En 2022, presque 50 millions de mangas ont été vendus en France. Quand on regarde de plus près les chiffres, c'est à partir de 2016 que les ventes n'ont cessé d'augmenter, avant d'exploser en 2021. Alors qu'ils se vendaient environ 10 millions de mangas dans le pays dans les années 2010, la barre des 20 millions a été dépassée en 2020 avant de plus que doubler l'année d'après en 2021 en dépassant largement les 45 millions d'exemplaires. Des résultats exceptionnels notamment dus au COVID et aux nombreux confinements, mais aussi grâce au Pass Culture. Si ce chiffre se stabilise avec une très légère augmentation en 2022, la tendance commence à s'essouffler et on vous explique pourquoi.

La baisse des ventes de manga se confirme en France

En août 2023, on apprenait par GFK Intelligence France que moins de 10 millions de mangas ont été vendus en France au premier trimestre 2023. En d'autres termes, cela représente une baisse de 18% par rapport au début de l'année 2022. Si les ventes actuelles restent tout de même deux fois supérieures à celles de 2019, avant COVID donc, ces chiffres montent un ralentissement des ventes de manga en France. En plus de ces données qui confirment cette tendance, de nombreux témoignages circulent sur les réseaux sociaux vont dans ce sens. Récemment, c'est un tweet sur X (anciennement Twitter) de l'utilisateur @Alex_Jetblack qui relançait le débat autour de ce qu'il appelle "la bulle manga" en France.

Selon lui, le fond des catalogues des gros éditeurs se vend difficilement, les librairies n'ont plus assez de place face aux trop grand nombre de titres et les lecteurs font des choix dans leurs achats ce qui fait que les nouveautés ont du mal à fonctionner. Suite à ce message qui a suscité beaucoup de réactions, plusieurs internautes ont raconté que leurs libraires confiaient que les nouveautés ne se vendaient pas et que leur nombre était parfois même "absurde". Pour rassurer le marché, certains éditeurs déclarent qu'il n'y a pas "d'explosion de la bulle manga" comme le déclarait Mathieu Adment des éditions Kana chez France Inter. Pourtant, certains facteurs expliquent ce ralentissement qui est bien parti pour s'installer dans la durée.

Un problème de prix et de nouveautés

Pour expliquer cette baisse des ventes de manga en France, il est évident que le contexte économique à l'échelle mondiale joue d'abord un rôle primordial. À cause de la guerre en Ukraine, une crise du papier a fini par s'installer, ce qui a conduit les imprimeurs et les éditeurs à augmenter leurs prix, ce qui a une conséquence directe sur les tarifs des mangas. Et évidemment, on ne vous apprend rien, mais quand le prix d'un produit est à la hausse, mathématiquement sa consommation diminue. Dans le cas du manga, la barre des 6,99€ pour un tome a été dépassée à des degrés différents, même si les plus grosses séries arrivent encore à rester en-dessous comme One Piece, My Hero Academia, Jujutsu Kaisen... Mais à côté de ça, cette augmentation des coûts s'est accompagné une baisse de la qualité du papier pour certaines séries, ce qui a déçu de nombreux passionnés qui étaient plutôt gâtés de ce côté-là.

Cette augmentation de coût est d'autant plus un frein que les passionnés de manga achètent rarement un seul tome à la fois, mais bien plusieurs. Le problème, c'est que mis bout à bout, cela représente un prix de plus en plus élevé à tel point que pour suivre tous les mois toutes ses séries, cela peut désormais dépassé la cinquantaine d'euros. Dans un contexte où le coût global de la vie augmente, cela a forcément des répercussions sur les achats pour les divertissements qui sont importants qu'avant. De plus, avec le développement des services en ligne légaux de lecture de scans, certains préfèrent se tourner vers ce genre d'abonnement pour suivre toutes leurs séries sans avoir à acheter les tomes. Mais pour les passionnés, il est évident que ce genre de service est un complément et que cela ne les empêche pas d'acheter les tomes de leurs séries préférées rien que pour l'aspect collection.

