Comment est-ce arrivé ?
Caramba. Si tu l'as effacé par erreur et que tu es sous Windows, tu peux utiliser le mode restoration de ton PC afin de retrouver juste un fichier en particulier! C'est ce que j'avais fait lorsque j'avais effacé en mode "suppression définitive" le dossier contenant tout mon bordel sur Cornedebouc.
Pour y accéder, c'est via la partition se trouvant sur l'autre moitié de ton disque. Normalement, une sauvegarde est faite tous les mois donc la version de ton spoilers.txt s'y trouvant ne remontera qu'à que 30 jours grand maximum.
Sinon, je n'ai aucune idée de ce que le "spoil" de ton message contient, le périphérique que j'emploie à l'instant semble incapable de les ouvrir.
Il dit "Mais je rage vraiment, j'avais consacré du temps à ce fichier. "
Les Blackberry c'est classe mais un peu archaïque, Alex.
Blackberry? Elle est bien bonne. Je ne suis même pas encore passé à cette marque, mais je t'avoue qu'elle me fait de l'oeil.
Alex est probablement toujours sur le Nokia 3310 Multi-Fonction ®. Fonctions "Cale-Table" et "Arme contondante" bien entendu présentes.
Le pire, c'est que t'es pas si loin du compte!
J'ai presque fini mon chapitre. Je vais essayer de le terminer pour demain, mais je manquerai peut-être de temps pour ça.
Et ce post ne sert qu'à annoncer cela - et un peu à m'imposer une deadline. Je vais quand même annoncer qu'il y a pas mal d'action et qu'un certain nombre de personnages ont la classe tandis que d'autres l'ont beaucoup moins. Maintenant que vous l'attendez avec une certaine impatience - ou crainte -, je vais plutôt disparaître et ne pas le poster avant la semaine prochaine.
...je dois avouer être à la fois déçu et rassuré. Déçu car je m'attendais à un nouveau chapitre, rassuré car je m'apprêtais à aller dormir.
Ben si on en est là j'ai les grosses lignes de la fin de mes chapitres au Kastologik, mais je n'ai rien développé. Pour cause d'examens, ça va me prendre du temps
Tant qu'à faire, j'ai aussi un chapitre de prêt et j'ai juste à presser le bouton "Poster", mais je dois m'asseoir près d'une fenêtre et mettre mon doigt dans mon nez donc je posterais pas avant trois semaines.
Et moi qui attend depuis trois plombes que tu postes pour terminer le mien.
C'est mort, dès qu'Ursul a posté, je prends la suite, advienne que pourra.
En même temps, attendre un post de Cody est tenter le troll.
Je poste dès que j'ai fini de relire.
En vrai j'en ai un de prêt en tête, je sais ce que je veux mettre dedans quasiment à la ligne près, mais le temps que je trouve la foi d'écrire tout ça la situation aura probablement tellement changé qu'il me faudra tout jeter à la poubelle.
La flemme est un fléau.
Un mois avait passé depuis la prise de Cornedebouc par les armées trompoises. Autour des anciennes fortifications naines détruites lors de l'attaque, le camp érigé par les soldats avait prit des allures de cité permanente. L'arrivée des humains avait sonné l'heure du changement pour beaucoup des lieux de la ville, et la surface était assurément celui qui avait le plus subit cette influence. Le fameux quartier des Fumées avait été en partie démoli ; endommagés lors de l'attaque, certains bâtiments avaient été rasés pour céder la place à d'innombrables tentes où vivaient la majorité des soldats de la Trompe. Le campement était cerné d'une palissade de bois le long de laquelle des patrouilles se relayaient à toute heure de la journée. Si ces défenses soutenues par autant d'hommes paraissaient déjà formidables, elles étaient infimes en comparaison de celles qu'envisageait le Roi-Dieu ; puisant dans le savoir-faire nain, il avait ordonné que les fortifications existantes soient non pas réparées mais magnifiées, et c'était là la tâche à laquelle les maîtres artisans captifs du Palais s'attelaient. Des plans avaient été tracés et de multiples chantiers s'étaient ouverts dans lesquels travaillaient les nains mais aussi les soldats désœuvrés. L'opération avait reçu l'approbation du Général trompois : si l'armée humaine devait passer l'hiver dans cette ville, au moins seraient-ils certains de se trouver dans l'avant-poste le mieux défendu qu'ils aient jamais possédé.
Une foule bourdonnante s'activait donc autour des ruines des murailles naines. Des plans avaient dressés, aussi ambitieux que tous les projet de la race, et d'innombrables soldats avaient déposé leurs armes pour devenir ouvriers. La nouvelle forteresse devait dominer la plaine ; les architectes avaient prévu non pas un mais deux niveaux de remparts, le plus extérieur devant s'étendre aussi loin qu'il engloberait l'actuel quartier des Fumées. Lorsque le chantier serait terminée, il fournirait à l'armée humaine la place nécessaire pour y loger ses soldats et résister à un éventuel assaut. Le chantier avait commencé par l'aménagement des fortifications existantes ; celles-ci allaient former le dernier des niveaux de défense en surface de la forteresse, et il était donc important que les murailles soient rebâties et que les tours subissent quelques changements. Parmi ces tours, celle de la Garde était celle qui avait le moins souffert lors de l'attaque ; par conséquent, elle était aussi la seule encore occupée, et ses habitants, insensibles à l'agitation du chantier dont ils étaient tout proches, continuaient leur routine comme si elle n'avait jamais été interrompue par l'invasion humaine, ignorant le fait que la garde représentait maintenant une force fantôme soumise à la volonté changeante du Roi-Dieu et à sa bienveillance très limitée.
Au premier étage de cette tour se trouvaient les quartiers des officiers de la Garde. Debout dans le bureau du capitaine dans lequel elle venait de surgir, Doren regardait un McEdern au regard fatigué parcourir un dossier à la lueur d'un feu crépitant dans une cheminée. Le nain ne l'ayant pas aperçue, elle attendit un instant puis referma brusquement la lourde porte, la faisant claquer avec force contre son cadre. Surpris, McEdern sursauta et se leva sans attendre. Il avait la main sur le manche de sa hache lorsqu'il reconnu la naine hilare lui faisant face.
«-Tu avais vraiment besoin de faire ça? demanda-t-il avec un léger sourire.
-Tu ne faisais pas attention, rétorqua la naine. Je ne savais pas que tu étais un bureaucrate.
-Moi non plus, fit McEdern en haussant les épaules. Mais il paraît que diriger la Garde veut parfois dire autre chose que taper sur des criminels. Scar avait l'habitude de me harceler pour que je remplisse ces papiers. Il disait qu'ils étaient nécessaires au fonctionnement de la garde.
-Et ils le sont? demanda Doren curieuse.
-Certains. Même un garde veut être payé, et pas qu'avec de la bière pour la plupart. Mais d'autres ne sont que des plaintes auxquelles je ne peux rien. Scar insistait pour qu'on y réponde, qu'on ait l'air de comprendre leurs problèmes. Bah, conclut le nain avec mépris.
-Et tu le faisais? s'exclama Doren incrédule. J'aurais abandonné depuis longtemps.»
Sans répondre, McEdern se pencha sur son bureau et attrapa le dossier en question. Soupirant, il le soupesa et le jeta dans la cheminée. Devant le regard surpris de la naine, il s'expliqua.
«-Scar n'est plus là, et je ne suis pas un foutu comptable.
-En effet, répondit celle-ci souriante.»
Les deux nains se regardèrent un instant sans dire un mot. Vêtu de son armure réglementaire, McEdern semblait curieusement hésitant. Enfin, il paru se décider et prit la parole d'un ton incertain.
«-Doren, je voulais te demander...
-Capitaine! fit une voix pressante, vous êtes là!»
La personne qui avait ainsi interrompue McEdern était Cog, un jeune nain ayant rejoint la garde peu avant la prise de la ville. Son capitaine - et à vrai dire tous ceux qui le connaissait - le moquait souvent pour la facilité avec laquelle son visage trahissait ses émotions, et aujourd'hui n'était pas une exception ; le nain était rouge et tremblait comme une feuille. Devant un McEdern mécontent d'avoir été interrompu, il se tenait immobile et muet, paraissant avoir oublié la raison de son intrusion dans le bureau de son supérieur. Finalement, Doren eut pitié du pauvre nain et l'interrogea.
