Dans le milieu de la diffusion en ligne, peu importe le type de programme, Twitch a toujours été une évidence pour les créateurs de contenu. Pour la plateforme d'Amazon, l'hégémonie n'est plus à prouver, même si ses décisions ne font pas systématiquement l'unanimité. Dans ce climat de tension, la plateforme Kick a décidé de jouer son va-tout dans l'espoir de secouer le monde du streaming et de se poser comme une véritable alternative à Twitch. Toutefois, les polémiques s'y enchaînent et lui jouent plus d'un tour.
Sommaire
- Kick, la plateforme qui veut mettre un coup de pied dans la fourmilière
- Kick ou double ? Une politique financière dorée qui prend le contre-pied de Twitch
- Modération absente, contenus sexuels, messages de haine… Kick balaie les règles pour le pire
Kick, la plateforme qui veut mettre un coup de pied dans la fourmilière
Quand on évoque désormais le monde du streaming, peu de secondes s’écoulent jusqu’à ce que nous prononcions le nom de Twitch. Il faut dire que la plateforme d’Amazon n’a pas vraiment de gros concurrents. Oui, le site racheté par Jeff Bezos contre 970 millions de dollars, au nez et à la barbe de Google, n’est pas vraiment inquiété dans le milieu de la diffusion en ligne. Même lorsque Microsoft a voulu sonner l’heure de la révolte avec la plateforme Mixer — allant jusqu’à s’offrir Ninja, l’une des stars montantes du streaming et adepte de Fortnite —, Twitch n’a pas tremblé une seconde. Toutefois, depuis quelque temps, le nom d’un challenger circule : Kick.
Pour celui qui veut mettre un coup de pied dans la fourmilière du streaming, le choix de son nom a plutôt été judicieux. Afin d’y parvenir, les co-fondateurs — présupposés car rien n’est officiel, même si des indices tendent vers les deux noms suivants — que sont Easygo Gaming (leader australien du divertissement et du jeu en ligne) et Stake (une plateforme de casino en ligne) ont évidemment planché sur de solides bases car il n’est pas évident de contester l’hégémonie de Twitch. Les plateformes telles que DLive ou Trovo, pour ne citer qu’elles, l’ont appris à leurs dépens. Sur la toile, Kick se décrit comme un site convivial à destination des streameurs qui peuvent y bénéficier de politiques favorables à leur métier de créateur de contenu, qu’ils soient confirmés ou simples débutants.
Là où la politique de Twitch en matière de rémunération provoque de plus en plus de réactions fortes de la part des streameurs, Kick a une approche bien plus agressive — dans le bon sens du terme — pour leur faire les yeux doux. Figure désormais indissociable du site de streaming Kick, Tyler « Trainwreck » Niknam, présenté comme l’un des co-fondateurs, fait office, en quelque sorte, de porte-parole et enchaîne les déclarations pour le compte des deux sociétés. Selon lui, la plateforme est capable de tenir ses folles ambitions financières — on parle d’une répartition 95/5, là où Twitch opère du 50/50 ou du 70/30 selon certaines conditions, censées à nouveau évoluer en juin 2023 — grâce au soutien des annonceurs. Pour Trainwreck, la logique veut que les conditions attrayantes pour les streameurs amènent les créateurs de contenu qui, à leur tour, attireront les meilleurs annonceurs. Grâce à ce schéma, cela permettrait à Kick d’engranger des flux de trésorerie qui maintiendront les promesses d’une rémunération 95/5.
Aussi étonnant que cela puisse paraître, l’argent n’est pas la seule carotte agitée sur Kick, quand bien même les têtes pensantes du projet martèlent que la plateforme leur garantira un revenu régulier calculé en fonction des heures de visionnage et des statistiques totales de viewers, ainsi que la possibilité d’être payé quotidiennement et de toucher une somme non soumise à un prélèvement de la part de Kick grâce à un système de dons réguliers, baptisé Kicks. Pour se démarquer, il faut aussi quelque chose d’exclusif et d’innovant pour attirer les streameurs, et c’est pour cela que la plateforme travaille à un programme bien précis. Outre-Atlantique, certains des créateurs de contenu les plus célèbres se montrent de plus en plus intrigués, quand d’autres n’ont plus d’alternatives ou reçoivent des offres difficiles à refuser.
