Des attentes démesurées pour la série la plus chère de l’histoire

En étant annoncée comme la série la plus chère jamais réalisée, surtout en totalisant le budget des 5 saisons prévues, la série Les Anneaux de Pouvoir a provoqué deux réactions. D’un côté, des attentes démesurées de la part des fans les plus curieux. De l’autre, un désintérêt assumé des spécialistes de l’œuvre de Tolkien (ou du moins d’une bonne partie d’entre eux) qui s’étaient détachés de la série dès son annonce, convaincus qu’il n’y avait de toute façon rien à en attendre. Comme si son sort était scellé d’avance et voué à l’échec.

Durant sa diffusion aussi, les réactions n’ont pas été tendres à l’égard des Anneaux de Pouvoir, les puristes étant constamment aux aguets, prêts à débusquer la moindre incohérence pour dénoncer une adaptation indigne de l’esprit de l’œuvre littéraire de Tolkien. Un procès d’intention qui avait également été fait à Peter Jackson par tous ceux qui considéraient Le Seigneur des Anneaux comme inadaptable. Depuis, le réalisateur a prouvé qu’il était possible de rendre hommage aux écrits de Tolkien tout en délivrant sa propre vision du mythe. C’est donc conscients des périls qui les attendaient que les showrunners J.D. Payne et Patrick McKay ont relevé le défi de creuser dans les sillons périlleux du Second Âge.

Rien de plus qu’une « fan fiction pro » à la sauce woke ? Vraiment ?

Si la plupart des spécialistes de Tolkien se refusent donc à chercher quoi que ce soit de positif dans la série (souvent par principe), ils reconnaissent tout de même que la traque permanente des incohérences gâche considérablement le plaisir de la découverte. C’est ce que Jean-Rodolphe Turlin a confié au site 20 minutes dans une interview, qualifiant même la série de « fan fiction pro », dans le sens où elle ne serait qu’une « extrapolation et une invention autour de l’œuvre de Tolkien » réalisée, non par des amateurs mais par des professionnels.

Je suis un peu dur avec la série, mais d’épisode en épisode, je vais de déception en déception. Même en me mettant loin de l’œuvre de Tolkien pour essayer d’apprécier la série. Il y a trop d’incohérences. En ce qui me concerne il n’y a pas de suspension de l’incrédulité. Je reste tellement attentif à la moindre erreur que ça m’en gâche les épisodes. - Jean-Rodolphe Turlin pour le site 20 minutes

Heureusement, ceux qui aiment simplement l’univers de Tolkien pour les portes qu’il nous ouvre sur l’imaginaire, sans pour autant rester fermés à des visions parfois différentes de celles attendues (exigées ?) par les fans, répondent en expliquant qu’une adaptation est avant tout une interprétation subjective. Elle n'a pas à être l'exacte copie de l’œuvre originale et doit même, au contraire, apporter quelque chose en plus pour revendiquer un quelconque intérêt. Et sur ce point-là, la série ose justement explorer des voies nouvelles, en se servant des pistes livrées par Tolkien comme point de départ pour ensuite laisser l’imagination faire le reste.

L’idée n’est pas tant de chercher à satisfaire ceux qui sont convaincus que l’œuvre est inadaptable, que d’offrir un voyage inspirant à travers les mythes de l’auteur. Et cela ne peut se faire qu’en présence de protagonistes revisités de manière à nous livrer des facettes inédites de leur personnalité. Ceux qui y voient là une hérésie savent d’emblée que le visionnage de la série sera, pour eux, voué à l’échec. Quant à la prétendue illégitimité d’acteurs de couleur en Terre du Milieu, nous ne reviendrons pas là-dessus, d’autres s’en étant déjà chargés bien mieux que nous ne le ferions.

Une porte d’entrée vers le « Légendaire » de Tolkien

S’il y a bien une chose que tout le monde devrait d’abord s’accorder à dire, c’est que la série a véritablement relancé l’intérêt du grand public pour les œuvres de Tolkien, au-delà du Seigneur des Anneaux et du Hobbit. Grâce aux Anneaux de Pouvoir, nombreux sont ceux à se plonger pour la première fois dans les pages du Silmarillion, du Livre des Contes Perdus ou des Contes et Légendes Inachevés, afin de mieux cerner les origines du mythe. Et c’est avec un réel plaisir que l’on voit fleurir en français de nouvelles éditions magnifiques en l’honneur des écrits de J.R.R. Tolkien. Avec un peu de chance, cet élan pourrait, qui sait, permettre un jour à Christian Bourgois Editeur de poursuivre la série de volumes dédiés à « l’Histoire de la Terre du Milieu », toujours incomplète à ce jour en langue française.

Une saison de mise en place : le calme avant la tempête ?