«-Qu'est-ce que tu voulais?
-Ah! s'exclama Cog comme s'il se souvenait seulement maintenant de son objectif. Capitaine, des humains sont en bas. Vous devriez descendre.
-Des humains? demanda McEdern d'un air sérieux. J'arrive.»
Doren le regarda récupérer sa hache et l'accrocher à sa ceinture. Alors assuré qu'il offrait une image digne d'un capitaine nain, il fit un signe de tête à Cog. Le nain disparu dans le couloir, bientôt suivi par McEdern. Doren prit leur suite, non sans se demander ce que les humains pouvaient bien vouloir à une Garde qui leur était déjà soumise.
Le premier étage de la tour était aussi actif qu'à son habitude. Contre les murs de la pièce circulaire étaient adossés de nombreux râteliers remplis d'armes diverses. Un grand nombre de nains allaient et venaient tandis qu'au centre une demi-douzaine d'autres s'entraînaient au maniement de la hache. Malgré le nombre de personne, un silence profond régnait alors que tous observaient le groupe qui venait d'entrer. Doren marchait aux côté de McEdern et du pauvre Cog en direction des intrus, et elle ne tarda pas à reconnaître leur meneur. Aussi grand que les statues ornant les coins de la pièce, une lance d'un blanc pur à la pointe levée vers le ciel dans une main et un regard qui lisait la moindre des pensées de ceux sur lesquels il passait, son identité était évidente. Il s'agissait du général Bemehring, que les nains de la ville avaient appris à connaître comme un homme à ne surtout pas défier mais qui se tenait généralement à l'écart des locaux. Mais alors, se demanda la naine, pourquoi est-il ici? Il n'est pas du genre à s'amuser avec des vaincus.
L'homme était accompagné de son aide habituel et de six membres de sa garde personnelle. Le visage fermé, ils tenaient fermement leurs lances sans toutefois donner l'impression de vouloir s'en servir. Ils étaient néanmoins prêts, Doren en avait la certitude, et leur compétence était aussi visible que la cruelle inexpérience des gardes nains dans leurs armures resplendissantes. Instinctivement, les trois nains se rapprochèrent alors qu'ils avançaient au-devant du groupe qui les avaient maintenant aperçu.
Bemehring fut le premier à réagir, saluant McEdern d'un hochement de tête tout en faisant signe à son aide de traduire ses paroles. De leur côté, ses gardes dévisageaient Doren en échangeant des murmures agités. Peu sensible à leur agitation, elle les ignora pour se concentrer sur la discussion entre McEdern et le général.
«-Capitaine McEdern, disait l'aide, le général désire découvrir la manière dont vos soldats sont entraînés. Il a cru comprendre qu'il s'agissait là de vos quartiers? demanda-t-il en désignant la pièce d'un geste de la main.
-Oui, bien qu'il y avait aussi la Milice dans l'autre tour, avant qu'elle s'effondre, répondit le capitaine d'un ton circonspect. Je ne vois pas bien pourquoi vous me demandez ça, par contre.
-Le général a ses raisons, capitaine, qu'il ne vous appartient pas de connaître. Il vous serait reconnaissant si vous pouviez le laisser faire un tour des lieux.
-Et que fera-t-il si je refuse? marmonna le nain avant de continuer d'un ton amer. Non, ne répondez pas. Faites ce que vous voulez, vous êtes chez vous de toutes façon.»
L'aide allait remercier McEdern de se soumettre à l'exigence trompoise lorsqu'un des humains sortit des rangs. La lance à la main, il marcha jusqu'à Doren et cracha à ses pieds.
«-Genam tath! s'exclama-t-il en s'adressant à la salle entière, Umo!»
Un murmure parcouru les rangs humains tandis qu'un silence circonspect s'établissait côté nain. Le visage blême de fureur, Doren avait la main sur le manche de sa hache et seule la main de McEdern posée sur son bras l'empêchait de sauter sur l'homme. La voix puissante du général trompois retentit, à laquelle l'homme répondit d'un air de défi. Un échange animé s'ensuivit, puis Bemehring fit un signe à son aide qui prit la parole d'un ton contrit.
«-Cet homme a remarqué la présence d'une femme dans vos rangs, expliqua-t-il à McEdern. Il remet en cause la virilité de votre espèce et désire prouver que c'est la raison pour laquelle vous serez finalement vaincu par notre nation.
-Que... quoi? manqua de s'étouffer le nain. Doren ne fait même pas partie de ... Il s'arrêta un instant, puis reprit : non, ce n'est pas la question. De quel droit ce type insulte-t-il un nain dans ma tour? Votre général est-il d'accord avec ça?
-Le général Bemering regrette que la situation en soit arrivé là, je vous l'assure. Il n'a cependant aucune envie de s'opposer à la volonté de son subordonné, qui selon nos coutumes vient d'exiger un duel.
-C'est ridicule, commença McEdern, je ...
-Laisse moi parler Urist, tu veux bien? le coupa Doren d'une voix dure. Se tournant vers l'aide, elle continua : cet homme veut un duel, c'est ça? Dîtes-lui que je suis prête.»
L'aide hocha la tête puis se tourna vers le général et le garde à l'origine du défi. Doren observait leur échange lorsque McEdern lui saisit le bras, le visage grave.
«-Nous avons un gros problème.
-Oh allez, rétorqua la naine, je peux me charger de ce type, tu le sais.
-Sûrement, mais après?
-Comment ça «après»?
-Quand tu auras détruit l'ego de cet homme, qu'est-ce qu'on fera? La Trompe va se sentir insultée si une femme - ne me regarde pas comme ça, c'est ce qu'ils pensent - si elle vient à bout d'un de leurs soldats d'élite. La ville commençait tout juste à se calmer... fit le capitaine en poussant un long soupir.
-Alors quoi? Je le laisse m'avoir?
-Ce serait peut-être mieux.
-Quoi?
-Il ne te tuerait pas, cela éviterait des tensions supplémentaires, et ...»
McEdern se tut, remarquant seulement maintenant le visage fermé de la naine. Doren tremblait de la tête aux pieds, et ce n'était pas de peur. Elle fixait du regard le sol à l'endroit où l'homme avait craché tandis que ses doigts dessinaient des motifs légers sur la lame de sa hache. Après quelques secondes de silence, elle leva la tête et regarda McEdern. Le nain baissa les yeux, incapable de soutenir l'intensité de son regard.
«-Tu es un brave nain Urist, fit-elle d'un ton calme, mais ne me demande plus jamais de reculer devant le danger.»
Laissant là le capitaine désemparé, elle se tourna vers les humains qui avaient cessé leur conversation. L'homme qui l'avait insultée se tenait au centre de la pièce une lance à la main ; il jouait avec son arme tout en la regardant d'un air supérieur. L'aide du général trompois commença à parler tandis que Doren le foudroyait du regard.
«-Si vous êtes prête, naine, commença-t-il, ce sera un duel aux règles simples. Le général ne désire la mort de personne, aussi vous vous arrêterez à la troisième blessure faisant couler le sang. Vous pouvez garder votre armure, et tout attaque est permise. Je désignerai le vainqueur et le général arrêtera personnellement celui qui refuserait de cesser le combat. Ces termes vous conviennent-ils?
-Si ça vous chante, répondit la naine. Je vais mettre ce salaud en pièces.»
Sur ces mots, Doren s'approcha du centre de la pièce tandis que tout le monde s'en écartait. Face à la naine, l'homme faisait des gestes rapides avec sa lance. Il tenait fièrement l'arme dans sa main gauche, et Doren fut un temps surprise par sa qualité avant de se souvenir que plusieurs semaines s'étaient écoulées depuis l'arrivée des humains ; elle avait probablement devant elle une des premières armes sorties des forges du Palais. Raffermissant sa prise sur sa hache, elle saisit le bouclier qu'un nain de la foule lui lançait et observa son adversaire. L'homme était plutôt grand, même pour ceux de sa race. Contrairement à la plupart des trompois, il portait une armure en cuir couvrant son torse et ses bras. La façon avec laquelle il se déplaçait trahissait un guerrier expérimenté, et Doren ne doutait pas qu'il ait mérité sa place parmi la garde de son général. Désormais concentrée, elle attendait un signe de l'aide que ce dernier ne tarda pas à donner.
