Pokémon peut-il enfin passer à la vitesse supérieure ? Trois ans après Pokémon Épée / Bouclier ayant enfin introduit la 3D dans la saga développée par Game Freak, Pokémon Écarlate / Violet se présente comme l'épisode du renouveau, capable de s'inspirer de son prédécesseur comme de tirer parti des nombreuses bonnes idées de Légendes Pokémon : Arceus. La neuvième génération est-elle enfin celle de la révolution ?
Les générations passent et les jeux Pokémon se ressemblent tous : tel est le cliché à la vie dure qui colle à la peau des jeux vidéo "canoniques" de la franchise la plus rentable du monde. Pourtant, rarement un épisode de la série a été aussi attendu que Pokémon Écarlate / Violet, neuvième génération censée projeter (enfin) la série dans le jeu vidéo moderne, et hériter de la proposition de gameplay très intéressante voire novatrice de l'excellent Légendes Pokémon : Arceus. Après une attente aussi fébrile, l'heure est enfin venue de voir si la neuvième génération ('9G") est celle du renouveau, ou si la licence de Game Freak s'enlise dans un monde ouvert trop ambitieux pour elle.
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Notre critique a été rédigée à partir d'une version dématérialisée de Pokémon Écarlate fournie par l'éditeur. N'ayant pas pu tester Pokémon Violet, nous nous référerons à la version Écarlate dans ce test, par ailleurs garanti sans spoilers. La région de Paldea renferme en effet beaucoup d'éléments et de surprises dont nous préférons vous laisser le plaisir de la découverte.
Sommaire
- L'épisode de l'ouverture ?
- Pokémon Legends : Paldea of the Wild
- Entre tradition et modernité
- Version Téracristal
- La révolution des œillères
- ¡ Viva Paldea !
L'épisode de l'ouverture ?
Depuis 2010, c'est tous les trois ans la même histoire. À partir de Pokémon "Noire et Blanc", l'enchaînement des "générations" de Pokémon tient de l'éternel recommencement, avec une nouvelle itération de la série principale tous les trois ans, chaque période étant entrecoupée d'une version améliorée (et/ou plus complète) et d'un remake d'un ancien épisode. Il ne fallait donc pas s'attendre à autre chose, pile trois ans après la sortie de Pokémon Épée / Bouclier (faisant office de huitième génération), qu'à une "nouvelle gen", la neuvième en l'occurrence. Intitulée "Écarlate / Violet", elle prend place dans une nouvelle région comme toujours inspirée d'une zone géographique bien réelle. Après Kalos basée sur la France dans Pokémon X/Y et Galar modélisée sur la Grande-Bretagne dans "Épée / Bouclier", on reste dans notre bonne vieille Europe avec une région de Paldea qui s'inspire de la péninsule Ibérique, constituée de l'Espagne et du Portugal.
Avec sa nouvelle région, Pokémon souhaite davantage s'ouvrir. Si "Arceus" ne constituait pas en soi un monde ouvert, Pokémon Écarlate semble désireux d'offrir cette perspective, à la grande surprise de fans inquiets face à une promesse aussi ambitieuse. Game Freak n'a en effet jamais été réputé pour prendre des risques aussi radicaux d'une génération à une autre ; cependant, un hardware tel que la Nintendo Switch est supposé le permettre. On parle quand même, après tout, de la machine qui fait tourner The Legend of Zelda : Breath of the Wild, un des plus grands jeux vidéo en monde ouvert de tous les temps, dans d'excellentes conditions ! Et il faut bien l'admettre : en passant directement de la Nintendo 3DS (théâtre de la septième génération fin 2016 avec Pokémon Soleil / Lune) à une console comme la Switch, il paraissait presque normal que la licence fasse un bond en avant. Espéré en vain avec "Épée / Bouclier" et proche d'être concrétisé avec "Arceus", le monde ouvert dans un jeu Pokémon n'est enfin plus une chimère avec cette neuvième génération. Reste maintenant à voir si ce dernier tient la route, car c'est là qu'on l'attend au tournant.
Pokémon Legends : Paldea of the Wild
Comme dans chaque épisode, le concept de base consiste à capturer des Pokémon, mais la construction de Pokémon Écarlate constitue en soi une très agréable surprise. Comme dans tout jeu de la série principale, votre objectif consistera à atteindre le rang de Maître Pokémon en réunissant toute une collection de badges. Ces derniers s'obtiennent en affrontant des dresseurs redoutables faisant grossièrement office de boss, chacun ayant pour thématique un des "types" associés aux célèbres monstres de poche (plante, feu, eau, etc.). Cependant, contrairement aux épisodes traditionnels, cette neuvième génération opte pour une progression non-linéaire, en monde ouvert, une grande première pour la licence. Comprenez par là qu'il n'y aura donc plus vraiment d'ordre dans lequel affronter les champions d'arène, et mieux encore : ce ne seront pas les seuls adversaires coriaces barrant votre route vers votre but ultime.
