Merci tous les deux pour votre lecture
Le 21 novembre 2016 à 13:15:58 HelpingFR a écrit :
Chapitre 8 luToujours aussi bien, j'ai adoré la confrontation Domitille/Louise, la non insistance de la soeur
Domitille se révèle de plus en plus arrogante et sournoise je trouve Mais je n'ai pas trop compris, Edmond perd son droit de partir à l'AE ou c'est son frère qui doit raccompagner Domitille qui dit ça ?
Et aussi, Hyacinthe meurt, mais les deux frères Millepertuis réussissent à s'échapper, mais vu comment tu le dis, on dirait qu'ils disparaissent du coup, c'était vraiment flou pour moi
C'est son frère qui ne peut plus assister à l'AE
L'histoire est racontée du POV de Domitille, du coup elle est trop occupé à fuir pour s'enquérir du sort des frères Millepertuis. Mais oui ils meurent, ils étaient submergés Même si les brigands ont bien pris cher
Le 21 novembre 2016 à 13:38:51 Arduilanar a écrit :
Chapitre 8 :"elle ne pouvait que s’auto-congratuler pour sa cautèle"
C'est très laid "s'auto-congratuler".
Se féliciter ça vaut beaucoup mieux.
S'auto-congratuler en oscillo-battant
"D’aucuns n’y auraient pensé"
À nouveau tu utilises le mot de travers, c'est à employer comme "certains" et pas comme "personne".
Fichtre
"L’aînée de ses puînées occupait ses journées à brasser de la bile et à moudre du noir."
Je sais que tu en es fier mais franchement je suis pas fan de la phrase.
"Assise en tailleur sur son lit, Louise Aubépine paressait tel une morte revenue sur terre, violement tirée de son bouquin, les cheveux en pagaille et la gueule enfarinée."
Gisait plutôt que paressait, et bouquin ça fait beaucoup trop oral et familier.
Je comprends pas pourquoi le gisait ? enfin on a l'impression que c'est un cadavre quoi
"Domitille s’était souvent montrée cruelle vis-à-vis de ça,"
"Ça". "A ce sujet" ce serait plus élégant je trouve.
I changed it master
"Ma première directive en tant que seigneur sera que tu restes ici à accomplir la mission que père te confia. "
C'est bizarre d'utiliser le passé simple pour "confia", normalement c'est le passé composé qui marque que l'action a encore un impact dans le présent.
certes
"n’avait connu que pour couche le sol poussiéreux "
N'avait connu pour couche que le sol poussiéreux.
certes
"bien qu’elle fût rapidement gavée par cette manie"
Je crois que "gaver" n'est pas autorisé.
sisi tkt
"Profite de mon absence pour t’entretenir avec un mitharo, il faudrait aérer un peu là-haut"
Pas bien compris l'expression.
Bah mettre de l'air frais dans son crâne, s'aérer l'esprit, etc
Bon, j'ai un peu fait mon Ggiot, mais j'ai quand même bien aimé le chapitre. Tu es par contre plus à l'aise pour l'action que pour les histoires de demoiselles semble-t-il.
Je suis plus un homme d'action qu'une demoiselle, ça doit être pour ça
Merci tous les deux pour votre lecture
Le 21 novembre 2016 à 13:15:58 HelpingFR a écrit :
Chapitre 8 luToujours aussi bien, j'ai adoré la confrontation Domitille/Louise, la non insistance de la soeur
Domitille se révèle de plus en plus arrogante et sournoise je trouve Mais je n'ai pas trop compris, Edmond perd son droit de partir à l'AE ou c'est son frère qui doit raccompagner Domitille qui dit ça ?
Et aussi, Hyacinthe meurt, mais les deux frères Millepertuis réussissent à s'échapper, mais vu comment tu le dis, on dirait qu'ils disparaissent du coup, c'était vraiment flou pour moi
C'est son frère qui ne peut plus assister à l'AE
L'histoire est racontée du POV de Domitille, du coup elle est trop occupé à fuir pour s'enquérir du sort des frères Millepertuis. Mais oui ils meurent, ils étaient submergés Même si les brigands ont bien pris cher
Mais du coup, qui c'est qui la sauve
Je comprends pas pourquoi le gisait ? enfin on a l'impression que c'est un cadavre quoi
Oui mais si elle ne peut pas "paresser telle une morte". Une morte ça ne paresse plus normalement.
Le 21 novembre 2016 à 13:38:51 Arduilanar a écrit :
Bon, j'ai un peu fait mon Ggiot, mais j'ai quand même bien aimé le chapitre. Tu es par contre plus à l'aise pour l'action que pour les histoires de demoiselles semble-t-il.
Moi je mets toujours mon opinion sur le fond, et je fais aussi une conclusion sur la forme que j'ai détaillé avant ! Et puis pourquoi "... mais j'ai bien aimé le chapitre" ? J'aime rien moi ?
Plus sérieusement, Lepere, tu as un pdf avec la dernière version de l'AE ? Je pourrais te lire et commenter l'ensemble, sans m'attarder sur les détails, comme avec La Marque, quoi.
Coucou tous les deux
Je peux pas trop vous répondre décemment parce que j'ai mon gros chat humain qui me tourne autour, mais merci pour ta lecture Brad j'y reviens plus en détail demain.
Ggiot avec plaisir mais ce serait pas mal que tu finisses de lire la version 2 de la marque tu t'étais arrêté à la bataille soit 12/18
Ok, ba je vais reprendre tout ça !
Le 21 novembre 2016 à 21:49:01 ggiot a écrit :
Moi je mets toujours mon opinion sur le fond, et je fais aussi une conclusion sur la forme que j'ai détaillé avant ! Et puis pourquoi "... mais j'ai bien aimé le chapitre" ? J'aime rien moi ?
Je n'ai pas fait aussi bien que le maître.