L'humain ne perdit pas de temps. Alors que Doren s'approchait lentement de lui le bouclier levé, il bondit dans sa direction et tendit sa lance pour frapper le bras d'arme de la naine. Celle-ci recula d'un bond, échappant de peu à la pointe acérée, et tenta de s'approcher par la droite de l'homme pour finalement être repoussée par un mouvement de son arme. L'adrénaline commençant à circuler dans ses veines, elle maudit la portée supérieure de son adversaire, qui de tout l'échange n'avait pas cessé de sourire. Ce sourire. Je vais te l'arracher du visage, attend un peu.
Affermissant sa prise sur son arme, elle chargea droit devant elle avec toute la vitesse dont pouvait faire preuve une naine recouverte d'une armure aussi lourde qu'elle. Habitué à affronter des adversaires bien plus agiles et mobiles qu'elle, l'homme vit l'attaque venir et frappa de sa lance, forçant Doren à bloquer le coup de son bouclier et à arrêter son avancée. Mais là où l'homme s'attendait sûrement à ce qu'elle recule devant l'échec de son assaut, elle se contenta de bander ses muscles et de repousser l'arme de son adversaire de son bouclier, déséquilibrant le soldat qui ne s'attendait pas à une telle force chez un membre du sexe faible. Doren s'engouffra dans l'ouverture et se jeta sur l'homme, lacérant sa poitrine de sa hache et le faisant chuter dans un cri étonné. Sans lui laisser le temps de récupérer, elle lui donna deux coups rapides aux jambes, puis lui asséna un violent coup de pied dans le ventre alors qu'il tentait toujours de se lever. Une lueur meurtrière dans le regard, elle allait continuer à frapper lorsqu'elle se souvint de l'avertissement du général et du souhait de paix de McEdern. Triomphante, elle leva la tête et toisa l'homme à terre.
«-J'ai gagné, connard, dit-elle avant de lui cracher au visage.»
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Au centre du groupe humain, Bemehring observait la naine victorieuse. Le tour qu'avait pris la situation le dérangeait beaucoup. A vrai dire, la défaite d'Ekul ne le gênait pas tant que cela, pas plus qu'elle ne l'avait surpris ; l'homme était plus connu pour son caractère insupportable que pour son talent aux armes et était aussi aveugle qu'un nain des profondeurs dès qu'il était question d'évaluer le talent d'un adversaire. Emporté par son arrogance, il n'avait probablement pas un instant envisagé que la naine lui faisant face pouvait s'avérer douée. En ce qui concernait Bemehring, l'homme avait mérité cette humiliation, et son adversaire le respect de tous. Pour autant, ce dénouement était à peu de choses près le pire qu'il aurait pu envisager, car un représentant de la Trompe venait de subit une défaite particulièrement humiliante contre un membre d'un peuple soumis. Déjà Bemehring sentait l'atmosphère de la pièce changer. Ils étaient craints lorsqu'ils étaient entrés dans la tour, et bien que ce ne fut pas une situation qu'il appréciait beaucoup, il la préférait de loin à l'insoumission qu'il pouvait maintenant lire dans le regard de quelques-uns de ces nains. Selon son expérience, un nain insoumis était porté à des actions aussi courageuses que suicidaires, et il n'avait aucune envie de devoir nettoyer les conséquences de telles actions. Bemehring se sentit soudain très fatigué. Il n'aimait pas du tout ce qu'il allait devoir faire, mais c'était nécessaire.
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Au centre des félicitations des gardes nains, Doren reprenait tant bien que mal son souffle. L'adrénaline refluait peu à peu et la laissait légèrement tremblante tandis que des nains de toute allure se pressaient devant elle pour la saluer. Quelque peu étourdie par les tapes amicales assenées par tant de soldats costauds, elle mit un certain temps à comprendre que McEdern lui parlait.
«-...et c'était bien joué, je peux le dire! Ce coup de pied était un sacré spectacle!
-Tu vois, répondit-elle en souriant, je l'ai eu.
-Et comment! s'exclama le nain avant de retrouver son sérieux. Mais maintenant je vais devoir régler ce problème. Thorek ne sera pas content, après tous ses efforts pour gagner leur confiance. Il va...
-Urist, le coupa Doren d'un voix soudainement inquiète.
-Quoi?»
Avant que la naine ait l'occasion de répondre, la voix du général trompois résonna dans la pièce. Peu après, celle de son aide se fit entendre.
«-Nains, le général Bemehring reconnaît la valeur de votre race et se souviendra de ce duel. Pour honorer celle qui a si brillamment remporté la victoire, il désire l'affronter dans un second duel ce jour même.»
Doren ne savait pas vraiment que penser de la nouvelle, mais elle ne lui semblait pas très bonne. Les quelques soldats humains présents avaient brusquement arboré une expression hilare qui lui semblait de mauvaise augure, et le général lui-même la regardait d'un air qui n'était pas sans lui rappeler celui que Morul prenait lorsqu'il devait abattre un animal auquel il tenait. A côté d'elle, McEdern s'était figé et certains des nains les plus observateurs commençaient à s'écarter du centre de la pièce. Un raclement de gorge insistant rappela à la naine que l'aide attendait une réponse. Et merde, réalisa-t-elle, Morul avait raison. Jouer à l'héroïne ne sert à rien.
Elle poussa un profond soupir et saisit ses armes tombées au sol avant de se placer en face du général. Elle s'apprêtait à répondre au défi lorsqu'une voix se fit entendre.
«-Général Bemehring, dit McEdern, cette naine n'est qu'une subordonnée, elle ne mérite pas de vous affronter. Si vous m'y autorisez, je serai votre adversaire.»
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L'intervention du capitaine avait surpris Bemehring, qui ne répondit pas tout de suite à la proposition. Observant l'échange agité entre le nain et celle qu'il avait défié, il sourit légèrement. La proposition lui convenait, la défaite d'un officier de la garde aurait autant de poids que celle d'une naine inconnue, et lui n'aurait pas à affronter un adversaire déjà épuisé par un combat précédent. Le capitaine imberbe était cependant ce qui se rapprochait le plus d'un allié parmi la population de la ville, et il lui faudrait veiller à ne pas trop l'endommager. Voyant que la discussion entre les deux nains prenait fin, Bemehring fit un signe à son aide avant de s'avancer vers le capitaine.
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Doren était furieuse. Elle pouvait entendre l'interprète énoncer une série de règles et demander aux participants de se préparer, mais rien de tout cela n'avait d'importance devant le fait que McEdern s'était cru le droit de lui voler son combat. Quelque part en elle, cet élément primitif de son esprit qui se chargeait de son instinct de survie se réjouissait de ne pas avoir à affronter le géant, mais tout ce qui faisait d'elle une naine avec sa fierté et son amour de l'alcool se révoltait devant ce geste spontané de galanterie.
Elle finir par interrompre le cours de ses pensées pour observer McEdern et le général se faire face en silence. Urist se tenait droit devant l'homme, et il fallait le plus attentif des observateurs pour remarquer le léger tremblement de ses mains. Doren posa son regard sur son adversaire et s'aperçut qu'il n'avait pas revêtu d'armure, pas plus qu'il ne portait d'armes.
«-Le fou, dit-elle aux nains à ses côtés, il croit que notre capitaine est un novice.»
La rodomontade n'eut pas l'effet escompté, et pour un temps seul le silence lui répondit. Finalement, l'aide du général apparu à ses côtés.
«-Ne vous faites pas d'illusions, dit-il dans un murmure, le général sait ce qu'il fait.
-Je ne vous ai pas demandé votre avis, rétorqua Doren d'un ton glacial.
-Ecoutez-moi, reprit l'homme en ignorant son hostilité. Le général n'a pas l'intention de faire du mal à votre capitaine, mais il ne s'arrêtera pas tant qu'il n'aura pas établi la supériorité de notre camp. Il cessa de parler un instant, puis reprit d'un ton hésitant : Vous paraissez proche de lui ; vous devriez le convaincre d'abandonner le combat.»
Atchoum !
Je devrais faire passer ça en discipline olympique.