Ainsi, Pokémon Écarlate prend de vrais bons risques et casse les codes établis, cherchant à s'affranchir d'une construction redondante vue et revue depuis déjà un quart de siècle. On part a priori loin de la liberté totale proposée par un Breath of the Wild, mais on se laisse très vite surprendre par la vision de Game Freak, et dans le bon sens pour le coup. Ce qui fait office de prologue du jeu est relativement assisté, avec des rappels à l'ordre des personnages nous empêchant d'explorer temporairement certains lieux, mais on est très vite jeté(e) dans un univers très vaste, dont on regrettera juste que la carte, puis tous nos objectifs principaux, soient dévoilés si tôt dans l'aventure. Cela dit, la grande quantité de missions principales ainsi affichée a de quoi nous faire perdre la tête : serions-nous en face de la plus grande aventure Pokémon jamais créée ?
Entre tradition et modernité
La neuvième génération de Pokémon nous oppose rapidement à un dilemme inédit dans la série : voulons-nous défier les huit champions d'arène comme de coutume, ou bien démanteler l'étrange Team Star aux motivations inconnues ? À moins que notre esprit de chasseur de monstres nous conduise à traquer les Pokémon Dominants, créatures beaucoup plus redoutables rappelant quelque peu les Monarques de Légendes Pokémon : Arceus ? La composante en monde ouvert est ici parfaitement respectée à travers un choix libre qui cristallise également l'aspect jeu de rôle de la série, bien plus développée que par le passé. Une volonté marquée d'entrée de jeu par des possibilités de personnalisation du dresseur jamais vues jusqu'ici : terminé le choix parmi une sélection d'avatars trop légère, il est possible d'entièrement "customiser" le personnage joué avant d'entamer l'aventure !
Si la grande majorité des mécaniques usuelles de la franchise est bien présente et que les habitué(e)s trouveront très vite leurs marques, c'est clairement dans la manière d'explorer la région de Paldea et de progresser dans l'histoire que se situe la véritable révolution. En disposant très tôt d'une monture dont vous restaurerez petit à petit les capacités motrices principales (course, nage, vol, etc.) en avançant dans le jeu, on dispose de possibilités d'exploration très vite gigantesques qui vont clairement servir le propos du monde ouvert sans limites ou presque. Hormis pour de rares zones séparées du reste du monde, vous ne rencontrerez aucun mur invisible : le sentiment de liberté d'exploration est similaire à celui d'un Breath of the Wild. Visiter les différentes cités et explorer tous les biomes divers et variés qui constituent Paldea au gré de nos envies est un véritable plaisir ! Et ceci que l'on cherche à chasser les Pokémon sauvages, à remplir les quêtes principales, ou à affonter des dresseurs qui n'imposent par ailleurs plus le combat dès que l'on croise leur route, une nouveauté très satisfaisante.
Nous pourrions accorder de très nombreux paragraphes pour vous expliquer à quel point la liberté d'action et de progression nous a surpris dans Pokémon Écarlate, mais il faudrait presque un article à part pour cela. Retenez juste que plus on évolue dans cette nouvelle région, plus on se laisse happer par une aventure surprenante sans réelle redondance qui ne déçoit que par une certaine lenteur (et aussi en termes de fluidité, nous y reviendrons plus bas). Après le gros regain de dynamisme dont jouissait "Arceus", à la proposition de gameplay audacieuse aux allures de main tendue vers le monde ouvert, on pouvait légitimement espérer en retrouver certaines des meilleures mécaniques. Hélas, son système de capture des créatures si ingénieux et immersif n'est pas conservé ici, et même si l'on peut envoyer le Pokémon en tête de l'équipe se balader librement (et même se battre pour gagner de l'expérience tout seul), on reste encore un peu entre deux eaux.
Version Téracristal
Bien sûr, la construction de ce nouveau terrain de chasse n'est pas la seule nouveauté propre à cette neuvième génération. Un scénario un peu plus audacieux que de coutume vient s'y greffer, notamment dans la gestion plutôt sympathique de votre vie étudiante. Vous devrez y soigner vos liens sociaux avec les enseignants… mais aussi assister à des cours sur les mécaniques de jeu et l'histoire de Paldea, et participer à des examens sous forme de questions réponses (Persona 5, c'est toi?). Le tout notamment enrobé d'un thème sous-jacent étonnamment sérieux pour la licence Pokémon, que nous vous laisserons le loisir de découvrir. Bien sûr, l'ensemble de la narration reste léger voire enfantin, et toujours porté par une localisation française d'excellente facture, mais on appréciera l'effort, qui n'est pas qu'un simple prétexte au monde ouvert.
