“Twitch fait de la vieille télé pour les jeunes” : c'est le titre de l'article massivement relayé hier et écrit par Caroline Sallé dans les colonnes du Figaro. Constat similaire tiré par Valentin Cebo chez Numerama : “Avec le GP Explorer, Twitch n’a jamais été aussi proche de la télévision”. L’élément de cette prise de conscience, c’est l’audience glanée par la compétition de Formule 4 tenue ce samedi 8 octobre sur le circuit des 24h du Mans. Un grand spectacle de divertissement organisé par Squeezie, l’une des vedettes de la plateforme Twitch, et animé par quelques confrères et acolytes : Doigby, Kameto et Pape-San, entre autres. 22 candidats au podium, tout aussi célèbres, se sont entraînés durant des semaines pour participer à cet événement à 3 millions d’euros de budget.

Le résultat est éloquent, l’événement s’est achevé sur un record historique de viewers Twitch France : 1 million de spectateurs étaient au rendez-vous tandis que 37 000 supporters étaient déjà sur place. Une audience digne d’un Grand Prix de Formule 1, d'ailleurs même deux fois plus forte que le GP Japan diffusé sur Canal+. Le GP Explorer est ni plus ni moins la compétition sportive la plus engageante de ces derniers jours. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : l’événement génère 7 fois plus de conversations que le Japan GP, 6 fois plus de conversations que le French GP en juillet 2022, et même 16 fois plus de conversations que le match LOSC RC Lens, le match de Ligue 1 diffusé en prime ce dimanche. Rarement une transmission Twitch n’a autant été comparée au petit écran. D’ailleurs, c’est une régie de télévision, AMP Visual TV, qui s’est chargée de la réalisation.

C’est là que le GP Explorer jongle entre deux visions : celle d’un live Twitch et celle d’une émission dantesque aux moyens colossaux. Tout était présenté, commenté, réalisé et animé presque exactement comme la télévision, et pas toujours avec la proximité et la spontanéité qui caractérisent l’usage traditionnel de Twitch. On en voit d’ailleurs par moments les limites, quand des moments « très Twitch », des interviews parfois un peu gênantes ou des interventions viennent ponctuer le déroulement de la journée, ou que les rares interactions avec le chat se résument à une course au record d’audience, en disant aux spectateurs « d’appeler leur oncle, leur tante et leurs cousins pour regarder l’événement sur tous les supports possibles et faire péter le million ». - Valentin Cebo, Numerama

“Une chaîne Twitch, je crois que c’est une rencontre entre une personnalité"

Elle est loin, l’image stéréotypée du streamer qui joue dans l’ambiance tamisée de sa chambre à coucher. Plus que jamais, les chaînes se formatent et s’équipent de moyens de production boostés par des boîtes et des sponsors. Popcorn, Back Seat… les talks bien cadrés se multiplient aujourd’hui sur la plateforme, toujours sur un ton plus ou moins familial. Ici, l’interaction avec le chat s’efface souvent pour laisser la parole aux invités. Chacun parvient à se caler dans des registres encore peu exploités et attire un public fidélisé sur divers sujets, du talk pur à la politique vulgarisée. On distingue encore la plateforme des médias traditionnels pour l’authenticité de son contenu forcément dénué de post-production. Un point toutefois nuancé par la journaliste Chloé Woitier sur son compte Twitter : “On évoque en commentaire la "proximité" et "l'authenticité" que les stars de Twitch entretiendraient avec leur public, mais on pourrait dire la même chose d'Hanouna et de ses fanzouzes par exemple.”

Sur YouTube, c’est d’autres axes qui rappellent les vieux codes de la télé. Dans l’une de ses dernières vidéos, Squeezie invite Jamel Debbouze et Alice Belaidi pour participer à l’un de ses jeux. Les deux acteurs sont alors en pleine promotion de leur long-métrage, Le Nouveau Jouet. Ce n’est pas nouveau. De plus en plus, comédiens et chanteurs sont autant invités sur les décors des vidéastes que sur les plateaux télé de Ardisson et Hanouna. Les créateurs de contenu reprennent-ils les mêmes concepts avec des outils différents, réinventent-ils le divertissement avec des codes plus modernes ? Twitch se démarque-t-il maintenant plus par ses animateurs que par ses concepts ? Plus simplement, Twitch ressemble-t-il de plus en plus à la télé ? “Ce n’est pas mon avis”, dira Samuel Étienne, à la fois animateur TV et vulgarisateur d’actualités sur Twitch qui a pris le temps de décortiquer l’article du Figaro sur son émission La Matinée Est Tienne.

Une chaîne Twitch, je crois que c’est une rencontre entre une personnalité et une communauté et non pas entre une entreprise, une marque, et des gens. (...) Même quand des émissions ambitieuses produites avec des moyens ressemblent à de la télé, c’est pas de la télé. Twitch c’est une personnalité et pas une marque.

Et d’ajouter : “Sur Twitch vous avez le temps que vous voulez”, un temps luxueux dit-il, “qui peut amener à plus de qualité qu'à la télé, où il faut aller très vite”. Sur les réseaux, les avis sont massivement disparates. Quand certains accusent une comparaison erronée entre télévision et internet, d’autres remarquent des concepts très similaires. Dans les faits, nous avons en tout cas vu les résultats désastreux d’un média traditionnel qui tente de s'implanter sur Twitch. BFM pour ne citer que lui, avait reçu une pluie d’insultes à la diffusion de son premier live et a depuis décidé de ne plus tenter le diable. Seul ARTE semble encore bien s’en sortir en visant le créneau du jeu vidéo avec son émission Jour de Play.

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