donner l’illusion d’une rénovation spirituelle. Sur commande, les idéologues du fascisme italien ont tenté d’écrire une « encyclopédie fasciste ». Sur commande, les idéologues de l’hitlérisme, comme Rosenberg, ont tenté une « interprétation » de l’histoire. Si l’on examine d’un peu près ces mystifications, on n’y trouve qu’un amas de débris idéologiques. Ainsi, les idéologues hitlériens ont emprunté au plus vieux judaïsme « l’idée » du peuple élu et de la race, qu’ils ont « perfectionnée » au nom de considérations biologiques contestables. Ils ont emprunté aux marxistes la notion du « prolétariat », mais en la déformant frauduleusement et en présentant de prétendues « nations prolétaires » (Allemagne, Italie, Japon), destinées à vaincre les démocraties capitalistes. Et ainsi de suite. Un fatras de notions empruntées et démarquées, une accumulation de thèmes démagogiques sans lien rationnel (au contraire, en répudiant la raison), voilà ce que fut la prétendue « conception du monde » fasciste.
(Le Marxisme, Henri Lefebvre, aux éditions PUF)
Autre passage de la même page, qui est je pense moins applicable à la France actuelle car le libéralisme est revenu en force depuis :
Il est évident que l’individualisme se meurt, même s’il laisse dans la sensibilité des survivances profondes. L’histoire de l’individualisme montrerait comment les grands représentants de cette doctrine ont reculé, ont cédé du terrain, ont dû constater à leur grand regret la nature antagonistique, contradictoire, des rapports naturels et humains. L’œuvre de Nietzsche est significative sur ce point capital.
Plus encore : l’individualisme a littéralement « éclaté » de par ses propres contradictions intérieures. L’unité harmonieuse que ses grands représentants classiques (Descartes, Leibniz par exemple, puis Rousseau) avaient cru découvrir entre la pensée individuelle et la pensée absolue, entre la conscience individuelle et la vérité, entre l’individuel et l’universel s’est révélée fausse. L’individuel s’est dissocié de l’universel pour s’opposer à lui, dans l’anarchisme sous toutes ses formes, littéraires, sentimentales, politiques. Réciproquement, l’universel n’a pu se maintenir dans cette tradition de pensée, qu’en écrasant l’individuel, sous la forme d’« impératifs catégoriques » (Kant), d’État pris comme une incarnation de la raison (les hégéliens de droite), etc.
On sait d’ailleurs que tout le côté économique, juridique et politique de l’individualisme – le libéralisme classique, la doctrine du « laissez-faire » – s’est effondré, en théorie comme en pratique. Et ce, malgré les efforts désespérés des « néolibéraux ».
De par leurs contradictions internes, et leur incapacité à comprendre les contradictions en général, le vieux rationalisme, le vieux libéralisme, le vieil individualisme se sont disqualifiés.
Restent face à face, en France du moins, le christianisme (le catholicisme non « contaminé » par le libre examen individualiste protestant) et le marxisme.
Lefebvre Henri, « Introduction », Le marxisme, Paris, Presses Universitaires de France , «Que sais-je ?», 2012, 128 pages
URL : www.cairn.info/le-marxisme--9782130608141-page-4.htm.
Le 06 septembre 2015 à 22:34:25 SuperAsgard a écrit :
Que pensez-vous de la notion de gauche ?Personnellement, je n'aime pas trop me définir par ce terme car je ne sens presque rien en commun entre les militants communistes et anarchiste tels que je les connais par le réel et Hollande, Macron, Valls....
Et sachant qu'au départ cela définissait simplement des places de députés, et que "droite républicaine" était la gauche au XIXe siècle.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Sinistrisme
Personnellement je suis partisan pour se débarrasser de ces notions qui ne veulent ne rien dire.
Eviter de dire je suis de gauche, ou de désigner le "bord politique" de quelqu'un avec des mots.
Mais plus avec des idéologies théorisé par des penseurs :
Communisme, Marxisme, Anarcho-Communisme, Socio-démocrates, Sociaux-libéral, Libéralisme, Libertarianisme, Anarcho-Capitaliste.
Ces mots veulent dire des choses, contrairement à l'axe politique qui ne fait qu'essentialiser ces doctrines dans de vagues entités de "gauche" ou de "droite".
Bref si c'est aussi usiter par les politiques, c'est pour optimiser leur ratissage.
le libre examen individualiste protestant
HURR DURR, je connais rien au protestantisme !
Oui, le protestantisme est une religion assez individualiste : elle supprime le clergé hiérarchique du catholicisme au profit d'une relation directe du fidèle à Dieu, sans intermédiaire du prêtre, et avec une libre interprétation de la Bible, débarrassée de la Tradition. Dans son organisation ecclésiale, le protestantisme est décentralisé, chaque Eglise est autonome et locale, il n'y pas de centralisation autour d'un pape ou d'un patriarche, les Eglise locales peuvent éventuellement se réunir en synode. La grande diversité des dénominations protestantes aux Etats-Unis en est un effet, alors que les catholiques font tous partis d'une même Église.