Non, j'ai précisé que j'avais bien aimé parce que Nono aurait pu avoir un doute en voyant que je ne faisais que le reprendre sur la forme.
Le 21 novembre 2016 à 19:35:54 BradPriwin a écrit :
Chapitre 8 lu !Que ces bécasses inondent le sol jusqu’à mourir de sécheresse, elles ne valaient pas l’effort de les réconforter. Une vraie tristesse les aurait conduites sur les pas de leurs époux.
C'est quand même un peu rude tout ça : dans un véritable amour, les amoureux doivent se suicider si l'autre mort ?
Domitille se pense supérieure à elles parce qu'elle s'invite justement à l'AE alors que les autres châtelaines se morfondent sans rien faire
Domitille s’était souvent montrée cruelle vis-à-vis de ça,
C'est un détail mais étant donné le registre du texte, ne serait-ce pas mieux d'utiliser "cela" ?
Ardui m'a fait la remarque, j'ai remplacé par "à ce sujet"
Que nenni ma chère, je viens même te confier ce rouleau. »
>« Dans ce cas, poursuis-moi et fait moi trancher la tête. »
fais* Encore une horrible faute !
« Efface-moi immédiatement ces risettes, je t’assure que ça ne va pas bien se passer pour toi, menaça Edmond e,
Un e s'est égaré
je crois que j'ai voulu écrire "en s'éloignant"
Sur ces entrefaites, je n'ai pas encore trop de choses à dire sur le chapitre en général. Il est dans la moyenne niveau qualité. Tout comme Helping, j'ai plutôt bien aimé la confrontation entre Domitille et Louise. Il me semble que tu diversifies davantage les points de vue, auquel cas ma remarque initiale est peut-être inopportune.
Ta remarque initiale ?
Quoi qu'il en soit, je suis aussi content que tu traites des conflits entre personnages. Très sincèrement, dans beaucoup d'oeuvres fictives, les disputes idéologiques entre protagonistes figurent souvent parmi mes préférés, donc c'est un bon ajout !
Merci
Le 21 novembre 2016 à 22:25:28 ggiot a écrit :
Ok, ba je vais reprendre tout ça !
Tu trouveras le pdf de la marque ici http://www.labarakafic.fr/lamarque.pdf
CHAPITRE 9 : LA VISITE DU CHEVALIER-GUEUX
ADRIAN
Depuis son balcon, Adrian Wiern contemplait les toits noirs et pointus qui habillaient Fieramont. Le givre les engonçait d’un fin châle de gaze chatoyant à l’aurore. Dans l’immensité bleu pastel, quelques nuages d’orage rosissaient. Les balustres gelés mordaient ses mains nues. Tout son corps protestait à grands cris : son épiderme s’était granulé et ses genoux claquaient. Ses yeux, ses grands yeux verts de Wiern semblaient morts, vitreux. Ils témoignaient de son esprit en maraude qui parcourait des lieux où corps et conscience devenaient abstraits. Lointains, des coups sourds le sortirent lentement de sa torpeur. Puis, un chuchotement, de plus en plus audible.
« Adrian, appelait-il, Adrian, je vous en conjure, ouvrez-moi. »
Il y avait une semaine que le jeune fils d’Alexander Wiern refusait de voir quiconque. La seule personne dont il souffrait la présence s’évertuait à passer la porte qui donnait sur son balcon. Le vieux Perruquet tenait tout d’un féal chien, et le valet sacrifiait corps et âme à son maître. Adrian céda et défit le loquet. Le larbin, d’un geste paternel, lui cueillit la joue.
« Vous êtes si pâle, il vous faut avaler quelque chose.
— Je n’ai pas faim. »
Sa gorge se délia mais non sans peine : ce fut comme si un millier de couteaux s’opiniâtraient à lui cisailler les cordes vocales.
« Vous avez attrapé froid… se morfondit le vieillard. Pourquoi n’en faites-vous qu’à votre tête ? Ne vous avez-je pas dit de ne pas rester à portée du vent ?
— Paix, Perruquet. » coassa Adrian.
La douce tiédeur de sa chambre l’enlaça et le souvenir de sa mère qui le couvait dans ses bras l’immergea. La douceur d’Helena se trouvait bel et bien dans la chaleureuse pièce, mais c’était le balcon qui l’attirait. Le balcon d’une froideur et d’un silence sans précédent. Son Alexander Wiern de père semblait vouloir lui montrer la voie. Un chemin de guerre et de massacre, suivi d’un froid mortel.
« Je suis venu vous demander une fois de plus de bien vouloir faire acte de présence, mon seigneur. Aujourd’hui ont lieu les funérailles de votre cousin… »
Des milliers de fragments de bois déferlèrent de toutes parts, et la gorge de Lucian se déchira dans une gerbe écarlate. Puis, les deux cavaliers furent éjectés de leurs chevaux, le souffle coupé après avoir mordu la poussière.
« Adrian ! »
Le jeune Wiern reprit ses esprits dans les bras de Perruquet. Il semblait qu’il ait chuté. Une table privée de son contenu gisait lamentablement à ses côtés. C’était d’une lance qu’il avait rêvée, non pas d’un vulgaire meuble…
« Depuis quand jeûnez-vous ? s’enquit le valet, mort d’inquiétude.
— Depuis que mon estomac se comporte comme un ivrogne…
— Laissez-moi vous apporter un bouillon. »
Les quelques carottes et navets qui flottaient à la surface du potage ne franchirent jamais son gosier. Adrian laissa couler le jus bouillant et il s’embrasa à l’intérieur. Il apaisa l’incendie de ses tripes par une grande rasade de vin insipide.
« Je descendrai, assura-t-il.
— Les courtisans s’inquiètent pour vous. La jeune Anaïs Mehl s’enquiert souvent de votre état.