Kick ou double ? Une politique financière dorée qui prend le contre-pied de Twitch
Ainsi, en tentant de convaincre les streameurs les plus populaires de la planète de délaisser Twitch au profit de Kick, la plateforme fait d’une pierre deux coups. Oui, les annonceurs afflueront très certainement grâce à cela, tout comme les utilisateurs de Twitch. Qu’il s’agisse d’un partenariat exclusif ou non avec le site de diffusion en ligne, nombreux sont les abonnés qui ne rateraient pour rien au monde un stream de leur créateur de contenu préféré. De plus en plus, les streameurs se laissent convaincre au vu des avantages financiers que le modèle économique de la plateforme représente. Pendant ce temps, Trainwreck en rajoute une couche sur les réseaux sociaux en dévoilant ce que cela rapporte réellement d’obtenir le soutien de plus de 3500 « subs » (les abonnés payants mensuellement pour soutenir le créateur de contenu) pour mieux enfoncer le clou de la répartition de Twitch. Et si tout cela ne suffit pas, Kick n’hésite pas à sortir son chéquier et à agiter d’énormes montants, dans la droite lignée des tentatives d’opérations marketing de la part de Stake qui peut aller jusqu’à proposer des partenariats — les fameuses « opé-spé » — rapportant parfois des sommes à six chiffres.
what ~3500 subs on Kick looks like.
— Trainwreck (@Trainwreckstv) March 10, 2023
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WELCOME to a new era of streaming pic.twitter.com/lq31wyPejw
Au-delà de recruter précocement le streameur Trainwreck (plus de deux millions de followers sur Twitch), la plateforme Kick a réalisé un « mercato » d’envergure en mettant la main sur le créateur de contenu Adin Ross, peu de temps après son bannissement définitif de la plateforme Twitch. Entre lui et le service de diffusion en ligne détenu par Amazon, il y avait de l’eau dans le gaz (huit sanctions et mises en garde de la part de Twitch) et le streameur s’y sentait de plus en plus « muselé » et « menacé » car dans l’incapacité de s’y exprimer librement. Toutefois, comme nous le verrons plus loin, ce sont ces mêmes prises de parole qui font aujourd’hui débat vis-à-vis de Kick. Bref, pour la plateforme concurrente de Twitch, l’opportunité était trop importante — le créateur de contenu détenait un montant de plus de 6 millions d’abonnés — et il fallait conserver cette immense manne de potentiels spectateurs en lui faisant signer un contrat d’exclusivité. De ce que l’on sait, celui-ci s’étalerait sur deux ans et atteindrait la somme faramineuse de 150 millions de dollars !
Même avec une telle dépense, il reste de l’argent dans les caisses de Kick. Suffisamment pour envisager le recrutement d'autres créateurs de contenu très populaires, et on parle ici de personnalités qui ont permis l’essor de Twitch et qui en sont indissociables. On l'évoquait il y a peu car Trainwreck s’est amusé à faire du teasing sur Twitter le 26 mars dernier, annonçant l’arrivée prochaine de six créateurs de contenu venant de Twitch. Depuis cette date, seul un nom a été rendu officiel — celui de Hikaru Nakamura, immense figure des échecs, quintuple champion des États-Unis et créateur de contenu à près de 2 millions d’abonnés — tandis que les cinq autres alimentent tous les bruits de couloir. Sur la toile, on cite volontiers des stars du streaming aux millions de followers tels que Kai Cenat, Asmongold ou encore Sodapoppin, et l'on s'interroge quant à de possibles contrats d’exclusivité. À noter que pour Hikaru (@GMHikaru), ce n’est pas le cas. Ce dernier continuera de streamer, en parallèle, sur la plateforme Twitch comme il l’a expliqué dans un tweet.
Passé ces noms plus qu’accrocheurs pour la plateforme, il y a parfois des messages sibyllins qui intriguent énormément les internautes. En matière de streaming, il y a du mouvement ces derniers jours ! En France, par exemple, c’est la star de YouTube Michou qui a annoncé que ses lives se dérouleraient dorénavant sur Twitch. Outre-Atlantique, on ne passe pas du rouge au violet, mais du violet au vert. Du moins, cette transition semble faire de l’œil à certaines fortes personnalités des réseaux sociaux et d’Internet. Dernièrement, le nom de Mister Beast — YouTubeur extrêmement populaire aux États-Unis, connus pour ses vidéos sensationnalistes et ses actes médiatisés de charité — alimente le flot des rumeurs. Autre exemple encore, la streameuse Amouranth a été interrogée au sujet de Kick et a expliqué qu’une activité parallèle sur la plateforme ne l’intéressait pas vraiment, refroidie par la popularité de la plateforme entachée par quelques scandales. Si Kick montre un visage attrayant, derrière le masque, la réalité est bien moins reluisante.
Modération absente, contenus sexuels, messages de haine… Kick balaie les règles pour le pire
Dès le départ, la plateforme Kick a trop rapidement flirté avec la controverse puisqu’on l’a accusée d’avoir profité de la fuite d’informations autour du code source de Twitch. Il est vrai que lorsque l’on arrive sur le site pour la première fois, les similitudes et l’impression d’être face à un copier-coller de Twitch sont pour le moins troublantes. Pour ne rien arranger à la défiance qui se constituait autour de la plateforme, l’annonce des premières grosses têtes d’affiches du site de diffusion en ligne a mis de l’huile sur le feu. Certes, Kick a agrandi son portfolio de « talents » au fil des mois — notamment en leur proposant des contrats d’exclusivité ou de non-exclusivité —, mais une partie d’entre eux ne s’illustre pas forcément de manière positive.