Sur un tout autre sujet : http://lesmaterialistes.com/emigration-immigration-harcelement-raciste-communautarisme-semi-feodal
Vous en pensez quoi ?
Une petite question toute conne qui s'adresse particulièrement aux méchants staliniens/maoïstes
Ou plutôt deux.
Vous pensez quoi de la structure (je sais pas si c'est un parti) PRCF ?
Et j'ai entendu dire que c'était communiste conservateur et je sais pas ce que c'est précisément, TRW me donne quelques indications mais sans plus
Merci beaucoup.
Vive Staline.
Le PRCF, j'sais pas trop. J'ai déjà écouté des interventions de Georges Gastaud qui sont "pas trop mal" sur l'ensemble, notamment sur la volonté de la dictature du prolétariat et de refaire du marxisme une réelle science matérialiste et dialectique, pour comprendre le monde. Après, j'sais pas trop. Ce sont des courants hors du PCF... Je sais plus si c'est eux où l'URCF qui défendent le "socialisme nord-coréen.
J'ai dit ça moi ?
Il me semblait avoir aussi dit qu'ils me paraissaient réformistes.
Bah ça veut dire ce que ça veut dire, communistes économiquement et philosophiquement mais conservateurs sur le plan sociétal.
Après je crois pas trop que c'est le cas du PRCF donc ça m'étonne d'avoir dit une chose pareille.
Par contre ils sont souverainistes et eurosceptiques Ils ont souvent des liens avec certaines sections plus "conservatrices" "dures" du pcf.
Le 08 septembre 2015 à 20:17:02 -Lindle- a écrit :
Une petite question toute conne qui s'adresse particulièrement aux méchants staliniens/maoïstes
Ou plutôt deux.Vous pensez quoi de la structure (je sais pas si c'est un parti) PRCF ?
Et j'ai entendu dire que c'était communiste conservateur et je sais pas ce que c'est précisément, TRW me donne quelques indications mais sans plusMerci beaucoup.
Je trouve le PCRF intéressant mais je préfère largement le PEP (ex M'PEP) car le PRCF est très stalinien a mon goût
Par contre ils sont réellement marxistes pas comme la ligne affichée par le PCF actuellement
Je crois par contre qu'ils défendent bien malheureusement la Corée du nord, même si ils sont aussi assez fanas de Cuba.
C'est qui les pep ? Je connais absolument pas et te connaissant ça doit être un mouvement souverainiste, ça m'intéresse donc
Merci beaucoup pour les réponses, et oui je crois que c'est le PRCF qui défend la CdN parce qu'elle s'oppose aux ricains.
Mais ma question était plus précise, les communistes conservateurs ont-ils un rapport avec les putschistes de moscou en 1990 ?
Sinon TRW je parlais de toi pour les communistes qui sont conservateurs au niveau sociétal, tu me permets de voir ce que c'est un peu
Certains oui d'autres non. D'ailleurs ta question est un peu bête parce que le putsch des conservateurs (dans le sens ligne brejnevienne disons) c'est une partie des privilégiés du parti qui voient l'urss se défaire totalement de ce qui en restait et plus ou moins et veulent pas voir leurs avantages périr (place, autorité, avantages économiques, etc...).
Alors certains ont un rapport dans le sens où ils sont pro soviétiques jusqu'à la dernière heure, et d'autres n'en n'ont pas comme moi puisque ayant une vision totalement différente de l'urss (:d) décomposition progressive de l'URSS par l'incursion d'éléments capitalistes dans l'économie qui finissent par la miner + système politique qui ne se réforme pas).
Enfin quand je dis que c'est bête c'est simplement que c'est mal posé mais le prend pas pour toi
Ah je pensais que c'était des tenants d'une ligne anti-révisionniste.
Sinon pour les communistes conservateurs il existe quoi comme site/orga/parti qui reprennent leurs idées ? Je crois avoir compris qu'il y a les matérialistes mais sinon je n'en sais que trop rien
Communisme-bolchevisme mais il me semble qu'il n'est plus trop actif. Y'a aussi de très bons sites maoïstes mais ils ne sont pas vraiment conservateurs, enfin dans le sens sociétal.
Mais en soit y'en a pas beaucoup
L'ex député de Vénissieux André Gerin pourrait sans doute être assimilé aux communistes " conservateurs " ( tu parles de conservatisme sociétal ou de nostalgie philosoviétique ? )
Je parle des communistes conservateurs sociétaire ( avortement migrations frontières).
Je trouve ça étonnant parce que j'ai vu plus souvent ce genre de communiste qui militait que les communistes libertaires, puis on ne les connaît pas vraiment, c'est de ca que vient ma question.
Sinon la nostalgie philosovietique c'est quoi ?