En termes de gameplay pur et dur, si les bases de la franchise sont globalement inchangées, la fameuse Téracristallisation (une mécanique qui rend votre Pokémon plus fort) vient s'ajouter aux mécaniques de combat. Si elle rappelle, dans son fonctionnement, le Dynamax de Pokémon Épée / Bouclier, cette nouvelle fonctionnalité peut être utilisée dans n'importe quel combat tant que le Pokémon téracristallisé n'est pas KO, y compris contre un Pokémon sauvage ou un dresseur. De quoi rouler un peu trop sur l'adversité, surtout qu'elle peut être utilisée sur n'importe quel Pokémon de votre équipe (heureusement, un seul peut s'en servir par combat) et qu'elle est "rechargée" à chaque passage au Centre Pokémon. Ces derniers étant accessibles en voyage rapide dans pratiquement n'importe quelle circonstance, l'ensemble est un peu trop facile et vous n'échouerez qu'en prenant trop de risques inutiles, sauf lors de certains combats en fin de jeu subitement beaucoup plus redoutables.
Par ailleurs, il ne nous a pas semblé que le jeu de Game Freak propose un quelconque level scaling : comprenez par là que le niveau de chaque champion d'arène, boss de la Team Star, Pokémon Dominant (ou même des créatures peuplant chaque région) est défini d'avance. La dimension monde ouvert en prend un peu un coup, mais il est tellement aisé de s'échapper d'une zone trop dangereuse et/ou de la quitter sans dommages que le titre ne met jamais la pression sur le joueur. On en vient même à négliger tout ce qui pourrait faciliter la progression, comme ces fameux sandwiches dans le registre de la nourriture, pas mal mis en avant durant les trailers, qui rappellent de prime abord un peu le manque d'intérêt du "currydex" de Galar dans Pokémon Épée / Bouclier. Ils trouveront néanmoins leur utilité pour quiconque souhaite compléter le Pokédex de Paldea. Au moins ont-ils l'avantage d'être joliment modélisés, comme les créatures à qui un soin non négligeable est apporté (en termes de chara design comme de rendu).
La révolution des œillères
Le problème, c'est qu'il n'y a que ça de vraiment joli dans Pokémon Écarlate. Qu'on se le dise une bonne fois pour toutes : oui, les jeux Pokémon sont systématiquement en-dessous des capacités techniques que pourraient leur offrir les consoles sur lesquelles ils tournent. En début d'année, nous avions été quelque peu déphasés par le paradoxe constant de Légendes Pokémon : Arceus sur le plan des graphismes purs. Doté à la fois d'un charme fou en termes de direction artistique, mais aussi gâché par une technique indigne d'un hardware pourtant déjà daté depuis des années, le spin-off surprenant de Game Freak bénéficiait de cette "patte" franchement réussie servant d'excuse facile pour tolérer des graphismes d'un autre âge. La question de la qualité visuelle du titre constitua très vite la plus grosse inquiétude des joueurs au gré des trailers, et il fallait attendre de disposer de la version définitive de Pokémon Écarlate pour se faire une opinion tranchée.
On ne va pas y aller par quatre chemins : si les décors intérieurs sont étonnamment fins, et qu'on a rarement vu des graphismes aussi jolis dans un jeu Pokémon dans les habitations et magasins, la douche froide confine au glacial lorsque l'on sort dans le monde ouvert de Pokémon Écarlate. En termes de finition pure, dès que l'on est en extérieur, le jeu est tout simplement indigne des capacités de la Nintendo Switch, elle-même déjà très en retrait par rapport aux standards de 2022. Ce ne sont même plus les prévisibles clipping et autres aliasing (au point de presque leur donner une nouvelle définition ici) qui nous choquent le plus, mais l'incapacité totale du titre de Game Freak à tenir un taux de 30 images par secondes stable. Les chutes de framerate sont bien plus constantes que ce dernier, surviennent sans prévenir même une fois qu'on s'y est habitué(e), les textures sont archi brouillonnes, et on se sent obligé(e) de trouver Légendes Pokémon : Arceus beau et stable à côté, tout simplement.