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Lorsque Kogan sortit finalement du bâtiment de ses nouveaux alliés, les lueurs crachotantes des torches de la ruelle lui parurent aussi brillantes que des soleils. Il se tint immobile quelque secondes, le temps de méditer sur l'expérience qu'il venait de vivre. Il n'y avait aucun doute possible, ces gens était des malades. Il n'avait aucune idée de ce que Thirzuntîr avait pu faire pour s'attirer les faveurs d'une telle clique, mais cela ne concordait absolument pas avec l'image de propreté morale que l'individu dégageait au premier abord. Il y avait là, il en était persuadé, un mystère dont la résolution serait probablement pleine d'enseignements. Mais le sentiment dominant chez Kogan en ce moment était moins la curiosité envers les personnages étranges qu'il venait de rencontrer que l'envie viscérale de se trouver aussi loin de ce bâtiment qu'il était possible en demeurant dans la même ville, aussi s'empressa-t-il d'emprunter un tunnel moins lugubre et beaucoup plus fréquenté.
Il se dirigea donc vers la seconde étape de son petit périple, qui était l'atelier du forgeron. Ce dernier y avait en effet entreposé un certain nombre d'armes au moment de sa capture, et elles se montreraient certainement très utile à leur entreprise. Thirzuntîr ayant été capturé hors de son atelier, il y avait encore une chance que la Trompe ne les ait pas encore saisies, et c'était à cette chance que Kogan se raccrochait alors qu'il se frayait un passage à travers la foule des rues de la ville. Celle-ci paraissait plus agitée que d'ordinaire, mais il n'y accorda pas vraiment d'attention, glanant tout au plus l'information que quelque chose se passait dans la tour de la Garde.
Enfin, il fut devant le magasin de Thirzuntîr. La porte était fermée, mais la serrure n'était rien qui pouvait ralentir bien longtemps quelqu'un de l'expérience de Kogan. Après moins d'une minute de travail, il fut en mesure de pénétrer dans le bâtiment, ce qu'il fit sans attendre. L'intérieur de la pièce n'avait guère changé depuis sa dernière visite. Dans le coin opposé au comptoir, une statue attira son attention ; celle-ci semblait nouvelle. De petite taille, entièrement en métal, elle représentait une scène singulière : une montagne rougeâtre s'élevait haut dans le ciel, et autour de sa base étaient agenouillée une foule de gens que Kogan identifia comme des nains. Avançant vers l'objet pour mieux satisfaire sa curiosité, il s'aperçut que tous les personnages avaient le regard fixé vers un même motif placé au centre de la montagne et évoquant très faiblement une ouverture quelconque. Haussant les épaules devant cette symbolique qui ne lui évoquait rien, il décida d'ignorer l'objet et de se diriger vers la porte adjacente, derrière laquelle se trouvait la pièce servant d'entrepôt au forgeron.
Comme il s'y était attendu, aucun humain ne s'y était encore servi. Une dizaine d'armes sur des râteliers s'offraient à son regard réjoui, et il croyait même apercevoir des armures entassées dans un coin. Souriant, Kogan se dit que ses préparatifs commençaient plutôt bien. Sa gaieté était cependant destinée à être de courte durée, car aussitôt après il entendit une clef tourner dans la serrure de l'entrée et la porte s'ouvrir. En une réaction dont la rapidité venait d'un contrôle né de l'expérience, il fondit derrière un mur et tendit l'oreille. Une personne, seule et qui ne tentait pas de cacher sans présence. Si l'inconnu possédait une clef, il était probablement un proche du forgeron. Pensif, Kogan se demanda s'il était dans son intérêt de se montrer. Il n'avait après tout pas de mauvaises intentions. Mis en confiance par ses réflexions, il se permit de passer la tête hors de sa cachette.
L'inconnu était une naine de taille moyenne vêtue sans grâce. De la position de Kogan, ses cheveux roux étaient la seule particularité notable dans sa personne. Penchée sur le comptoir pour étudier un morceau de papier, elle lui tournait pour l'instant le dos. Si son identité exacte était inconnue de Kogan, la présence d'un curieux système à ressort posé sur le comptoir juste à côté d'elle trahissait une personne doté d'un certain esprit technique. Malgré ce qui paraissait être une sorte d'arbalète, elle n'avait pas l'air si dangereuse que cela et la tentation de simplement se révéler et d'annoncer travailler pour le forgeron se présenta à nouveau dans son esprit. Il la considérait sérieusement lorsqu'il heurta dans un mouvement malheureux un plastron posé sur une caisse adjacente. Maudissant sa maladresse, il se figea et attendit une dizaine de secondes, persuadé d'avoir révélé sa présence. Rien ne se passant, il commençait à douter de la chose lorsqu'une voix féminine se fit entendre.
«-Je sais que vous êtes dans l'entrepôt. Je vais vous donner une chance d'en sortir paisiblement.»
La naine avait un certain courage, Kogan devait le reconnaître. Il était tapis derrière son mur et ne pouvait pas la voir, mais il aurait parié qu'elle avait saisit cette arbalète avec laquelle elle était venu et qu'elle la braquait maintenant dans sa direction. Pour autant, elle sous-estimait l'ancien contrebandier. Il n'était certes pas dans sa condition la meilleure récemment, mais il ne doutait aucunement de sa capacité à se débarrasser d'une civile sans grande expérience, et que celle-ci soit armée et prête à tirer ne changeait guère la situation. Et puis merde, la moitié des civils n'ont pas les gonades de tirer de toute façon.
Kogan en était là dans ces réflexions lorsque la naine reprit.
«-Ecoutez, on va essayer autrement. J'ai sur moi une boîte à ressort récupérée dans l'atelier du fou servant de mécaniste dans cette ville. Je n'ai aucune idée de ce qu'elle fait. Lorsque j'aurais fini de parler, je la jetterai dans la pièce où vous vous trouvez. Si vous sortez immédiatement, je ne vous tirerai pas dessus avec cette arbalète de ma conception. Sinon, vous servirez de preuve que mon concept est viable. Ou vous mourrez, au choix, mais vous n'êtes sûrement pas assez bête pour rester dans la même pièce qu'une invention de McTruman.»
Merde, se dit Kogan, dîtes-moi qu'elle bluffe.
Sans lui laisser de temps pour décider de la chose, un objet métallique vola devant ses yeux et heurta le sol à un mètre de lui. La première chose qu'il vit fut une paire de ressorts carrés, et il ne vit rien d'autre car il s'était déjà précipité dans l'autre pièce avec une vitesse que d'aucuns auraient qualifiée d'elfique. Il ne s'arrêta que lorsque la pointe d'un carreau fut agitée à quelque centimètres de son torse.
«-Vous voilà donc, fit la naine avec un sourire mais sans baisser son arme. Maintenant, expliquez-moi comment vous êtes entré ici et pourquoi.
-Par la porte, ma bonne dame, répondit Kogan avec un sourire enjôleur, et parce que mon client m'y a envoyé.
-Et votre client est? demanda la rousse sans paraître impressionnée.
-Le sire Thirzuntîr en personne, qui d'autre? s'exclama Kogan. Voyant que la nouvelle semblait avoir un certain effet sur la naine, il continua : Je suis d'ailleurs surpris de voir quelqu'un d'autre. Je croyais qu'il était le seul à vivre ici.
-Je suis une amie, dit la naine pensive. Istam vous envoie, vous dîtes? Où est-il? Comment va-t-il?
-Il est au Palais, et il se portait plutôt bien la dernière fois que je l'y ai vu.»
Satisfait, Kogan se félicitait d'avoir vu juste. Annoncer l'identité de son employeur avait non seulement supprimé la majorité des doutes que cette naine pouvait entretenir à son égard, mais cela avait aussi eu comme conséquence de le rendre porteur de nouvelles d'une grande importance pour cette personne. Déjà, l'arbalète était pointée vers le sol alors que sa porteuse le dévisageait avec un espoir teinté d'inquiétude.
«-Vous êtes entré au Palais? Dîtes-moi comment! exigea-t-elle d'un ton impérieux.
-Par une ruse qui ne marchera pas deux fois. C'est sans doute impossible maintenant. Mais le forgeron va bien, je vous l'assure. Kogan hésita un instant, puis se lança : lui et moi mettons au point un plan pour récupérer sa hache, vous devez savoir de quoi je parle.
-Ce bout de métal? interrogea la naine. Il accorde beaucoup trop d'importance à cette arme. Et quel est ce plan?
-Rien de définitif pour l'instant, éluda Kogan. Mais je ne me suis pas présenté : je suis Kogan Mastersausage, propriétaire d'une auberge dans le quartier des Fumées.
