MotorcycleMan était reparti avec Merrino quelques jours plutôt, à l'aube après notre première nuit au palais.

Le soir du banquet où l'on célébrait la montée au Ciel du Messie comme l'avait si justement décidé Panarabisme ibn HassanElBanna, maître des lieux, cet émissaire m'avoua avec gentillesse que je me trompais sur son compte. Il était certes émissaire au service du Califat, mais originaire du village païen avec pour mission la sauvegarde du patrimoine pré-islamique du forum, de peur que l'EI ne le détruise et que les Biblik ne s'en servent comme relique contre l'Islam. Je lui parlais des adonies, ces antiques fêtes licencieuses données sur les rivages de Byblos en l'honneur des amours d'Adonis et d'Astarté-Aphrodite jusqu'à toutes les formes d'hédonisme, et il me partagea son savoir.

Allant me coucher dans ma somptueuse chambre du Madafa, un bâtiment typique des palais ottomans réservé aux hôtes et bordant le midan, une large cour destinée aux cavaliers de l'émir que je traversais sans manquer de les saluer en mon dialecte, je croisai Merrino dans le double escalier extérieur, l'air contrit. Il prétextait aller au hammam de bains froids. Voyant plus en lui un objet d'assouvissement de mes désirs qu'un véritable amant, je ne le retins pas et m'installai dans l'interminable divan pourpre flanquant la pièce garnie de riches boiseries complétant les fenêtres stylisées et les niches à arc brisé. Devant moi étaient disposés quatre braseros à chaque angle d'un large motif en carreaux de céramiques blancs. La lumière projetée au travers des persiennes dessinait une flore vivante accentuée par le reflet de sa silhouette dorée sur la céramique. Je jetai un regard sur mon lit encastré dans une niche profonde faite de vitraux que la lumière du matin percerait avec une douceur infinie ; pourquoi quitter ce lieu précipitamment ?

Lorsque les nouvelles gagnèrent le palais, je baignais comme à mon habitude dans la chaleur des couleurs vert, bleu, rouge et jaune des vitraux. Je me tirai du lit par son bout, rajustant la pléthore d'oreillers contre les fenêtres opaques. Merrino et l'émissaire païen étaient partis depuis plusieurs jours, je ne saurais dire combien tant j'étais engourdi dans ce confort propre aux palais orientaux.

Un hennissement et de vives exclamations en turc attirèrent mon attention. Poussant la porte de ma chambre, je débouchai sur le corridor extérieur et sa balustrade aux voûtes d'arêtes sur arcs doubleaux en plein cintre. Je prenais l'œil pour cette architecture pittoresque. Un groupe de rebeux affichant ostensiblement un nationalisme maghrébin avaient été saisis par les cavaliers et amenés à l'émir. Le sujet de leur rapt n'était pas leur opinion identitaire mais le contenu de leurs paroles : un navire sur la mer du Grand Remplacement avait signalé des tirs nourris et des explosions sur l'île des Taoïstes. Le passage d'un chasseur-bombardier F-16 israélien une heure après que les colonnes de fumée noirâtres avaient commencé à s'élever dans l'éther ne pouvait signifier qu'une chose. L'État Islamique avait détruit l'île des Taoïstes et aucun d'eux n'avaient pu survivre. J'eus une pensée terrible pour Takuan-Soho.

Les cavaliers musulmans se mirent en branle et l'on m'intima de partir. Mettant mes affaires au plus vite dans le coffre, rajustant le FN FAL à son support au-dessus des pare-soleils, je saluai mes hôtes et leur témoignai le respect nécessaire à toute cette hospitalité. Le SUV Nissan Young prit la route opposée à la cavalerie partie sécuriser les points de passages stratégiques comme la dune de NoName qui, derrière son aspect pervers de Zulfikar, avait dû prévenir l'EI sur l'entente entre Chrétiens et Musulmans.

Coupant à travers le désert vers le village de Païens pour y retrouver MotorcycleMan, j'avais gagné rapidement les vertes prairies mais fus bientôt tétanisé en constatant qu'un avion à réaction filait droit sur moi en rase-motte. Il dévia légèrement de sa trajectoire et je reconnus la croix de Jérusalem sur l'empennage de l'appareil. Instinctivement, je sortis le bras par la fenêtre et lui témoignai du mieux que je pus un signe amical de la main. L'avion reprit de la hauteur alors que nous arrivions sur une route bordée d'arbres élégants masquant pour autant que faire se peut une résidence pavillonnaire. À mon horreur l'avion lâcha un missile qui frappa directement le lieu-dit du First United Church of the Flying Spaghetti Monster. Il n'y eu aucune explosion.

