Quelle est la première chose à prévoir pour qu'un titre sorte à l'international ? Eh oui, la traduction ! Un domaine compliqué - on ne vous apprend rien -, mais est-ce que vous connaissez ses rouages dans le jeu vidéo ? JV à interviewer Jean-Baptiste Fleury, qui a longtemps exercé le métier de traducteur.
Jean-Baptiste Fleury a traduit pour la France Zelda Ocarina Of Time et les versions Rouge et Bleu de Pokémon, respectivement sorties en 1998 et 1999. Et on peut le dire, son travail a été colossal. Comme nous l’explique le français, chez Nintendo, il fallait que tout soit soigné et impeccable. La firme nippone avait une technique bien à elle : obliger les traducteurs à terminer le jeu en question, même incomplet, pour en comprendre tous les détails et proposer la transcription la plus authentique possible.
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Jean-Baptiste Fleury a ainsi très souvent rencontré les membres de Nintendo, notamment l'illustre Shigeru Miyamoto, créateur de Zelda et Mario, lors de l'adaptation d'Ocarina of Time. Le créatif lui demandait constamment, dans un anglais très approximatif : “Everything is ok ?”. Un suivi quasi-militaire qui n'a pas eu que des avantages. Sur Pokémon Rouge et Bleu, chaque traduction devait être validée par la célèbre société. Jean-Baptiste Fleury fait preuve de rigueur dans son travail, au même titre que les Japonais qu’il côtoie :
La traduction c’est pas un truc à faire à la légère, parce que c’est des noms qui vont être répété par des enfants dans la cour de récréation, c’est des noms qui vont être répété par des enfants devant leurs parents, c’est des noms qui vont passer à la télé en boucle, donc il faut que ce soit parfait - Jean-Baptiste Fleury
Salamèche, je fais appel à toi !
La traduction de Pokémon était justement particulièrement complexe : 151 monstres de poche à imaginer dans la langue de Molière. Chaque créature avait sa propre histoire et a été réalisée avec “beaucoup d’amour”, nous dit Jean-Baptiste Fleury. Il fallait donc que ça ressente en français. De nombreux noms proposés à Nintendo par notre homme ont été refusés. Les Pokémon ne peuvent pas s'appeler n’importe comment, il faut que ça résonne dans notre tête :
Quand on joue avec Salamèche, on joue pas juste avec un lézard de feu, on joue avec Salamèche - Jean-Baptiste Fleury
De plus, chaque créature ayant une signification secrète en version originale, il fallait aussi rester proche de celle-ci, tout en tentant quelque chose de différent et d’attrayant. Pour continuer sur Salamèche, son prénom japonais est “Hitokage”, ce qui veut littéralement dire “lézard de feu”. Cela rappelle aussi sa mèche de flammes qui projette des ombres sur les murs. De fil en aiguille, en français, on obtient Salamèche, pour rappeler le lézard qu’est la salamandre et la mèche de sa queue qui projette les ombres.
Le diable est dans les détails
Dans ce marasme de difficultés et de responsabilités, Jean-Baptiste Fleury a quelques anecdotes rigolotes à raconter. Comme par exemple pour Ocarina of Time, où la traduction littérale d’un objet en français ne suffisait pas :
Y avait une arme qui s'appelait le Mégatonne Hammer, mais en français le marteau mégatonne ça passait pas bien, donc on a pris la décision d'appeler ça le Marteau des Titans, ça claque un peu plus comme ça - Jean-Baptiste Fleury
Pour en revenir à Pokémon, Jean-Baptiste Fleury révèle aussi qu’il essayait un maximum d’intégrer des références à d’autres cultures. Le prénom des trois oiseaux légendaires de Rouge et Bleu par exemple, Electhor, Artikodin et Sulfura, font référence à des dieux élémentaires (Thor, le dieu de la foudre dans la mythologie nordique ; Odin, le patron des dieux et lié aux zones glacières norvégiennes ; et enfin, Ra le dieu du soleil dans la mythologie égyptienne). “Traduction c’est un métier un peu dur” nous explique le français. “Parce que quand c’est pas bien traduit, on se moque tout de suite, et quand c’est bien traduit, on remarque pas que c’est bien traduit”.