Dans le lot, on retient surtout le nom d’Adin Ross, la « star » de la plateforme, qui multiplie les polémiques depuis son arrivée. Il faut dire que la personnalité sulfureuse du jeune streameur peut davantage s’exprimer sur Kick que sur Twitch, notamment parce que les règles de modération y sont bien plus souples. Par conséquent, celui-ci ne se refuse rien et donne même le sentiment d’y opérer, selon les circonstances, en toute impunité. Retransmettre en live le Super Bowl, offrir une tribune à des personnalités extrémistes, inciter ses viewers à réaliser des défis dégradants contre de l'argent, tenir des propos offensants / stigmatisants / mysogines en direct, se balader sur un site pour adultes devant ses viewers : rien ne semble l’atteindre ou lui faire craindre pour sa place. De ce fait, d’autres streameurs se laissent pousser des ailes et n’ont pas spécialement peur de tenter le diable, quitte à déclencher une polémique. Il y a d'ailleurs eu un article très intéressant du site PassionFruit qui revient sur les controverses autour de Kick et la manière dont elles deviennent un objet lucratif et de visibilité.
« Il n’y a pas de mauvaise publicité », pourrait répliquer Kick. Toutefois, ce qui s’y passe parfois, encore plus ces dernières semaines, transforme quelque peu l’image d’Eldorado que le site souhaite se construire. Il n’y a pas si longtemps, ce sont des actes et relations sexuels qui se sont invités sur la plateforme sans que les streameurs concernés soient tant sanctionnés que cela, voire pas du tout. Malgré les règles en vigueur sur la plateforme, l’un d’eux a écopé d’un ban d’un jour seulement tandis que son homologue, acteur d’un fait plus grave, n’a pas du tout été inquiété. De la même manière que le streameur Adin Ross n’avait reçu aucune sanction après s’être baladé, à la vue de ses viewers, sur un site pour adultes.
A Kick streamer known as Suspendas has been accused yet again of having sex with a supposed hooker while live
— Jake Lucky (@JakeSucky) December 27, 2022
As he revealed himself fully nude on stream today. He remains unbanned pic.twitter.com/oYsTbdC2rK
L’un des principaux soucis avec Adin Ross, c’est que ses frasques ont tendance à invisibiliser les streameurs qui essaient tant bien que mal de percer via Kick. De ce fait, et de plus en plus, cette nouvelle plateforme devient indissociable des polémiques créées par Adin Ross et cela lui cause du tort. Encore récemment, le streameur s’est illustré non pas à travers des images à caractère pornographique, mais par le biais de propos incitants à la haine envers les personnes transgenres, déclarant que « ses pronoms sont t*er / les ». Là encore, il n’y a eu aucune sanction de la part de la plateforme alors que ce type de déclaration en direct enfreint clairement la politique de ligne de conduite de Kick. Cela démontre, au passage, qu’il y a encore d’énormes efforts à faire sur la plateforme en matière de modération car, en l’état, Kick représente davantage une porte ouverte vers de nombreuses dérives qu’un vivier inclusif et encadré qui met en valeur les créateurs de contenu, les soutient suffisamment et sévit avec clarté lorsqu’il le faut.
“My pronouns are k*ll/them”
— Dexerto (@Dexerto) March 30, 2023
Adin Ross reacts to teacher giving lessons about non-binary pronouns pic.twitter.com/9xwboHX6Mw
Au surlendemain des déclarations d’Adin Ross, Trainwreck y a réagi en lui adressant une réponse cinglante, sans que l’on sache si cette affaire ira plus loin que de simples remontrances verbales. La prise de position est là, mais la modération de Kick renvoie l’image d’une plateforme où l’on peut agir en toute impunité et où l’on peut tenir des discours extrêmes sans être plus inquiété que cela, et encore moins lorsque l’on possède une notoriété plus que conséquente. La principale mission de Kick — qui se laisse une année entière pour se développer et instaurer correctement ses politiques — va donc être de poursuivre son recrutement de talents pour, à la fois, rester pertinente et soigner sa réputation.
À vouloir s’offrir des personnalités hors-norme, la plateforme Kick s’est peut-être tirée une balle dans le pied tant certaines d’entre elles enchaînent les polémiques. Pour l’instant, c’est le statu quo et il faudra quelques mois pour savoir si la plateforme réussira ses ambitions et pansera ses plaies ou si cette mauvaise réputation lui cause actuellement une hémorragie qui lui sera fatale.