— Je m’assurerai de leur transmettre mes amitiés. »
Adrian frotta son visage moite dans ses mains et soupira : « il faut que je m’habille. »
Du vomi formait des croûtes sur ses linges sales. Perruquet l’aida à prendre son bain. Le valet lui appliqua du jus de bette et de la bouillie de feuilles de noyer sur ses cheveux châtains. Ensuite, il lui épila les aisselles et les badigeonna d’un mélange de vin, d’eau de rose et de jus de casseligne. Pour finir le tout, il appliqua de l’os de seiche écrasée sur ses dents. Une fois sec, Adrian s’enveloppa dans une houppelande de zibeline noire, un loup brodé sur sa poitrine en fils d’argent.
« Brûle cette guenille. » ordonna le jeune Wiern en désignant le tas de loques souillées. Les flammes grandirent jusqu’à avaler tout rond les immondices.
L’église attenante au château sonnait le glas. Soumis aux courants d’air, la lugubre bâtisse semblait tout en nuances de gris. D’ordinaire, la lumière irradiait de vert, rouge, bleu et or le dallage à travers les vitraux. Même les fidèles, vêtus de noir à l’instar d’Adrian semblaient des ombres sur la pierre. Le jeune Wiern pénétra parmi les premiers le lieu saint. Nichées entre les colonnes, quelques statues veillaient, sentinelles des âmes des défunts. Adrian alla s’agenouiller aux prie-Dieu du premier rang, face à l’autel. Petit à petit, les endeuillés remplirent l’église. La famille Schwert le rejoignit, et Maximilien, le chef de maison le salua avec gravité. L’ambiance pesait : hormis les cloches messagères de mort, seule l’écho des pas et la toux des bigots perturbaient le silence. Quand le prêtre supérieur arriva, cerné de ses fidèles, tout le monde se leva dans un froufrou d’étoffe. L’on aurait dit une fleur aux pétales opalins et au cœur sanglant. Le pontife, reconnaissable à sa bure écarlate s’installa cérémonieusement derrière l’autel et s’agenouilla pour prier. Comme la houle perturbant les flots, l’assemblée l’imita, et les prêtres entamèrent les laudes. Montèrent alors les lamentations dans la nef, et le corps arriva. Frank et Iwan Wiern portaient avec le concours de deux chevaliers le catafalque sur lequel reposait Lucian, tout en armure. Des légers remugles de décomposition s’exhalaient, mais tous eurent la décence de ne pas manifester leur dégoût. Dans la loggia, les pleurs des violes grincèrent et alourdirent le cœur des badauds. Adrian fixa le sol, sentant les larmes s’amonceler. Maximilien Schwert lui posa la main sur son épaule et lui pressa pour lui donner de la force. Chacune des notes enserrait le cœur du jeune homme. Si seulement il n’était pas passé par les cuisines ce soir-là, jamais il n’aurait commis l’irréparable. Si seulement il avait accepté la requête de Bécasse, jamais Lucian ne l’aurait trahi. Si seulement… Les instruments se turent.
« Messieurs, mesdames, commença le prêtre vêtu de rouge. Nous voici unis aujourd’hui dans le chagrin pour célébrer le passage de sire Lucian Wiern dans l’au-delà, où la vie éternelle lui sera offerte. »
Quand le cortège funéraire atteignit la fin de l’allée, on déposa près du défunt des gerbes de roses blanches et des cierges furent allumés. L’armure se diapra d’or à la lueur des flammèches.
« La lumière de Dieu se pose sur nous à chaque instant, que ce soit lors de notre première inspiration sur terre, que l’on laboure son champ ou que l’on défende nos foyers et nos familles. Pour la dernière fois, Lucian, Sa lumière t’englobe, et montre à tous que ton voyage commence. »
Les premiers pleurs se firent entendre. Iwan, le jeune frère de Lucian ne tarissait pas de larmes. Parmi les porte-étendards, Adrian aperçut un des chevaliers qui accompagnait le défunt lors de cette nuit tragique réprimer des sanglots. Le jeune Wiern se sentit vaciller. Il était le seul responsable de tant d’affliction. Quelle folie l’avait frappé pour ainsi relever sa lance ? Sa tête le vrilla tout entier, et il ne put que compter sur son prie-Dieu pour ne pas s’affaler. Le prêtre évoqua la vie de Lucian, accompagné de prières et de chants. Quand il eut terminé, chacun fut invité à rendre un dernier hommage au corps. Aidé de Maximilien Schwert, Adrian se traîna jusqu’à la dépouille et lui serra sa main. Le métal des gantelets demeurait aussi froid que leur propriétaire. Que ne s’était-il point estoqué la gorge lui aussi. Sire Schwert lui fit comprendre qu’il s’attardait trop et il regagna sa place. Lucian serait le premier Wiern à reposer dans les cryptes de Fieramont. Quand Adrian sortit de l’église, les sillons de ses larmes le brûlèrent. Frank Wiern, son oncle, recevait les condoléances de chevaliers affligés sur le parvis. Adrian se pétrifia, mû par une peur ineffable. Si jamais sa propre famille lui reprochait son crime, qu’adviendrait-il de lui ?
Irréel, le sire du Val de Croûtepain lui fit face. Adrian ne décela ni colère ni sévérité dans son regard. Seul un profond désappointement et une tristesse accablante. La voix du jeune Wiern s’enrailla :
« Mon oncle… je … »
Le frère d’Alexander l’embrassa sur le front.
« Mon enfant, Lucian connaissait les risques incombés à la chevalerie. Cela aurait pu être la lance de n’importe quel quidam…
— Je ne me pardonnerai jamais…
— Certaines blessures mettront du temps à se refermer. Lucian t’aimait d’un amour sincère, Adrian. Jamais il n’aurait souhaité que tu te morfondes ainsi. »
Jamais il n’aurait souhaité que je ne le tue, pensa le jeune Wiern, plein de rancœur.