Si les fans s'assurent d'acheter les derniers tomes de leurs séries préférées, pour les nouveautés, c'est là qu'à se complique et qu'est tout le problème. Pour les lecteurs de manga, puisque le coût de leur passion a augmenté, il leur reste d'autant moins de budget à consacrer à des titres moins connus qui ont du mal à trouver preneur. Résultat, si ces nouveautés sont boudées par les lecteurs, ils finissent par rester en stock chez les libraires... et à prendre de la place. Mais ce n'est pas tout. Au-delà de ces "restes", le problème est aussi que les nouveautés sont beaucoup trop nombreuses et que cela devient difficile de tout exposer rien que dans un souci d'espace. Si en plus elles ont dû mal à se vendre, c'est la double peine pour les professionnels du livre. En réalité, le problème des nouveautés n'est pas que français et dépasse les frontières de l'Hexagone.

Le manga cherche sa nouvelle pépite

Suite au message de @Alex_Jetblack sur X, un commentaire sort particulièrement du lot. Il s'agit de celle de @RoukHein dont le compte se spécialise dans les statistiques liées à la pop-culture, dont les mangas. Mais aujourd'hui, ce n'est pas pour ses chiffres qu'on va s'y intéresse, mais plutôt pour une analyse bien précise sur la situation. Selon lui, le marché français ne fait que refléter ce qui se passe sur le marché japonais avec un an de retard, ce qui est logique en tant que leader. En réalité, si les nouveautés ne marchent pas en France, c'est parce qu'elles n'ont pas non plus cartonné au Japon. Pour l'internaute, le cas d'Akane-banashi est assez symptomatique.

Malgré toute la communication mise en oeuvre par la maison d'édition Ki-oon, le manga n'a pas trouvé son public en France car il n'a lui-même pas rencontré un succès colossal au Japon avec en moyenne 50 000 exemplaires écoulés par tome. Il faut dire que son sujet de prédilection est aussi difficile à exporter puisque le manga parle de Rakugo, une forme de théâtre traditionnel typiquement japonais, ce qui n'a pas aidé. À l'inverse, des séries comme Frieren ou Les Carnets de l'Apothicaire se sont vendus à des centaines de milliers d'exemplaires au Japon. Alors, forcément, quand ces mangas débarquent en France et en plus en même temps que la diffusion de leurs animes, il y avait tout pour cartonner.

Là où l'analyse est d'autant plus intéressante, c'est que pour @RoukHein, il n'y a plus de grosses nouveautés qui restent encore à publier en France et que les deux dernières remontent... à 2021. Pour lui, il s'agit de Le Péché originel de Takopi et Tsugai - Daemons of the Shadow Realm. Pour ce qui est du premier, il s'agit d'un manga en à peine deux volumes qui s'est vendu à près d'un million d'exemplaires, soit un incroyable carton. En ce qui concerne le second, il s'agit de la nouvelle série de l'autrice de Fullmetal Alchemist, Hiromu Arakawa, ce qui explique son succès. Mais depuis, les nouveautés peinent à s'imposer dans les étals français puisqu'aucun titre n'arrive à être un véritable carton au Japon, du moins, sans l'aide d'un anime.

Après avoir explosé pendant deux ans, les ventes des mangas en France ralentissent en France à cause de l'augmentation des prix suite au contexte économique et d'un trop grand nombre de nouveautés qui peinent à s'imposer. En regardant en arrière, on peut se demander si ce ralentissement n'est pas naturel après une explosion des ventes due à la combinaison entre les confinements successifs et le Pass Culture. Après ces conditions exceptionnelles, il y a de fortes chances pour que le secteur retrouve un niveau de ventes qui se stabilise, plus haut qu'avant COVID, mais moins que durant les confinements.