-Sodel Thatthillisig, mécaniste, fit l'autre avant de continuer d'un air pensif. Je pourrais peut-être vous aider selon ce que vous prévoyez.
-Peut-être bien, répondit le contrebandier en toute franchise, laissez-moi vous expliquer la situation.»
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Une bonne heure plus tard, le contrebandier sortait enfin de l'atelier du forgeron. Ses objectifs de la journée étaient presque tous remplis, l'obtention de divers outils était tout ce qu'il restait dans sa liste. Cependant, l'après-midi s'était révélé si chargé en évènements que la tentation d'un repos bien mérité au Marcassin Hurleur se faisait presque irrésistible. Chassant les derniers lambeaux de détermination de son esprit, il résolut de charger un de ses employés de la tâche et prit la direction de la promesse d'un bon verre.
Revigoré par cette seule pensée, il s'élança d'un pas rapide au milieu de la foule incessante traversant à tout moment la cité. Malgré son habituel refus de porter le moindre intérêt à la ville, il ne lui fallu pas longtemps avant de s'apercevoir que quelque chose était étrange. Il y avait comme une tension dans l'air, il pouvait la sentir courir au travers de la foule et se propagea à la vitesse des rumeurs. Désarçonné par le sentiment qu'il lisait sur tous les visages et dont il ignorait jusqu'aux causes, il prêta l'attention à ce qu'il se disait sur son chemin. Un nom lancé au fil d'une conversation le fit s'arrêter net.
«-Mais si, la cousine de Morul Dabblersausage. Vous savez, l'ancien de la garde, expliquait un nain à un auditoire d'une dizaine d'autres.
-Le putain de traître, tu veux dire, corrigea un passant avec un air sévère. On raconte qu'il était reçu par le roi humain quelques jours après la prise de la ville, et qu'il le guidait durant la bataille!
-Ouais, si tu veux, répondit le premier, mais on s'en fout de ce type. Je disais que sa cousine avait causé un sacré bordel dans la tour de la garde.
-Et comment?
-Je connais pas les détails, mais j'étais là pour voir la suite. Vous vous rappelez de ce général humain?
-Celui qui est bâti comme un troll?
-Ouais, lui-même. Eh bien, il s'est battu contre le capitaine McEdern juste après. J'étais là, j'ai tout vu aussi bien que je vous vois en ce moment! McEdern était raide comme un piquet, caparaçonné dans son armure, une hache et un bouclier de fer dans les mains. Il avait un regard qui aurait fait hésiter un minotaure, croyez-moi! Et pourtant l'autre géant se tenait face à lui d'un air tranquille, sans même une arme pour se défendre!
-Et alors, que s'est-il passé? demanda une grosse naine.
-McEdern est un bon guerrier, dit un autre, un bouffon à moitié nu n'a pu le vaincre.
-Ah, si seulement, reprit le conteur. J'aurais aimé qu'on puisse qualifier la suite de duel, mais même l'ancien Consul n'aurait pas osé un tel mensonge. Ceux parmi vous qui ont déjà assisté aux combats que les humains organisent souvent entre un taureau et une paire de chiens ont déjà une bonne idée de la chose, mais imaginez en plus que le chien est boiteux et sans dents. Le pauvre McEdern s'est fait piétiner par ce monstre, il n'y a pas d'autre mot. Je ne l'ai pas vu une seule fois toucher l'homme, alors que lui-même a mordu la poussière plus de fois que je n'aurais pu les compter. Son armure l'a sauvé, c'est peu de choses de le dire. Mais malgré cela, je suis fier de témoigner que jamais notre capitaine n'a abandonné le combat. L'autre a eu beau le frapper tant qu'il pouvait et s'adresser à lui dans sa foutue langue de barbare, il n'a jamais cessé de se relever et de donner des coups. Il a fallu que l'homme l'étrangle pour lui faire perdre conscience, et même à ce moment il essayait de mordre son adversaire avec la fureur d'un blaireau!
-Alors, le capitaine s'est pris une raclée, dit pensivement un nain.
-Euh, oui, mais il était héroïque, je vous le dis!
-Et qu'est-il arrivé à Doren? intervint Kogan.
-Qui ça? Oh, la cousine Dabblersausage. Rien, je crois. Elle est partie avec le capitaine quand ses gars l'ont amené chez le prêtre.»
Rassuré quand au sort de sa cousine, Kogan s'éloigna de ce qui n'était plus que le récit d'un évènement sans grand intérêt et fila vers la promesse alléchante d'un verre du meilleur alcool de son auberge.
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«-Anoth Deng!.»
Le salut des gardes résonna longtemps dans le couloir presque vide alors que les hommes se mettaient au garde-à-vous. La douce satisfaction née de cette preuve de respect accompagna Icar-Deng tandis qu'il avançait dans la direction de la porte gardée par ces hommes, et elle fut telle qu'il en oublia presque la quantité incroyable de problèmes auxquels il était confronté. Quand il y repensait, la chose était stupéfiante : se trouver dans sa situation actuelle avait demandé une audace et une chance hors du commun. Il avait réussi son pari de ceinturer les Lances Murées avec brio malgré les critiques de son plus brillant des généraux, et pourtant rien de tout cela n'avait beaucoup changé les choses. Après tant de peines, le plus compliqué paraissait toujours à venir.
Le plus frustrant restait cependant que personne ou presque ne partageait son avis. Ses propres soldats considéraient avec ferveur et peut-être une certain amnésie que la victoire récente ouvrait la route vers une conquête facile, mais lui-même n'était pas dupe. Faire traverser un continent à soixante-mille hommes dans une relative discrétion, intimider un royaume pour obtenir un droit de passage, laisser la moitié de ses hommes sur place puis se rendre à l'autre extrémité dudit royaume pour y conquérir un avant-poste d'où il pourrait lancer un assaut et prendre en tenaille les nains des Lances Murées, tout cela avait été réalisé sans faillir, mais tout cela était facile en comparaison des défis se levant maintenant devant le Roi-Dieu. Il avait mené trente mille hommes dans un territoire dont il ne connaissait pour ainsi dire rien, leur avait fait affronter un ennemi dont il était tout aussi ignorant dans une bataille qu'il aurait qualifié de farce si elle n'avait pas manqué de détruire un symbole majeur de la religion de son pays. Le bilan de l'évènement était si sombre qu'il en était presque drôle : la puissante armée humaine de la Trompe, menée par le Grand Roi Icar-Deng à la Lance Agile, avait affronté une bourgade gardée par deux-cent nains et avait frôlé la débandade. Le goût amer de cette victoire s'était révélée le parfait présage de l'enfer logistique dans lequel elle avait plongé le Roi-Dieu. La région était montagneuse ; les routes suffisamment larges pour être empruntées par leurs éléphants se comptaient certainement sur une main et ils n'en connaissaient pas la moitié. Si l'on excluait les terres au nord qui étaient contrôlées par d'autres nains, c'était aussi une région relativement désertique ; les endroits où se procurer de la nourriture pour son armée étaient peu nombreux et tous défendus. Par bonheur, Cornedebouc possédait des réserves dont l'importance avait surpris Icar-Deng ; ils y avaient trouvé presque suffisamment de vivres pour nourrir l'armée pendant deux mois complets en rationnant les portions. C'était loin d'être assez, mais rien que cela était proche du miracle ; le Roi-Dieu l'avait expliqué par la folie naine, race bien connue pour ses excès en tous genres dont le plus récent exemple était la taille monumentale du Palais qu'il occupait présentement.
Aux problèmes d'approvisionnement s'en ajoutaient d'autres, tant qu'il était bien en peine d'en faire une liste. L'approvisionnement de ses troupes en armes et armures progressait lentement. La tâche confiée à la dizaine de forgerons de la ville était considérable et il était vite devenu évident qu'ils n'en viendrait jamais à bout avant qu'Icar-Deng soit forcé de quitter l'avant-poste ; tout au plus pouvait-il retarder ce moment et espérer que suffisamment de ses soldats soient équipés d'ici-là. Mais cette volonté de demeurer inactif présentait elle-même d'autres problèmes, car il fallait alors trouver un moyen d'occuper une armée déconfite par la blessure impossible de Lodicar. L'arrivée de Bemehring et la puissance rassurante d'Ashroicar avait paré au pire, mais le moral des troupes demeurait plus bas qu'ils ne l'auraient voulu à la veille d'une campagne commençant par plusieurs mois d'attente.