« La vie continue, comme il se plaisait à dire, termina Frank. Même si c’est dur. Si dur… »
Sa voix mourut, étouffée au travers de sa gorge. Il plongea ses yeux dans ceux de son neveu. Adrian ne sut déterminer la réelle humeur de son oncle. Une once de tristesse et une pincée de rancœur, mais nulles traces de haine.
« Qu’allez-vous faire maintenant ? questionna-t-il.
— Nous ne rentrons pas tout de suite au Val. Nous sommes venus t’épauler en l’absence de ton père. Nous ne faillirons pas à notre devoir, quoiqu’il ait pu se passer, assura Frank.
— Je pense faire une promenade à cheval. Iwan m’accompagnera-t-il ?
— Les foules sont venues pour les obsèques de Lucian. Parmi eux, le Chevalier-gueux et sa bande de pouilleux. Ils désirent audience. »
Pour la première fois de sa vie, Adrian prit place sur le trône de son père. Sculpté dans du sapin, la cathèdre se dotait d’accoudoirs dont des têtes de loup formaient l’extrémité. Les tables de festin avaient été retirées, dégageant un vaste espace où la cour se tenait à présent. Face à tous les nobles qui assisteraient à sa démonstration d’autorité, Adrian eut le tournis. Frank prit place à ses côtés, la mine grave, le faisant immanquablement ressembler à son frère. Le bourdonnement des chuchotements s’élevait peu à peu, contrastant avec le silence de mort du matin. Les anciens seigneurs Croûtepain observaient les Felseweisern de leurs yeux de pierre. Les statues surplombaient l’assemblée, comme des gargouilles sentinelles. Alexander ne les avait pas sapées, par respect de ses anciens ennemis. Trois sonneries de trompette vrillèrent la grande salle, et un héraut annonça sire Sklard Velgert de Kristeim. La cour observa un silence pesant. Ce ne fut pas une, mais bien quatre personnes qui pénètrent l’enceinte. Le Chevalier-gueux marchait en tête, épaulé d’un malabar hirsute. Sa longue queue de cheval châtain striée de blanc battait son dos à la cadence de ses pas. Sklard demeurait marqué par la vie : de longues balafres rosâtres zébraient sa peau, et son boquillonage attestait d’une blessure ancienne à la jambe. L’état déplorable de son haubert rouillé se dissimulait sous un tabard tenant lieu de cache-misère. L’étoffe ternie revêtait les armes Velgert : De gueules barré de sinople au cygne d’argent. Le rouge était devenu rose par endroit et le vert, pâle. Seul le cygne avait viré au gris.
Les quatre nouveaux venus rendirent un bref hommage et se relevèrent tout aussi rapidement. D’aucun n’eut le temps de prendre la parole que Sklard tonitrua de sa voix rauque :
« Nous vous remercions pour votre hospitalité, Wiern. De même, nous vous présentons toutes nos condoléances.
— Cela est bien trop aimable à vous, Chevalier-gueux. » répliqua Adrian sur la défensive. L’hostilité se lisait sur le visage de son oncle. Cependant, avant que ce dernier ne puisse lancer une pique acerbe, l’ours qui accompagnait sire Velgert intervint.
« Mon garçon, bien que ce bon vieux Frank me connaisse, je crains que nous n’ayons jamais eu le loisir de nous rencontrer, Oui-da ! Je suis Sjur, chevalier oint de Kristeim. »
L’homme, dans la force de l’âge, possédait un visage élégant, légèrement fleuri d’une barbe récente. Quelques mèches d’un blond foncé rebiquaient sur son crâne. Cependant, ses yeux mordorés renfermaient comme une essence animale, une bestialité aussi magnifique qu’inquiétante. Frank Wiern parut sortir de ses gonds.
« Quelle outrecuidance ! fulmina-t-il. Vous voilà, sire Velgert, vous engeançant d’aiglefins et de taille-lard pour babouiner devant nous !
— Mon oncle, l’apaisa Adrian, il suffit.
— Alexander ne l’a jamais adoubé ! s’insurgea Frank.
— Moi, je l’ai fait, indiqua Sklard, une risette moqueuse au coin des lèvres.
— Vous n’avez pas ce droit !
— Mes hommes et moi avons accompli tellement pour votre famille… Il m’a semblé légitime de faire chevalier qui je voulais.
— Vous n’étiez que des mercenaires, estimez-vous heureux qu’Alexander vous ait donné des terres et un titre !
— Il est vrai que le cadeau fut plaisant, moi qui m’attendait à de l’or… J’ai donc hérité d’une ruine et de très peu de reconnaissance.
— Après tout, nous n’avons qu’ouvert la herse de Brise-Brume et permis aux armées de votre frère de défaire celle du seigneur Ebroïn. » lui répondit Sjur avec sarcasme.
Adrian se leva, prenant l’air le plus impérieux possible. Pour son premier bond sur les planches de la politique, il voulait sortir le grand jeu.
« Mon oncle, sire Velgert et… sire Sjur de Kristeim. » Il marqua une pause, soutenant le regard de l’ami de Sklard qui lui adressa un sourire. « Mettons de côtés nos bisbilles, et discourons comme d’honnêtes gens. »
Frank se renfrogna et s’enfonça dans son siège avec mauvaise humeur. Le Chevalier-gueux approuva d’un hochement de tête.
