Vous en avez peut-être entendu parler, le magazine Marianne a publié un article sur l'eSport ... qui a parfois fait rire, parfois atterré, les spécialistes du domaine sur les réseaux.
Un article baptisé "Le 'e-sport', un sport comme un autre ?" publié par Marianne et signé Jérémie Peltier, a suscité de vives réactions sur Internet. Beaucoup estiment qu'il s'agit d'un article manquant de recherches, et écrit avec une certaine condescendance. Surtout, ces observateurs espéraient qu'en 2022, on n'en était plus là ...
Les jeux vidéo dans les médias traditionnels, y'a du mieux ?
Pendant très longtemps, voir parler les médias traditionnels de jeu vidéo était compliqué pour les fans. Depuis quelques années, et notamment grâce à des médias généralistes qui en parlent très bien sur Internet, à la démocratisation du jeu vidéo dans toutes les sphères sociales et générationnelles, à la place que cette industrie a pris dans l'économie mondiale, il semble que le traitement du jeu vidéo dans les médias mainstreams soit de plus en plus pertinent et fait avec respect. Mais si on en croit les réseaux sociaux, les articles plein de clichés et écrits sciemment à charge n'ont pas disparu, ils se sont seulement déplacés vers l'eSport ...
L'eSport, un sport ? Un débat que n'ont plus vraiment les spécialistes
Le titre lui-même pose déjà question, tant la formulation "Le e-sport" semble forcée, alors que l'extrème majorité des gens qui utilisent ce terme en français disent simplement "l'eSport" (on ne débat pas ici de l'orthogrape eSport / e-sport, mais on parle bien du fait qu'en français, une voyelle après "le" transforme ce dernier en " l' "). Quand on lit l'article, on retrouve d'abord l'éternel débat sur la différence entre sport traditionnel et eSport, dans un contexte de JO à Paris en 2024, et d'événements eSport annoncés par le Président de la République. Un débat que n'ont plus vraiment les spécialistes d'eSport depuis un moment déjà.
En effet, il y a ceux qui estiment que c'est un sport comme un autre, puisqu'il y a des entraînements intensifs, des périodes d'euphorie et de doute, qu'il y a carrément des préparateurs mentaux, mais aussi physiques, que les joueurs pros ont tous ou presque des physiques très entrenus pour tenir la cadence des matchs, le cardio nécessaire et sont capables de supporter une forte pression.
Et il y a ceux qui estiment que c'est un sport différent des sports traditionnels, qui n'a pas besoin de se comparer, ou d'être validé par ceux-ci. Rappelons que les échecs sont considérés comme un sport et que des sports présents aux JO tels que le golf ou le tir à l'arc / le tir sportif, sont des disciplines sportives qui demandent plus de capacités mentales (notamment de précision, qu'on retrouve en eSport) que purement athlétiques. Autrement dit, les avis divergent, mais on ne débat plus de l'appellation "sport", chez ceux qui s'y connaissent.
Attaque envers l'eSport ... ou les jeux vidéo ?
Ajoutons que l'article fait très vite une confusion : mélanger pratique du jeu vidéo et eSport. En effet, quand on lit des passages tels que celui ci-dessous, on comprend rapidement que l'auteur mélange les deux activités.
Car évidemment, vous le voyez venir gros comme une maison, tout cela est du sport. Bah oui. Du sport. C’est bien connu. Tout le monde fait du sport assis sur une chaise sans bouger ou dans un canapé. C’est bien connu que le fait de regarder un écran sans cligner des yeux, c’est du sport et de la résistance physique. Oui, c’est bien connu. On va nous expliquer que le e-sport, c’est super car ça développe plein de compétences. De l’esprit d’équipe, un sens tactique, des réflexes. Bah oui. Et comme c’est du sport, c’est forcément bon pour la santé (car le sport, c’est a priori bon pour la santé).
Si vous avez déjà vu un joueur compétitif, sans même parler d'un professionnel de l'eSport, vous savez qu'aucun n'est dans son canapé et aucun n'est réellement immobile. On voit là la confusion avec la pratique loisir du jeu vidéo, qui n'a pas grand chose à voir avec la pratique eSportive et encore moins dans un cadre professionnel.
Le reste du paragraphe nous parle de santé, alors qu'on sait que la pratique du sport à très haut niveau n'est pas vraiment bonne pour la santé, tant les blessures pendant la carrière, et les conséquences post-carrière professionnelle sur le corps, peuvent être désastreuses (des dégâts au cerveau dans le rugby, le football américain, des dégâts à la colonne vertébrale en gymnastique, etc ...). Il n'est en aucun cas question de douter du bienfait d'une activité physique sur la santé : c'est évident ! En revanche, le sport professionnel consiste très souvent à demander à son corps de faire plus que ce qui semble bon pour lui.