Alex3112 rebouchait tranquillement une tombe que l'épitaphe désignait à Balavoo. Je m'arrêtai, tremblant de crainte.

« Le missile ! Il…il risque d'exploser à toute instant !
— Pas celui-ci, répondit-il avec un calme presque cynique. FuckDouble fait quelquefois un survol de la zone pour nous larguer des caisses de documentation chrétienne. On a de nombreuses bibles grâce à lui, du Saint Augustin aussi. On garde un exemplaire de chaque, le reste réchauffe nos soirées en hiver.
— Où est Lokaakol ?
— À l'intérieur de la résidence, sûrement en train d'inspecter l'impact. C'est gentil de la part de ton ami, le Chrétien, mais risqué tout de même. Et assez grotesque dans sa manière de faire. Que veulent dire les inscriptions autour de ton cèd— »

Il n'eut pas le temps de finir que Balavoo sortit inopinément de terre en hurlant indistinctement. Sa main animée par la haine saisit l'athée au cou : « vous êtes incultes et limités » siffla-t-il sans pouvoir baver son flot d'insultes que de la terre avalée par inadvertance inhiba. La pelle claqua sur son crâne. Une étrange impression d'écho nous fit nous demander si le manche de l'outil n'était pas creux. Non, c'était bien sa tête mutilée qui répercutait encore l'impact.

« Hurras el arz, lui répondis-je finalement. Les Gardiens du Cèdre.
— Affiliation politique ?
— Pas spécialement. Comment connaissez-vous ma confession ?
— Réputation. Le Chrétien d'Orient qui insulte la moitié du forum même sur ses terres, crois-moi c'est jouissif.
— Et lui, il vous voulait quoi ?
— Pff…prouver que la science ne peut pas tout expliquer et que Dieu est réel.
— De toi à moi, c'est tout aussi con de sa part que de la votre : la foi est littéralement la confiance, l'argument le plus puissant en rhétorique puisqu'il implique pour celui qui le reçoit de réunir par lui-même et en lui-même les éléments qui le feront balancer, si la foi avait besoin de preuve mathématique ce ne serait plus la foi mais le fanatisme. De votre côté gardez vos moutons dans leur enclos et renseignez-vous sur la NOMA, adoptée entre autre par l'Académie Nationale des Sciences aux États-Unis, et expliquant en quoi la science et la religion ne s'opposent pas mais évolue sur deux plans différents. Sans comptez que vous êtes complètement ignorants des classiques en phénoménologie pour la plupart, convaincus sûrement qu'une fonction affine n'aurait pas pu fonctionner dans un monde où Dieu est présent. »

Une chose est sûre, je venais de lui confirmer ma réputation. La seconde, déductible aisément à l'intensité de son regard, c'est beaucoup moins jouissif de tomber sous mon pédantisme que de le regarder agir. Refusant de lui donner le temps de renchérir — c'est aussi ça une attitude pédantesque — je remontai dans le SUV et le laissai à l'enterrement de Balavoo pour reprendre ma route.

Qui ose dire que l'univers s'est fait tout seul
Ou penser qu'il n'y aucune divine création
Tous ces athées qui ouvrent leur sale gueule
Qui commentent la forme et non le fond
De mon côté j'ai l'argument des flocons de neige
et ils me disent de retourner étudier au collège

Le forum ne m'apprend rien
Je voulais juste un peu parler, avec des cons
Le forum ne m'apprend rien
J'aimerais tellement les frapper, car j'ai raison
Car j'ai raison

Mais je n'peux pas, je n'sais pas
Et je reste planté là
Le fond ne fait plus la forme
Y'comprennent rien ces sous-hommes
Et je n'peux pas, je n'sais pas
Et je reste planté là

A ceux qui croient qu'il n'existe aucune preuve
Je dis que les étoiles sont vraiment bien faites
Pour eux lire mes pavés est une épreuve
Que reste-t-il de mes pseudos sous la mitraille

Quand les prêcheurs sont à l'abri de la bataille
Je débat seul avec ces tristes incultes de racailles

Le forum ne m'apprend rien
Je voulais juste un peu parler, avec des cons
Le forum ne m'apprend rien
J'aimerais tellement les frapper, car j'ai raison
Car j'ai raison

Mais je n'peux pas, je n'sais pas
Et je reste planté là
Le fond ne fait plus la forme
Y'comprennent rien ces sous-hommes
Et je n'peux pas, je n'sais pas
Et je reste planté là

Mais je n'peux pas, je n'sais pas
Et je reste planté là
Le fond ne fait plus la forme
Y'comprennent rien ces sous-hommes
Et je n'peux pas, je n'sais pas
Toute façon je n'écoute pas

Le forum ne m'apprend rien