« Merci, messire. De tous les accueils dont nous avons joui au sein de votre cour, celui-ci ne compte pas parmi les plus affables. Mes compagnons ne sont ni des escrocs, ni des cuistres. »
Sklard effectua un pas de côté pour découvrir les deux quidams qui se tenaient là. Le premier, un grand diable au visage rieur incarnait tout ce que l’on pouvait s’attendre à trouver chez les compagnons du Chevalier-gueux. Les tempes rasées, le reste de ses cheveux bruns pendaient en boucles désordonnées, lui donnant une allure de pouilleux. L’un de ses pieds se chaussait d’une cuissarde tandis que l’autre revêtait un simple sabot. Ses bas verts présentaient de nombreuses rapiéçures, presque à l’état de guenilles. L’autre était un petit bout de femme qui atteignait à peine l’épaule du grand dadais. Ses cheveux d’un noir de jais noués en queue de cheval laissaient apparaitre un visage furibond. Les bras croisés contre sa poitrine, elle toisait de ses yeux mordorés constamment en colère les sires de Fieramont.
« Voici Greta et Stumm, reprit Sklard. L’escogriffe que vous voyez là est mon neveu. Quant à la fille, elle a préférée se joindre à moi plutôt que de perdre sa main.
— Quand je disais que vous vous acoquiniez avec des criminels… grommela Frank.
— Un lapin vaut-il une main ? soupira Sklard.
— Chaque chevalier est tenu de faire respecter la loi de mon père sur ses terres… édicta Adrian. Mais il faut savoir être magnanime mon oncle. Si cette Greta sert désormais sire Velgert, nous pouvons juger qu’elle s’est acquittée de sa dette.
— Merci pour ce jugement fort sage, nous sommes vraiment soulagés que notre compagnon puisse garder sa main. » déclara Sklard, tout sourire. Le regard des quatre pouilleux en disait long sur ce qu’il serait advenu si jamais un seul cheveu de la jeune femme avait été touché. La braconnière jouait de ses doigts sur la garde de ses poignards.
« Vous plairez-t-il désormais d’écouter le motif de notre venue ? Le chemin fut long, oui-da ! s’exclama Sjur.
— Oui, et vite, qu’on en finisse, bon sang ! pesta Frank.
— Suite à l’extrême générosité de votre père, s’adressa Sklard à Adrian, j’ai obtenu les clefs de la place forte de Kristeim. Cependant, l’eau ruisselle entre le mortier qui joint les briques, le vent s’engouffre dans la charpente et en fait trembler le toit… Il y a deux ans, une tour s’est effondrée, et le donjon menace de s’écrouler… Nous avons besoin de maçons, de charpentiers et de tailleurs pour rebâtir la forteresse. Comme vous le savez, elle se situe à l’orée du Bois des Ours et du Bois Hurlant. Nous sommes la première ligne qui se dresse face à Groléjac et au Piémont.
— Il appartient à vos impôts de financer vos travaux, trancha Frank. Si vous n’aviez pas transformé vos paysans en brigands et en pierreuses, vous ne seriez pas en train de mendier à nos pieds. »
Maximilien Schwert se leva et scanda de sa grosse voix : « Voici que le Chevalier-gueux devient chanteur de rue et qu’il désire nous graisser les paumes pour nous extorquer notre or ! »
L’assemblée se mit à rire et scanda : « Le chevalier mendigot ! le chevalier mendigot ! le chevalier mendigot ! »
Sentant la situation hors de contrôle, Adrian enfonça son visage dans sa main, tandis que sire Velgert et ses hommes croulaient sous les huées. Greta lançait des regards assassins et le sourire éternel de Stumm semblait s’être effacé. Sjur cracha de dépit au sol. Moqueur, Frank clama à travers la cohue :
« Vous pouvez toujours faire votre requête à Alexander !
— Où se trouve-t-il ? s’enquit Sklard. Je lui toucherai deux mots sur comment l’on traite de vieux amis quand il s’absente !
— Au diable-vauvert, qu’en sais-je ? ricana Frank. L’on dit qu’il sera à Edelsteen d’ici peu.
— Merci infiniment, sire Wiern. Ne laissez pas trop les pies vous roucouler aux oreilles, ces animaux-là sont de fieffés menteurs ! »
Quand sire Velgert eut quitté la grande salle, Adrian se leva à son tour. Son oncle lui lança un regard interrogateur. N’avait-il pas causé assez de dégâts ? Enervé, Adrian quitta la salle d’un pas vif, sans un regard en arrière. Personne n’essaya de le rattraper. Il arpenta le couloir, le claquement de ses pas comme tambour de guerre. Son oncle n’avait pas seulement manqué de respect au Chevalier-gueux, Il évinçait Adrian. Le jeune homme aurait pensé que l’époque où l’on le connaissait juste comme « le petit frère de Karl » était révolue. De rage, il agrippa une tapisserie et la tira au sol. L’étoffe répandit un épais nuage de poussière mais il n’en eut cure. La saleté tourbillonna tel des particules d’or au soleil d’automne qui plongeait à l’horizon. Des pas venaient du fond du couloir. Une jeune fille revêtue d’une robe brune portait un fagot de bois. Adrian sentit les larmes lui monter aux yeux quand il aperçut les longs cheveux noirs de Bécasse.
« Adrian ! » s’écria-t-elle.
Les branches mortes rebondirent sur le sol et elle se précipita vers lui, s’attendant à ce qu’il la prenne dans ses bras. Bécasse lui sauta au cou. Il la repoussa mais la domestique s’accrocha.
« Tu vas mieux ? Perruquet m’a dit que tu n’as pas voulu voir personne de toute la semaine, j’étais inquiète ! »
Adrian sentit la rage couler à travers ses veines et il la plaqua contre le mur. Bécasse geignit quand le bras du jeune loup compressa sa gorge.
« Comment oses tu faire comme s’il n’y avait rien eut ! éructa-t-il.
— Tu me fais mal, couina-t-elle. »
De mauvaise grâce, il relâcha son étreinte, et Bécasse massa ses chairs meurtries, hoquetant. Adrian lui attrapa le bras et serra fort.
« Lâche moi ! pitié ! pleura-t-elle.