Malheureusement, le taux d'images par seconde n'est même pas le seul écueil technique d'un titre en grande souffrance. En fait, dans Pokémon Écarlate, tout est véritablement choquant dès qu'on s'attarde sur l'aspect technique, et ce sans même parler de l'impressionnante quantité de bugs d'affichage. Honnêtement, nous en avons croisé à peu près aussi souvent que l'on rencontre de créatures sauvages dans les différents biomes de Paldea. On pensera, pêle-mêle, aux ombres qui disparaissent puis réapparaissent en fonction de l'angle de caméra, aux PNJ se déplaçant à un nombre famélique d'images par seconde dès qu'ils sont un peu éloignés de nous, au rendu des textures daté de plusieurs générations… Pokémon Écarlate n'est tout simplement pas beau, et cela fait encore plus de peine tant on sent qu'une direction artistique réelle s'en dégage. Mais la touche visuelle ne peut pas tout sauver, et c'est d'autant plus dommage car Paldea ne manque clairement pas de cachet.
¡ Viva Paldea !
Si l'on arrive à faire abstraction de ces faiblesses techniques, qui sont surtout criantes en docké (le jeu est plus agréable à l'œil en nomade, surtout sur le modèle OLED une fois de plus), la découverte du tout premier monde ouvert signé Game Freak reste sacrément grisante. Paldea est une région avec beaucoup de caractère, dont le style méditerranéen est franchement rafraîchissant. En outre, les thèmes musicaux qui accompagnent l'aventure sont particulièrement soignés et d'une grande variété, ce qui n'est pas spécialement surprenant quand on sait qu'ils sont en grande partie signés Toby Fox. Le développeur d'Undertale, dont il fut également le compositeur, avait récemment commencé à travailler avec Game Freak en tant que compositeur principal sur Little Town Hero (tout en étant crédité dans les remerciements de Pokémon Épée / Bouclier) et concrétise ici avec brio une collaboration plus que méritée au vu de son immense talent. Le tout reste bien entendu supervisé par l'inamovible Junichi Masuda, présent depuis la création de la licence.
En fin de compte, à travers un monde ouvert réussi dans la construction (bien que d'apparence peu réussie) et surtout bien rempli et cohérent, Pokémon Écarlate trouve le moyen de renouveler avec une certaine audace une formule qui évite ainsi de trop sombrer dans la routine. Finalement plus proche de Légendes Pokémon : Arceus que de la génération précédente, il incarne l'épisode du renouveau en grande partie grâce à cette volonté bien réelle de se démarquer et d'évoluer avec son temps. Certes, les vieux de la vieille déploreront l'absence prolongée du Magnéto VS, ou encore l'impossibilité de désactiver le multi-EXP. Ils trouveront sans doute à redire sur tout un tas d'aspects davantage "de niche" et ne se satisferont peut-être pas d'un mode en ligne encore trop limité (et que nous avons trop peu pu tester car en maintenance au moment de nos parties). De toute manière, Pokémon Écarlate n'est pas une révolution absolue de la franchise (en tout cas pas autant qu'un Breath of the Wild le fut pour la licence Zelda), mais il en est déjà une fort belle évolution. La série Pokémon va clairement de l'avant et c'est déjà ce qu'on attendait au minimum d'elle, après tout.
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Conclusion
Points forts
- Une ambiance et des villes qui ont beaucoup de charme…
- Monde ouvert réussi, voire surprenant…
- D'excellentes idées de Légendes Pokémon : Arceus sont restées…
- La terracristallisation, une bonne nouvelle mécanique…
- Encore plein de nouvelles créatures pleines de charme
- La personnalisation de l'avatar d'entrée de jeu
- Des ressorts scénaristiques inattendus et intéressants
- Les combats de dresseurs facultatifs (mais récompensés !)
- Plutôt peu avare en contenu
- Bande originale vivifiante et inspirée
- Un vrai sentiment que la franchise va de l'avant
Points faibles
- … mais hélas plombées par une finition d'un autre âge
- … malgré des lenteurs qui frustrent encore et toujours
- … et d'autres manquent déjà terriblement
- … qui facilite un peu trop souvent les choses
- Quelques loupés côté ergonomie des menus et de la carte
- Le nouveau système d'œufs semble inutilement complexe
- Des fonctionnalités qui manqueront aux anciens joueurs
Note de la rédaction
Très attendu après un Épée / Bouclier un peu trop timide et Arceus bien plus audacieux, mais très différent, Pokémon Écarlate / Violet fait clairement progresser une licence qui a toujours trop stagné, et prend de nombreux risques payants. Si l'on arrive à faire abstraction de graphismes vraiment décevants, il y a fort à parier que cette 9ème génération de Pokémon fasse date. Game Freak a clairement très bien compris comment concevoir un monde ouvert avec une progression non linéaire, idéalement pensé pour une série qui avait besoin de ce petit coup de neuf fort appréciable. Un jour, peut-être, l'aspect technique suivra et les détenteurs de la franchise la plus rentable du monde nous offriront une vraie révolution capable de marquer les esprits. En attendant, on reste sur un épisode très satisfaisant qui fait du bien à la licence.