Les problèmes tourmentant Icar-Deng était ainsi innombrables, et si Bemehring et lui avait déjà discuté de certains d'entre eux, leur poids se faisait tout de même sentir sur les épaules du souverain qui voyait se rejouer les pires moments de la Conquête. S'il était vrai que tous deux avaient souvent fait face à de tels obstacles, il l'était aussi que l'on ne s'habituait jamais vraiment à de telles tensions. En conséquence, Icar-Deng était parfois pris d'une lassitude telle qu'affronter le jour naissant devenait le plus dur des défis. Par bonheur, se dit le souverain, j'ai maintenant une solution.
Et c'était justement cette solution qui amenait le Roi-Dieu à cet endroit du Palais par cette fin de matinée. S'il avait pris la peine de parcourir les couloirs interminables de l'édifice dont il n'avait pas encore complètement assimilé la structure, s'il s'était ménagé un moment hors des débats sans fin, des stratégies audacieuses et suicidaires, des chaînes logistiques improbables, des cérémonies religieuses, c'était bien pour tenter de reposer son esprit et de soulager son âme, c'était pour se ressourcer, c'était pour la solution ; il allait prendre un bain.
Un bain, certes, mais pas un bain de paysan, dans une rivière ou à la grâce d'un puits. Encore moins un bain de nain, dans un lac souterrain ou simplement dans la boue dans laquelle ils creusaient. C'était un bain de noble qu'Icar-Deng envisageait, un bain à sa mesure, un bain de roi, un bain divin. Il s'était donc, et cela avait été un de ses premiers ordres avec celui de la construction d'une véritable forteresse en surface, fait bâtir des bains digne de lui dans ce Palais qui ne manquait que de ces commodités. Des murs avaient été abattus et le bureau de l'ancien consul avait été converti en une salle de bain que le Roi-Dieu allait découvrir pour la première fois d'ici quelques minutes. Ses pensées ayant retrouvé son présent, il fit signe à un des deux hommes gardant l'entrée d'ouvrir la porte. Le garde s'empressa d'obéir, et il s'avança pour découvrir le résultat du travail des maîtres artisans nains.
Une odeur d'encens montait à ses narines tandis qu'il pénétrait dans la pièce. Il parcouru l'étendue des bains d'un regard appréciateur ; les dimensions convenaient. La pièce était constituée de deux parties plus ou moins distinctes. Partant de l'entrée sur une dizaine de mètres était un antichambre richement décoré. De nombreuses statues reposaient contre les murs, témoins silencieux du talent nain, et des colonnes finement taillées ouvraient un passage vers la seconde partie de l'endroit, qui étaient les bains proprement dits. Cette dernière partie pouvait être vue comme une salle rectangulaire au centre de laquelle avait été creusé un bassin à plusieurs niveaux de profondeur et entouré de colonnes sur lesquelles on avait taillé des gravures à la gloire du Roi-Dieu et de sa famille. Naturellement, la pièce avait été préparée pour répondre à tous les besoins du souverain ; de la nourriture ainsi que des bouteilles du cru personnel de l'ancien consul l'attendaient dans l'antichambre, et deux servantes légèrement vêtues se dirigeait vers lui pour l’accueillir.
Prenant son temps, Icar-Deng observa les deux femmes. Comme il seyait à des servantes du roi, toutes deux étaient d'une beauté enchanteresse. Leurs tenues de travail n'était pas le genre de vêtements qu'un nain aurait qualifié de «décent», et beaucoup était visible d'un simple coup d’œil. Pour autant, leurs courbes généreuses n'étaient qu'une partie de leur charme ; la chose était délicate à mettre en mots, mais toutes deux dégageaient cette sorte de grâce féline que les bardes aimaient tant vanter. Dans l'esprit d'Icar-Deng, leurs chevelures se mêlaient alors qu'elles l’accueillaient et l'attiraient vers le bassin dans un babil inconséquent, si bien qu'il lui devenait difficile de séparer les informations qu'il recevait de ses sens et de les assigner à une femme en particulier. Dans cette confusion séduisante, les deux silhouettes n'en devenaient qu'une, entité indivisible destinée à relaxer son corps autant que son âme.
Il prêta à peine attention aux deux gardes stationnés dans l'antichambre, se laissant guider par les servantes jusqu'au bord du bassin. Il avança dans l'eau comme on évoluait dans un rêve, lentement et dans un état second. La blessure de Lodicar et ses conséquences étaient oubliés, de même que tous les autres problèmes dont ses généraux l’assaillaient. Tout cela avait pris une importance secondaire, son univers ne se limitait plus qu'à ce bassin à l'eau si chaude, à l'encens calmant son esprit, et aux deux créatures merveilleuses le servant avec douceur. Ils avaient atteint une marche vers un secteur plus profond du bassin lorsqu'il se rendit compte que seule une des servantes l'avait suivi. Sans lui laisser le temps de l'interroger, celle qui demeurait entreprit de le déshabiller. Il se laissa faire sans un mot, pleinement conscient de la présence de la femme à quelques centimètres de son esprit bouillonnant. Quand le dernier vêtement fut tombé, il se dressa fièrement dans une nudité dénuée de toute pudeur et se plongea dans l'eau chaude. Durant quelques secondes de bonheur parfait, il resta la tête sous l'eau. Il se releva enfin ; l'eau ne lui arrivait plus qu'à la mi-cuisse. Répondant à l'invitation silencieuse de la servante, il s'appuya contre la marche, immergeant tout son corps en-dehors de sa tête et ses épaules. La femme commença à le masser doucement, ajoutant le contact de ses doigts fermes au monde d'Icar-Deng. Laissant échapper un profond soupir, il s'abandonna presque entièrement à la sensation divine.
En proie à une extase telle qu'il n'en avait jamais connu, il sentait la pièce autour de lui se dissiper devant la présence fatale de la servante collée à son dos. Les murs et leurs gravures se mélangeaient aux colonnes et aux statues ainsi qu'aux meubles luxueux dans un maelström d'émotions dont l'intensité lui semblait surnaturelle. Un bruit lointain, si assourdi qu'on l'aurait juré venu d'un autre monde, se fit entendre tandis qu'un mouvement de la servante annonçait qu'elle avait cessé son massage. Ah. Nous y voilà.
Brusquement, le Roi-Dieu se retourna et se jeta sur la femme, la plaquant au sol du bassin. Elle ne poussa pas un cri alors qu'il maintenait ses bras collés au sol et immobilisait ses mains, et son regard noir lui confirma ce qu'il soupçonnait déjà. Exerçant une pression sur la main droite de la servante pour l'ouvrir, il découvrit ce qu'il attendait. Une aiguille, d'où perlait un liquide à la texture plus que suspecte. L'assassine soutint son regard un instant, puis lui asséna un violent coup de genoux dans l'entrejambe.
La force du choc repoussa Icar-Deng en arrière. Agenouillé au centre de la pièce et tremblant d'une douleur aiguë qui tardait à se dissiper, il constata qu'il avait laissé échapper l'aiguille qui avait dû se perdre dans le fond du bassin. Devant lui, la femme s'était relevée et s'apprêtait à le charger. Aucune peur n'était lisible dans son regard, elle savait manifestement ce qu'elle faisait et ne devait pas en être à sa première cible. Grognant dans un suprême effort pour garder les idées claires, il se leva à son tour et fit face à l'attaque de celle que quelqu'un avait envoyé le tuer.
Il se rendit très vite compte qu'il était loin de se trouver au meilleur de ses capacités. Pour une raison qu'il ne parvenait à concevoir, le moindre pas lui demandait des trésors de volonté qu'il n'avait qu'en réserve limitée, et il se sentait à peine la force de noyer le plus faibles des enfants. Dans ses conditions, il ne bloqua la première frappe de l'assassine que de justesse. Alors que son bras s'engourdissait, il tenta d'abattre son poing sur son adversaire dans une frappe d'une lenteur navrante. La femme esquiva le coup avec grâce et un léger sourire, ripostant si vite qu'Icar-Deng ne sut qu'il avait été attaqué que lorsque la douleur se fit sentir dans son abdomen. Titubant, il se demandait comment se sortir vivant de cette situation lorsque la femme disparu dans une gerbe d'éclaboussure. Comprenant que la providence le favorisait et qu'elle avait glissé, il se jeta sur elle et la saisit au cou, fermement décidé à mettre un terme à la menace au plus vite.