— Tu m’a trahi, Bécasse ! tu me mentais depuis le début ! Tout ce que tu voulais, c’était de … de … Tu t’es comportée en drôlesse ! »
Comprenant qu’elle avait été cueillie la main dans le sac, Bécasse se jeta à ses genoux et se mit à lui sangloter entre les jambes.
« Tu t’amatines et tu espères maintenant que je te pardonne ?
— Je pensais que tu veux pas de moi, se lamenta la commise aux cuisines.
— Lâche moi ! protesta-t-il.
— Adrian !
— Lâche moi ou je te botte le séant ! »
Bécasse se décrocha. Ses yeux humides ressemblaient à des marrons glacés. Comme pris de remords, Adrian voulut réconforter la petite créature brisée en la serrant dans ses bras, mais quelque chose le retint. Lucian était mort par la faute de Bécasse. Soudain, un brouhaha explosa dans le couloir. L’assemblée venait-elle de se terminer ? Adrian se retrouverait bien malin d’être surpris à maltraiter une domestique. Cependant, il était bien trop tôt pour que les audiences soient terminées.
Une bannière d’argent à rose sanglante ondula à la légère brise de la soirée. Des pieds recouverts d’acier battaient la pierre du sol, et tout resplendissant à la lueur du couchant, sire Tobias Blomst apparut, entouré de ses vassaux. Grand et blond, le second d’Alexander s’avança d’un air affable à la rencontre d’Adrian.
« Mon garçon, tu restes seul quelques temps et l’on te retrouve à malmener des paysannes ? s’esbaudit-il.
— C’est que… non, sire Blomst, il y a méprise…
— Ahah, que nenni, je nous connais, nous les hommes, mais il m’est d’avis que tu t’y prends mal ! »
Adrian vira au pourpre. Bécasse lançait des regards affolés tout autour d’elle. Soudain, elle fut gratifiée d’un coup de pied ferré dans l’arrière train.
« Allez, zou, retourne barater ton beurre, à défaut d’avoir été baratée… »
Bécasse s’éloigna en glapissant sous les rires gras des chevaliers de Greim.
« J’ai quitté ton père il y a deux semaines, il doit être arrivé à Edelsteen désormais. Me voici avec ma fiancée, dame Sarah Aubépine, tu dois certainement l’avoir vu ! » Lâcha Tobias de sa voix de stentor. Il se pencha à l’oreille d’Adrian et lui chuchota : « Difficile de la rater, n’est-ce pas ? »
En effet, la demoiselle présentait un embonpoint certain. Derrière un grand sourire aimable, elle embrassa Adrian sur les deux joues. Sa belle-sœur ne semblait pas fâchée d’avoir atteint Fieramont.
« Avez-vous fait bon voyage, ma Dame ? »
Adrian espéra que Sarah ne le prenne pas pour un hypocrite. Si d’aventure elle l’eut aperçu malmener Bécasse, sa démonstration de courtoisie l’aurait rendu plus exécrable encore.
« Oui, bien que ce fut long et pluvieux. Fieramont est beaucoup plus grand que ce dont je m’étais figuré, il me tarde de visiter !
— Ton oncle est ici, n’est-ce pas ? demanda Tobias.
— Oui, il donne les audiences, répondit Adrian d’un air las.
— Ne devrais-tu pas l’assister ? »
Tobias fronçait les sourcils, soucieux.
« Les temps sont durs à Fieramont. Nous sommes accablés par le deuil. Mon cousin Lucian est mort. »
La mine de Tobias s’assombrit.
« Toutes mes condoléances, Adrian. Je vais annoncer à ton oncle que je suis de retour. J’espère qu’il tient le coup.
— Il reste fort, affirma Adrian.
— Il serait incongru de te questionner plus avant. Adrian, cette demoiselle désire te voir, et je l’amenais justement à la grande salle te rencontrer. »
Engoncée dans une robe blanche aux brocards de gueules, demoiselle Anaïs Mehl avait délié ses cheveux blonds et l’observait de ses grands yeux bleus. Elle serrait dans ses mains la faveur qu’il lui avait confié le jour du tournoi. Anaïs lui sourit, et, gêné, Adrian lui rendit sa risette.
« Sire, j’ai pensé qu’une promenade sur l’esplanade vous changerait les idées ? »
Arrête avec tes "d'aucuns" Nono, ça va faire trois fois que je te fais la remarque que tu t'en sers n'importe comment.
Le 28 novembre 2016 à 20:31:52 BradPriwin a écrit :
Lu !Alors je me souviens que Ggiot avait été (beaucoup trop) sévère à l'égard de ton première paragraphe. Moi, je vois surtout que le long du chapitre, surtout en première partie, tu as particulièrement soigné tes descriptions. En opposant les teintes vives et sombres, le rendu est très fluide ! Sinon, j'ai aussi aimé ton emploi des anaphores, même si j'estime que c'est la figure de style la plus facile à utiliser
Après, si j'avais des remarques plus tatillonnantes, je dirais que je ne parviens désespérément à prendre les "que nenni" au sérieux. Peut-être l'ai-je entendu en permanence à des fins humoristiques, mais je me demande sérieusement si son utilisation est vraiment judicieuse
Et puis, comme au précédent chapitre, je pense que la multiplication des points de vue apporte un véritable plus à l'histoire, puisqu'elle élargit la vision et permet de développer davantage l'univers. Par contre... c'est vrai que Chimène est aux abonnés absents. J'ai envie de découvrir plus ses pouvoirs
Merci pour la lecture
J'aime bien moi les "que nenni" Chimène est de retour dans le chapitre 11
Le 28 novembre 2016 à 21:23:30 Arduilanar a écrit :
Arrête avec tes "d'aucuns" Nono, ça va faire trois fois que je te fais la remarque que tu t'en sers n'importe comment.