Mais revenons à la série. Si cette première saison prend autant son temps pour mettre en place ses pions, c’est pour mieux nous préparer à des événements qui ne surviendront que beaucoup plus tard. Conséquence : il y a forcément beaucoup de frustration à accepter une vision sur un aussi long terme, la série devant s’échelonner sur 5 saisons dont on n’est pas près de voir le bout… Mais plutôt que de précipiter l’enchaînement des événements les plus attendus par les connaisseurs, les showrunners ont préféré s’assurer que l’on s’attache d’abord à l’univers de la série en adhérant (ou pas) à la vision proposée. Les mystères entourant l’identité de certains personnages ajoutent une vraie plus-value en nous empêchant d’anticiper trop vite certains faits pourtant inéluctables. Car ce n’est qu’en partageant d’abord l’insouciance des peuples de la Terre du Milieu que l’on pourra pleinement appréhender l’ampleur des drames qui s’annoncent.

En prenant le temps d’installer son univers, la série nous offre aussi de multiples occasions de voyager pour nous laisser seuls juges de la qualité des panoramas grandioses réalisés grâce au budget pharaonique mis à disposition. Les paysages sont réellement splendides et tout à fait respectueux de la vision donnée par Tolkien à travers ses cartes et ses descriptions. Véritable réussite sur le plan artistique, la série passe des forêts enchanteresses du Lindon aux souterrains de Khazad-dûm du temps de sa grandeur, avec un détour incroyable du côté du royaume insulaire de Númenor. Elle dépeint avec beaucoup d’efficacité la majesté de celle que l’on aime à considérer comme « l’Atlantide de Tolkien » pour s’assurer que l’on s’attache véritablement à cette île dont le destin terrible semble inéluctablement dicté par une prophétie.

Des promesses non tenues ?

En choisissant de s’ouvrir sur un prologue qui affiche des ambitions quelque peu trompeuses sur la suite de ce qui nous attend, la série ne démarre pas dans les meilleures conditions. Car en relevant le défi de retracer une période infiniment plus vaste que celle des deux trilogies de Peter Jackson, elle convoque tout le « Légendaire » de Tolkien et n’hésite pas à renvoyer à des faits largement antérieurs aux événements du Second Âge, s’inscrivant dans un registre épique qui s’efface beaucoup trop rapidement. En nous relatant, dès son préambule, des hauts-faits qui remontent à une époque où Morgoth était l’ennemi du monde, bien avant Sauron, elle crée déjà une frustration. Celle de savoir que l’on ne sera témoin ni de la création d’Arda, ni de celle de ses peuples et encore moins de la quête des Silmarils. Qui n’a jamais rêvé d’assister au voyage d’Eärendil ou à la défaite de Morgoth ? L’ambition de la série est bien moindre puisqu’elle se contente d’évoquer ou de mentionner les légendes les plus anciennes, faute de détenir les droits du Silmarillion et autres récits.

Ce long prologue qui justifie la détermination de Galadriel à traquer Sauron aurait pourtant mérité un épisode complet pour être développé à sa juste valeur. Car, même si plusieurs événements majeurs propres au Second Âge rendent tout à fait pertinent le choix de s’ancrer dans cette période charnière de l’histoire de la Terre du Milieu, la dimension épique retombe beaucoup trop vite. La série a ainsi été rapidement critiquée pour son manque de rythme au profit d’une approche plus narrative, ce qui n’est pas forcément du goût de tout le monde. Les scènes de batailles sont rares et l’écriture des personnages pas toujours à la hauteur de l’image que Tolkien en a laissée dans nos esprits. Celebrimbor et Gil-galad sont ainsi largement mis de coté durant l’essentiel des épisodes, attendant patiemment leur heure, Les Anneaux de Pouvoir préférant s’attarder sur des individus inédits dont on ne peut anticiper ni l’importance, ni la pertinence à l’échelle globale de la série.

Prise de libertés et interprétations

Une prise de libertés qui ne fait pourtant pas que desservir la série, la question de l’identité véritable de certains des individus spécialement créés pour l’occasion ayant réussi à passionner les internautes durant toute la durée de la première saison ! À maintes reprises, la série fait d’ailleurs tout pour nous persuader qu’une chose est vraie avant de nous démontrer qu’il n’en est rien l’instant d’après. Une ficelle narrative efficace mais qui tend à devenir vite prévisible, tant elle est utilisée massivement sur l’ensemble des épisodes.

Ce qui est sûr, c’est que les puristes obnubilés par la comparaison constante avec le matériau d’origine n’auront clairement pas pu apprécier la série autant que les néophytes qui se seront laissés portés par la simple vision du mythe donnée au travers des épisodes. Les showrunners ont répété a maintes reprises que leur volonté était d’abord de nous entraîner dans une histoire à travers le passé de la Terre du Milieu, tout en encourageant la libre interprétation de chacun au sujet des éléments inédits. Les détracteurs des Anneaux de Pouvoir dénoncent une Galadriel trop guerrière ? Pourtant, son art du combat n’enlève rien à sa féminité. La Galadriel de la série reste digne en toutes circonstances, malgré la tempête qui l’habite, car sa détermination à mettre fin aux agissements de Sauron est ancrée au plus profond du personnage, y compris dans les écrits de Tolkien. Alors pourquoi ne pas valider cette vision d’une Galadriel appelée à jouer un rôle beaucoup plus grand que celui que l’auteur laissait entrevoir ? La série a justement le mérite de nous forcer à nous interroger au-delà des apparences en osant parfois même suggérer l’impensable… Incitant alors à un second visionnage bien différent après avoir fait tomber les masques.

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