Une pensée traversa l'esprit du Roi-Dieu alors qu'il étranglait l'assassine bloquée par le poids de son corps. Il possédait des gardes, il le savait, au moins cinq dans cette même pièce. Un instant, il leva la tête et regarda autour de lui pour élucider ce mystère. Il ne fallu pas longtemps avant qu'il puisse poser le regard sur un garde ; il y en avait un à quelques mètres de lui. Étendu à même la pierre, l'homme semblait inconscient. La panique commença à s'emparer de lui alors qu'il en découvrait un second dans une position semblable et un troisième de l'autre côté du bassin qui, agenouillé et se tenant à un meuble, paraissait lutter pour rester éveillé. Il tourna la tête, et il vit un autre garde conscient mais occupé à échanger des coups avec l'autre servante dont la lame était déjà couverte d'une teinte rougeâtre. Tout comme lui-même, le garde semblait avoir des difficultés à se mouvoir. Drogués, comprit Icar-Deng désormais à peine capable d'une pensée plus complexe que ce simple mot.
L'horreur de la révélation lui sembla empirer lorsqu'il se sentit victime de violents vertiges. Des tâches noires apparurent aux limites de son champ de vision tandis qu'il reportait son attention sur la femme qu'il était en train d'étrangler. Celle-ci sourit devant le désespoir qui l'envahissait à mesure que sa prise se faisait plus faible et que ses muscles s'amollissaient. Une paire de secondes s'écoula durant laquelle il parut réussir à lutter, puis elle saisit ses bras et les détacha sans effort de son cou meurtri. Sans un mot, elle le prit dans ses bras et l'entraîna avec elle vers le bassin central, le plus profond des trois. Comprenant que son intention était de le noyer, Icar-Deng tenta désespérément de se débattre. A son horreur absolue, aucune de ses tentatives n'aboutirent au moindre résultat ; il était complètement paralysé, littéralement impuissant devant tout ce qu'on voudrait lui faire subir. Des larmes lui coulaient le long du visage alors qu'il flottait lentement vers le centre du bassin où l'attendait une mort ignoble.
Il y arriva fatalement. La femme qui l'avait jusqu'alors soutenu en sorte à lui garder la tête émergée le mit debout. Il était impossible de lire autre chose que de la haine dans le regard qu'elle lui lançait alors qu'il anticipait le sort qu'elle lui réservait. Lentement, elle se pencha vers lui en lui posant les mains sur les épaules. Ses lèvres bougèrent un temps, mais il avait perdu la capacité de comprendre les mots qu'elles articulaient ; le seul son dont son esprit fiévreux était conscient était un battement lourd résonnant il ne savait où. Enfin, elle commença à le repousser vers le bas avec une douceur infinie, l'immergeant peu à peu. A moitié aveugle, il ne pouvait voir que son regard haineux alors que l'eau montait le long de son visage. Bientôt, ce regard aussi disparut, laissant place aux reflet troubles de l'onde vu d'en dessous. Un son puissant résonna dans ses oreilles, puis il perdit connaissance.
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«-Icar!»
Un violent choc contre une surface dure lui fit reprendre ses esprits. Tremblant de tous ses membres, incapable de prononcer un mot ou de tourner la tête pour observer ses environs, Icar-Deng mit quelques secondes avant d'oser ouvrir les yeux. Lorsqu'il le fit enfin, ce fut pour faire face au visage de l'assassine. Toujours consciente, celle-ci semblait néanmoins au bord de l’effondrement et luttait pour reprendre ses esprits. Le Roi-Dieu regarda par-dessus l'épaule de la femme, en proie à la plus vive surprise que son esprit engourdi pouvait ressentir ; ils étaient hors de l'eau, précisément au bord du bassin. Il reposait contre une colonne, jeté là par une force inconnue, et sur lui se trouvait la femme ayant menacé sa vie. Mais comment...
Il n'eut pas le temps de réfléchir plus à la question. L'assassine avait repris sa contenance, et déterminée à mener à bien sa mission, avait commencé à serrer son cou de ses mains. L'impuissance dont il était affligé se fit désespoir tandis qu'il luttait pour seulement lever ses propres bras dans une vaine tentative de se défendre. Suffoquant, il était sur le point d'abandonner lorsqu'une ombre gigantesque engloba leurs deux corps entrelacés dans une étreinte mortelle.
Un glapissement sortit de la bouche de la femme alors qu'une force terrible brisa son étreinte et l'arracha du corps paralysé d'Icar-Deng. Soulevée par une poigne colossale, elle fut maintenue en l'air d'une main puis projetée à plus d'un mètre en arrière. Ignorant superbement celle qu'il venait d'expédier avec une telle violence, Bemehring se pencha sur son ami. Son visage avait perdu son expression de calme tranquille qu'il arborait d'ordinaire ; seule une inquiétude franche ami se lisait dans ses yeux. Sans perdre de temps, il inspecta le corps du Roi-Dieu. Quelque peu rassuré par l'absence de blessure, il s'adressa à Icar-Deng d'une voix pressante.
«-Peux-tu parler?»
La lutte qu'Icar-Deng mena alors pour répondre à cette simple question aurait mérité un torrent d'éloge. Il semblait que la drogue qu'on lui avait administrée perdait de son effet, mais malgré cela il lui était toujours impossible d'articuler un mot ou de bouger le moindre membre. Seuls ses yeux lui obéissaient, et il les écarquilla de surprise lorsqu'il aperçu la fine silhouette de l'assassine courir vers Bemehring et se préparer à le frapper.
L'avertissement muet suffit au guerrier. D'un unique mouvement gracieux que l'on n'aurait pas attendu chez quelqu'un de sa taille, il se retourna et saisit le poing de son adversaire dans sa main gauche. L'instant d'après, il la fermait et la femme s'écoulait en un hurlement qui fut tout de suite interrompu par un coup si puissant qu'elle fit projetée en arrière. Désormais à moitié inconsciente, elle tentait en vain de se relever lorsque la botte de Bemehring vint se poser sur son cou. Se retenant pour l'instant d'exercer la moindre pression, le guerrier au visage impénétrable prit un moment pour observer l'assassine. Immobilisée par la menace de son poids, elle gisait au sol dans le plus simple des appareils. Le long de son visage coulaient des larmes réprimées de son mieux tandis qu'elle serrait sa main broyée par la poigne implacable du géant. Si elle était manifestement vaincue, son regard n'avait rien perdu de la dureté qu'avait remarqué Icar-Deng, et elle affronta l'inspection de Bemehring sans détourner les yeux. Enfin, le guerrier parla, d'une voix aussi froide que les étendues glacées du grand nord.
«-Qui t'envoie? Réponds si tu ne veux pas mourir ici-même.»
Un crachat et un regard méprisant furent les seules réponses de la femme. Comprenant qu'il ne tirerait rien d'elle, Bemehring exerça de son pied une pression immédiatement suivie d'un craquement immonde. Insensible à la violente mort qu'il venait de causer, il se retourna vers Icar-Deng et commença à parler.
«-Probablement un cadeau de Leba. Ils ont dû se dire que tu serais une cible plus facile en campagne. Les salauds, je retournerais les massacrer si je ne l'avais pas déjà fait avant de venir. Es-tu mieux?
-...Un ... peu. répondit difficilement Icar-Deng qui reprenait lentement contrôle de son propre corps.
-Les deux servantes étaient de mèche. A en juger par ton état et celui des gardes, elles ont dû mettre quelque chose dans l'encens. Je l'ai senti dès que je suis entré, l'odeur était trop forte. S'ils étaient là depuis longtemps, tes gardes devaient être à moitié inconscients lorsque tu es entré. Avec ça, ils étaient, vous étiez des cibles faciles.
-Comment...? parvint à articuler le Roi-Dieu.
-Comment j'ai su? J'avais quelque chose à te dire et je suis venu te trouver. La porte était fermée et personne n'a répondu à mes appels.
-Et tu es entré...?
-Par la porte, répondit Bemehring avec un rictus étrange. Tu devras peut-être t'en trouver une nouvelle.
-Pas important, assura Icar-Deng.
-En effet. Mais attends un instant.»