Mais merde
Sinon tu n'as que ça a dire sur un chapitre de 4000 mots ?
C'est le seul mot que j'ai vu sur les 4000, je n'ai pas lu le reste mais celui-ci en particulier m'a sauté aux yeux.
Un gramme de caca peut ruiner un kilo de caviar, mais jamais un gramme de caviar ne rattrapera un kilo de caca.
Le 28 novembre 2016 à 21:39:47 Arduilanar a écrit :
C'est le seul mot que j'ai vu sur les 4000, je n'ai pas lu le reste mais celui-ci en particulier m'a sauté aux yeux.
ah d'accord, je croyais j'avais fait un perfect
Le 28 novembre 2016 à 21:39:50 CaramelMorbide a écrit :
Un gramme de caca peut ruiner un kilo de caviar, mais jamais un gramme de caviar ne rattrapera un kilo de caca.
C'est vrai
Lu :!
J'ai bien aimé, je suis vraiment rentré dans le personnage d'Adrian qui décidément, subit pas mal
J'ai eu du mal avec le fait que Sarah était la belle-soeur d'Adrian, j'ai mis du temps à me rappeler pourquoi c'était sa belle-soeur.
Sinon, j'ai bien aimé la description au début du chapitre
CHAPITRE 10 : LES FOURBERIES DU COUCOU
JORIS
C’est avec le sourire que Joris se leva ce matin-là. Un feu brûlait déjà dans la gueule de la cheminée, et une houppelande dument lessivée l’attendait sur sa commode. Jaune comme l’or Vangeld, l’habit s’agrémentait de brocards lie de vin et de fermoirs d’argent. Joris attaqua de bon appétit la tranche de pain imbibée de potage que l’on lui servit pour déjeuner. Aujourd’hui, le seigneur David Aepaus, de la région des Pics arriverait à Edelsteen, et l’assemblée extraordinaire commencerait pour de bon.
Il quitta le palais seul, sans aucune escorte. La Perle, le quartier seigneurial demeurait inviolé par la plèbe, et seul un noble pouvait en fouler le sol. Situé sur l’acropole, il dominait la ville d’Edelsteen. Face à Joris s’étendaient les grands jardins. D’ordinaire, ils se diapraient d’un millier de couleurs chatoyantes, mais les premières gelées avaient fait disparaitre les fleurs. Cependant, les labyrinthes de haies persistaient et livraient toujours leurs secrets à quelques courtisans curieux. Par-delà son promontoire, Joris observa le soleil émerger du lac Astrid. Agrippés aux flancs de l’acropole, les bas-quartiers d’Edelsteen s’étendaient jusque dans l’immense lac. La boule de feu embrassa l’étendue d’eau et il dut se protéger les yeux.
Tout à coup, des tambours brisèrent le silence de l’aurore, et une cinquantaine de porte-étendards se précipitèrent pour former une haie d’honneur. Une véritable nuée de pie sur champ d’or envahit la place au moment où les trompette vrombirent. Le seigneur David Aepaus apparut le premier de derrière le dénivelé. Son étalon d’un blanc immaculé fustigeait le pavé d’amples mouvements de trot, et son armure d’argent, incrustée de niellures d’or rutilait au soleil. Son visage rond et son nez bulbeux apportaient une impression de sympathie à sa face à tendance rubiconde. Les quelques cheveux qui lui restaient étaient coiffés comme s’il portait des lauriers de soie. Sa bannière émergea ensuite, d’Azur à crâne d’argent, ailé de même, au chef couronné d’or. À ses côtés, un jeune homme à la longue chevelure brune, et enfin, les deux cousins de Joris, Reyce et Frederick Vangeld.
Dès que David Aepaus eut mis pied à terre, une flopée de garçons d’écurie se rua pour le débarrasser de sa monture. Le seigneur des Pics s’inclina devant Joris qui lui rendit la révérence, d’égal à égal. Au même moment, marmitons et portes-plateaux s’affairèrent à acheminer de quoi amuser la bouche de David et d’hydrater sa gorge. Tout y passa : olives des Plateaux d’Héliante, tartines aux anchois et tartelettes aux pommes. Tout heureux, le seigneur des Pics y becqueta de-ci, de-là, et vida goulument un lait de chèvre au miel.
« Votre hospitalité est à la hauteur de votre nom, Joris, approuva David. Je vous présente mon cadet, Messal. »
Le jouvenceau ne le quitta pas du regard lorsqu’il s’inclina, comme fasciné. Ses grands yeux bleus, dissimulés sous ses longues mèches brunes, paraissaient gros comme des lunes.
« Il n’a que quinze hivers, mais il est grand temps qu’il voyage et découvre le monde ! Après tout, il est comme chez lui ici, c’est la maison de sa mère.
— Certes, rétorqua Joris. Tout parent est ici le bienvenu…
— Nous sommes les premiers ? » s’interrogea David, guettant ridiculement les alentours, comme si tous les seigneurs de la Péninsule allaient surgir d’un buisson sans feuilles.
« Oui. Les autres seigneurs arriveront dans la semaine, annonça Joris.
— Fort bien. Marcherons-nous un peu ?
— Et vos affaires ?
— Je suis las du voyage, j’ai besoin de me changer les idées. Sire Clavert, voudrez-vous bien me suppléer et gérer nos bagages ? »
Le dénommé chevalier se plia aux ordres de son suzerain et donna les directives aux domestiques. Joris fit la moue.
« Je ne me suis pas recueilli auprès de Dieu depuis que je suis parti du Pic-Nival, irons-nous jusqu’à la Basilique Astrid ? Nous pourrons prier ensemble. »
Joris accepta de bon cœur. La cathédrale d’Edelsteen passait pour le plus grand édifice religieux de la Péninsule. Le seigneur de Groléjac vivait sous son ombre depuis des années.