L'eSport, mauvais pour la santé ?
Le reste de l'article continue à parler des problèmes de santé qu'apporterait, selon le magazine, l'eSport : myopie, baisse des capacités pulmonaires dûe à la sédentarité engendrée par l'exposition aux écrans, obésité, etc ... Là encore, cela peut être pertinent pour parler de pratique vidéoludique de loisir, sûrement pas d'eSport professionnel. Encore une fois, les joueurs pros s'entraînent physiquement chaque jour pour être au top de leur forme selon l'adage bien connu : un esprit sain, dans un corps sain. Là encore, en totale contradiction avec le dernier paragraphe de l'article qui nous explique que les jeunes n'ont plus le temps de faire du sport et que c'est à cause de l'eSport.
un jeune sur quatre âgé entre 16 à 25 ans déclare faire peu d’activités physiques ou sportives (moins de trois fois par mois), voire aucune, et que parmi les raisons invoquées, le manque de temps arrive en tête
Or, un jeune sur quatre ne pratique pas d'eSport, c'est une toute petite poignée de joueurs, une élite.
Un article très mal perçu qui prend les joueurs de haut ?
C'est sans parler des phrases ultra-condescendantes comme :
Nous ne nous étalerons pas sur l’excellent impact que l’on peut attendre du e-sport sur la concentration, la mémorisation et la capacité de nos adolescents à avoir plus de 500 mots de vocabulaire. Je pense que les bienfaits seront visibles dans un bref délai.
Marianne associe donc clairement pratique eSportive et manque de vocabulaire. Encore une fois, "nos adolescents" jouent aux jeux vidéo, mais ne sont pas des joueurs professionnels d'eSport. Ajoutons à ça le mépris de classe de la phrase, disant clairement que qui joue aux jeux vidéo ne connait pas la langue française et implicitement que qui manque de vocabulaire est bête.
Un article qui aurait pu servir de vecteur d'explication d'une nouvelle discipline compétitive pour un public qui ne la connait pas ou peu, devient un article méprisant. D'ailleurs, même Marianne ne fait pas l'effort pédagogique et explicatif qui devrait venir naturellement avec ce genre d'article, puisque, d'après eux, "on s'en fout".
Vous n’avez rien compris ? Vous ne savez pas ce que sont les Major Counter Strike ni les TrackMania Games ? On s’en fout.
Des réactions en chaîne sur Twitter
Vous vous en doutez, les réactions des internautes ont été rapides et - pour certaines - furieuses. D'abord, pour tous les amalgames et autres confusions de l'article : différencier jeux vidéo et eSport, c'est le premier point, mais pas seulement. L'article met dans la bouche des fans d'eSport des avis qu'ils n'ont pas tous, et parfois des avis pas vraiment majoritaires. On en parlait plus haut, beaucoup des fans considèrent l'eSport comme un sport, mais pas un sport traditionnel. Surtout, l'article dit ceci :
Car évidemment, les adeptes du e-sport veulent participer aux Jeux olympiques dans le futur. Car évidemment, vous le voyez venir gros comme une maison, tout cela est du sport.
Une autre erreur classique. Car les fans d'eSport veulent leurs Jeux Olympiques, pas vraiment participer aux JO classiques. C'est Marianne qui le dit, pas les "adeptes" dont ils parlent.
On demande juste une compétition internationale entre pays c'est tout
— ᚣᚧ ᚳᛊᛢ ᚹᛉᚱᚣᛖᛁᚧᛊᛢ🚀 (@adelbien0ukoi) September 22, 2022
D'autant plus qu'il ne s'agit pas d'un article de presse en fait, c'est juste un billet d'humeur.
— Luckxy (@Luckxy7) September 22, 2022
Je dois avouer cependant que cela m'a fait mourir de rire d'avoir, au milieu de la lecture, une recommandation pour un article qui te vend du jeux-vidéo.😂 pic.twitter.com/RvtzdNrPrb
Ah ça y est ça faisait longtemps qu'on avait pas lu autant de conneries
— Laure Valée (@LaureBuliiV) September 22, 2022
J’ai eu le courage de tout lire et ça m’a bien cassé les couilles.
— Adam (@Ricadam_lol) September 22, 2022
Écrire de telles conneries prouve bien que votre travail de recherche est inexistant. CRINGE
C'est quand même terrible le manque de recherche, la condescendance, et l'absence totale d'argument basés sur une connaissance du sujet.
— Etoiles (@AREtoiles) September 22, 2022
On se croirait 15 ans en retard
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Source : Marianne
L'article de Marianne a donc manqué l'occasion de poser de véritables questions pertinentes sur l'eSport et s'est contenté d'enchaîner les clichés que l'on pourrait qualifier de médisants sur le jeu vidéo. Il n'en fallait pas plus pour avoir ce genre de réactions ...