Bemehring se pencha vers le Roi-Dieu et le releva d'une main. Voyant que ce dernier n'était pas encore capable de se déplacer de lui-même, il le prit dans ses bras et traversa la pièce pour l'installer sur une chaise. Là, il le laissa un instant le temps de fouiller dans les environs. Il revint bientôt, tenant un drap qu'il tendit à Icar-Deng.
«-Couvre tes blessures, dit-il, il ne faut pas qu'on te voit ainsi.
-Merci, fit à mi-voix Icar-Deng en s'enveloppant dans le vêtement de fortune. Et je ne parle pas de la couverture.
-Il y a beaucoup à faire, continua Bemehring. La tentative a bien failli réussir. Tout d'abord, les servantes. Avais-tu déjà vu ces deux-là, ou étaient-elles nouvelles?
-Je... n'en ai aucune idée, avoua le Roi-Dieu. Je n'avais pas l'esprit clair après être avoir passé la porte. Même maintenant, je me souviens à peine de leur apparence. Mais tu as raison, continua-t-il d'un air fermé, les servants. Je ne peux plus leur faire confiance. Il faudra les faire exécuter.
-Tous?
-Oui, confirma Icar-Deng. Nous trouverons des remplaçants parmi la population, il y a forcément une paire de nobles dont les familles seront suffisamment éduquées pour me servir.
-Es-tu sûr? demanda Bemehring. Nous pourrions en trouver ailleurs, qui ne seraient pas des nains.
-Je ne pourrais jamais avoir confiance en un esclave acheté au marché du coin. Les nains sont à peine mieux, mais je détiens leur famille et leurs proches. Il faudra insister pour que le point passe chez tout le monde, mais je pense que c'est la moins pire des solutions.
-Nous ferons ça, alors, conclu le général. Ta garde, maintenant ; tu dois modifier sa composition. Il y avait cinq hommes dans cette pièce et pas un n'a été en mesure de réagir à la menace.
-Ce sont d'excellents soldats, assura Icar-Deng. Des archers d'élites.
-Des archers, justement. Leur talent est inutile au corps-à-corps, et viser en étant drogué est beaucoup plus difficile que donner un coup de lance. Je ne dit pas que tu dois tous les remplacer, mais tu as besoin de gardes capables de réagir à toutes les situations.
-Peut-être, fit Icar-Deng pensif. Qu'est-ce que tu proposes?
-Je vais te donner une partie de ma garde. Ce sont des hommes loyaux et compétents, ils te défendront jusqu'à leur dernier souffle. Tu n'auras qu'à les mêler aux tiens si tu veux un équilibre.
-Si tu veux, acquiesça Icar-Deng d'un air absent. Le visage troublé, il continua d'une voix faible : ils ont failli réussir cette fois-ci. Il s'en est fallu de vraiment peu.
-Oui, fit Bemehring en hochant lentement la tête, de peu. Nous nous sommes montrés trop sûrs de nous après une paix relative. Même après la fin de la Conquête, des ennemis restent cachés derrière toutes les ombres.»
Icar-Deng laissa les mots de son ami se dissiper dans l'atmosphère étouffante des bains. Désireux de se changer les idées, il fit une nouvelle tentative de se lever. Cette fois-ci, ses muscles répondirent à son appel et si le mouvement lui arracha une grimace de douleur, il en fut néanmoins capable sans faire appel à l'aide de Bemehring. Rassuré par sa récupération rapide, ce dernier esquissa un sourire. Icar-Deng y répondit, constatant avec bonheur qu'il reprenait lentement mais sûrement le contrôle de ses mouvements. Observant les alentours librement pour la première fois depuis ce qui lui paraissait une éternité, il constata qu'ils se trouvaient dans un coin de l'antichambre de la salle de bains. Des mouvements se laissaient deviner du côté de l'entrée, où toutes les commères du Palais devaient s'être rassemblées dans le but d'en apprendre plus sur la situation.
«-Tu vas devoir te montrer d'ici peu, reprit Bemehring qui avait suivi son regard. Les rumeurs doivent déjà être sorties du Palais et il faut rassurer les troupes. Leur montrer que tu es en vie et que tout va bien. Penses-tu en être capable?
-Il le faudra bien, répondit Icar-Deng d'un air las. Il allait se lever lorsqu'il remarqua du sang sur les mains de son général : Tu saignes, es-tu blessé?
-Quoi? fit le guerrier d'un air étonné avant de remarquer ses mains. Oh ça. Ce n'est rien, un entraînement un peu rude dans la matinée. Rien de notable, vraiment. Tu es prêt?
-Oui, répondit le Roi-Dieu en se levant et en se recomposant une allure noble. Allons-y.»
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Dans une ruelle insalubre du quartier que la population naine de la ville connaissait sous le nom de Stalkòbvim, l'humain Islas vomissait en s'appuyant contre un mur recouvert de tâches dont l'origine n'était pas identifiable. Tremblant violemment sous la violence de son mal, il cessa brusquement ses éructations et se remit à marcher d'un pas titubant. Les derniers jours - ou bien semaines, il avait depuis longtemps perdu le compte avaient été terribles pour le pauvre homme. Devant l'ampleur de ses crises et leur fréquence sans cesse croissante, il avait finalement abandonné l'espoir de voir son affliction cesser aussi soudainement qu'elle l'avait pris. Désormais guère plus qu'une ombre dans un corps tombant en lentement en ruine, il errait dans les tunnels de la ville sans la moindre logique, s'estimant heureux lorsqu'il parvenait à voler de la nourriture à un mendiant particulièrement affaibli ou un enfant plus lent que la moyenne. Il lui arrivait, dans ces rares moment où son état se faisait meilleur, de se voir pour ce qu'il était devenu ; il pleurait alors de pitié devant l'image qu'il donnait de lui-même et se lamentait sur cette mort qui refusait de le prendre. Mais ces instants maudits n'étaient que gouttes dans une mer de souffrances, et invariablement un instinct de survie cent fois maudit reprenait le dessus lorsqu'il se trouvait dans une situation susceptible de mettre fin à son existence. Il avait beau se convaincre de laisser tomber, c'était plus fort que lui ; la simple idée de son fin lui rendait la force de volonté de se traîner hors de danger, seulement pour que cet état de grâce l'abandonne lorsque la menace était passé.
Islas avait ainsi perdu le compte du nombre d'agressions auxquelles il avait survécu depuis qu'il avait posé le pied dans ce quartier mal famé de la ville. Elles lui semblaient innombrables, mais c'était certainement seulement parce que toutes ses expériences à compter de ce jour fatidique où il avait ressenti la première migraine se mêlait au sein de son esprit, joignant dans une folle danse le maelström bouillonnant qu'étaient ses émotions. Dans ses moments de clarté, il reconnaissait qu'une part au moins de ces dangers étaient des conséquences directes de ses vols désespérés de nourriture. C'était là encore une chose que l'homme ne comprenait pas. Il passait la plus grande partie de ses journées à crachoter une substance rougeâtre qu'il n'osait pas tenter d'identifier, et pourtant chacune de ses crises le laissait plus affamé que jamais il ne l'avait été. La chose prenait des dimensions presque irréelle, il lui arrivait de parvenir à pénétrer dans une boucherie et de consommer sur le champ une quantité de viande qui aurait suffit à rassasier un lion pour ressentir la même faim dévorante à peine sorti de la boutique. Bien sûr, il rendait invariablement ce qu'il consommait dans l'heure, et même ces moments éprouvants ne suffisaient pas toujours à lui faire oublier ce désir insensé occupant son esprit ; il lui était d'ailleurs arrivé de rêver à un repas abondant en viandes de toutes sortes alors même qu'il était penché au fond d'une ruelle et occupé à vomir un flot sans fin de reliquat glaireux.
Le visage couvert d'une épaisse couche de sueur à laquelle se mêlaient sang et saleté, Islas avançait d'un pas aveugle dans le tunnel, ayant perdu tout espoir que sa vie puisse un jour redevenir normale.
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Fin du pavé, et tout se déroule à Cornedebouc. J'en ai un autre équivalent qui sera sans doute le plus gros hors-sujet du topic, mais j'attends un chapitre d'Ange avant de le poster.
Je tiens à assurer que aucun des personnages ne gardera des séquelles durables suite aux évènements du chapitre, sauf peut-être une certaine paranoïa pour Icar-Deng.