« Tout bonnement incroyable. » souffla David, ébahi par la taille des tours. Quatorze clochers dardaient leurs pointes vers le ciel, mouchetés de gargouilles grimaçantes. Les façades regorgeaient d’arches ouvragées, si nombreuses que l’on aurait cru les alvéoles d’une ruche de pierre. Quand les deux seigneurs arrivèrent sous les cinq portails de la face nord, David s’attarda pour y contempler les dizaines et les dizaines de statues qui les observaient. On y voyait Dieu, dans toute sa gloire répandre sa lumière sur ses fidèles. Les grandes portes en bois de chêne obligeaient de lever les yeux pour en apercevoir leur fin. Cependant, un détail interpella David. Il passa sa main sur la pierre de taille. La cathédrale était tellement égratignée qu’elle en paraissait grise.
« Tous ces graffitis…
— La marque des désespérés… »
Joris fut taxé d’un regard courroucé et interrogateur à la fois. Le seigneur des Pics fronça les sourcils en poussant l’examen des pierres.
« Ce sont des noms ; des prénoms pour être exact, constata-t-il.
— Elke, Erwin, Caspar, Joep… Les noms des petits se côtoient par milliers sur la chair de la basilique Astrid.
— C’est scandaleux, purement honteux ! Dégrader ainsi la maison du Seigneur de la lumière…
— Oui, cette histoire est un scandale, seigneur Aepaus. »
Joris poussa le battant de la porte et l’invita à entrer. Le pas de ses bottes bardées de fer fustigea le marbre et s’amplifia dans la nef, perturbant le silence des lieux. La lumière s’irisait à travers les vitraux colorés, projetant un kaléidoscope de couleurs sur le sol et les colonnes.
« Il y a deux cents ans, la terre gronda avec une telle force que la terre se fendit en deux, et les eaux du Lac Astrid refluèrent vers l’océan de Saphir, emportant bateaux et pêcheurs, échouant galéasses et frégates. » commença Joris.
Le seigneur de Groléjac désigna un vitrail représentant une galère dévorée par le feu. Les petits fragments de verre colorés dévoilaient l’ampleur de la catastrophe. Sur une vingtaine de mètre, chaque vitrail racontait l’horreur vécue sur toute la ville.
« La plupart des habitants se refugia sur les quais, lieux supposés épargnés par d’éventuelles chutes de débris. Quand les eaux revinrent, tout Edelsteen fut frappée par la vague qui immergea ses rues, n’épargnant que l’acropole. La ville fut en proie aux flammes, aux pillages et aux épidémies causées par les dizaines de milliers de cadavres. Il ne restait plus que cette cathédrale, se dressant fièrement parmi les décombres. »
Continuant sa progression vers les transepts, il alluma quelques cierges, aidé par le seigneur Aepaus.
« Les prêtres déclarèrent que la ville avait été soumise au courroux du Seigneur de la lumière, à cause de l’insolence de son peuple et de ses mœurs impies. Pour eux, Dieu les avait épargnés dans l’espoir de leur rédemption. C’est alors que l’Église décréta que tous ceux qui donneraient leur or seraient absous de tous pêchés, et qu’en contrepartie, leurs noms marqueraient la pierre et leur garantiraient protection contre la colère divine. »
Joris emmena David plus en avant, atteignant le cœur. Des plaques d’or de plusieurs mètres de haut, encadrées de marbres et serties d’émeraudes, de rubis et saphirs occupaient tout l’espace. Il n’y en avait pas plus d’une dizaine, et chacune ne se contenait que d’un seul nom. La plus grande de toutes, assez énorme pour conférer à un homme les richesses de toute une vie de dépenses excessives avait pour épitaphe : Le seigneur Joshua Vangeld, à jamais invaincu et craint par la mort elle-même, an de grâce huit cent trente-deux.
« Si vous comptez chacune des plaques présentes du cœur à la nef, tout en passant le long des collatéraux, vous en dénombrerez une centaine tout au plus. Des milliers de personnes survécurent au séisme, pourtant.
— Le clergé a certainement souhaité collecter des fonds pour rebâtir la ville
.
— C’est exact, mais en partie seulement. L’on culpabilisa et terrorisa les petites gens, si bien qu’ils s’infiltrèrent clandestinement dans la Perle, rythmant les nuits du gratis de leurs ongles sur la pierre, dans l’espoir fugace d’y inscrire les noms des leurs. Ceux qui se faisaient prendre se virent privés de leurs mains. Aux débuts, tout du moins. Par la suite, la potence n’eut jamais autant de proies. »
David Aepaus réarrangea la soie de ses cheveux. La lueur des cierges se réfléchissait sur son crâne dégarni. Le seigneur des Pics semblait quelque peu décontenancé.
« L’empathie que vous témoignez pour les petites gens est louable, mais n’y a-t-il pas plus grands soucis encore ?
— J’imagine que chacun possède ses propres préoccupations, seigneur Aepaus. » répondit sèchement Joris.
Un sourire crispé s’esquissa sur le visage de David, qui fit mine de s’intéresser aux croisés d’ogive de la voute.
« Les lieux sont-ils assez éclairés pour votre prière ? Ou allumerons-nous plus de cierges ? interrogea Joris.
— Oh ! oui, c’est parfait. »
Joris passa la matinée à prier, jusqu’à ce que ses genoux le fassent souffrir, meurtris par le sol glacé. Sa communion avec le seigneur de la lumière l’avait apaisé. Jusqu’à maintenant, son âme n’avait été souillée que par des peccadilles… Le seigneur Aepaus dormait contre son prie-Dieu. Dans sa démonstration de bigoterie, l’homme avait voulu se montrer prodigue de patenôtres, mais la lassitude du voyage avait eu raison de lui. Joris toussa doucement, et David émergea de son sommeil, la marque du bois rougissant sa joue.