Comme chaque mercredi, retrouvez aujourd'hui In Game, votre chronique qui s'attarde sur une séquence ou une scène d'un jeu afin d'en expliquer les ressorts, qu'ils concernent sa narration ou ses mécaniques. Pour ce huitième numéro, nous nous attardons sur les premiers pas du joueur dans The Legend of Zelda : Breath of the Wild et de leur mise en pratique de la théorie du Flow
Quel est le point commun entre Beath of the Wild, Journey et le travail d’un psychologue Hongrois ? Pas grand-chose me direz-vous, et pourtant… Aujourd’hui dans InGame je réveille une nouvelle fois Link dans le plateau du prélude pour vous parler non pas d’Hyrule ou de la triforce, mais de la mise en pratique de la théorie du flow dès les premières minutes de Breath of the Wild.
Théorie du flow. Derrière ce terme un peu obscur se cache une théorie énoncée par le psychologue Hongrois Mihaly Csikszentmihalyi, pardonnez la prononciation hasardeuse. N’avez-vous jamais été à tel point absorbé par une activité, que vous en avez perdu la conscience du temps qui passe, de ce qui vous entoure, voire de vous-même ? C’est ce phénomène qui est définit par la théorie du flow, le flow c’est l’état de concentration et d’engagement optimal d’un individu dans une activité, qui procure chez cette personne un sentiment continu de réussite et de bonheur. Pour y parvenir, l’esprit doit évoluer dans une zone à l’équilibre fragile située entre le challenge de l’activité en cours et les compétences personnelles qu’elle met en œuvre. Pour faire simple, si c’est trop simple on s’ennuie et si c’est trop dur on éprouve de l’anxiété et de la frustration. Le point d’équilibre se situe donc pile poil entre ces deux états de conscience.
C’est bien joli me direz-vous, mais quel rapport avec Zelda ? Pour faire le parallèle, il faut se pencher sur le travail du créateur Jenova Chen, fondateur du studio Thatgamecompanie à qui l’on doit des titres tels que flOw, Flower ou Journey. L’homme s’est penché sur la mise en pratique de la théorie du flow dans le jeu vidéo dans sa thèse universitaire. Selon lui il est possible de déclencher l’état émotionnel de plein engagement chez le joueur par différents procédés de game design et il se trouve que le début de Breath of the Wild coche une à une les cases nécessaires à la validation de sa théorie. Pour agrandir la couverture de la zone de Flow d’un jeu, le design doit offrir une grande variété d’expérience de gameplay. De tâches extrêmement simples à la résolution d’un problème complexe, différents joueurs devraient toujours être capables de trouver la bonne quantité de challenges à engager durant l’expérience de Flow.. L’idée est simple ; intégrer au jeu un ajustement permanent de leurs difficulté, géré par l’intelligence artificielle ou, et c’est là que ça devient intéressant, par le joueur lui-même.
Dans un jeu comme Mario Kart par exemple, l’ia va volontairement donner de meilleurs objets aux joueurs dans le bas du tableau qu’aux pilotes en tête de tracé. La même pour Resident Evil 4 et sa difficulté adaptative grâce à laquelle la puissance des ennemis s’adapte automatiquement à la maîtrise du joueur. Dans Breath of the Wild, la mise en pratique de la théorie du flow passe par les possibilités et les outils mis entre les mains du joueur. Le titre de Nintendo lui offre sans cesse des choix subconscients pour l’aider à personnaliser activement son expérience de jeu à travers un éventail de challenges qui n’a comme seules limites celles de son imagination.
Il existe huit dimensions liées à l’expérience du flow pour Csikszentmihalyi dont le fait de proposer dès le départ un but clair et des objectifs définis. Ce à quoi Breath of the Wild répond par un premier plan général construit de manière à tout de suite faire comprendre au joueur que le château d’Hyrule, loin, dans l’ombre, un peu menaçant est surtout en plein centre de son écran sera son objectif. Le logo du jeu disparaît alors, la caméra revient derrière nous et l’oriente notre regard vers notre prochain but, une église en ruine, sans aucune autre forme d’indications qu’un nouveau panorama.
Sauf que pendant le court chemin qui sépare Link du monument, le titre va peu à peu introduire de manière très naturelle ses différentes possibilités de gameplay. Le joueur est à ce moment plein de curiosité pour ce nouvel univers, c’est donc le moment idéal de lui faire comprendre un autre point essentiel de la théorie du flow, exprimé par Jenova Chen par « le besoin d’éprouver une sensation de contrôle personnel au cours de son activité de jeu ». Et pour ça ben Breath of the Wild nous met une simple branche sur le chemin, première arme improvisée de l’aventure avec laquelle il est possible de combattre, mais aussi de taper sur des arbres pour faire tomber des pommes.
On se dirige alors vers un élément visuel distinctif du décor, un champignon dont le rouge se démarque du vert de la prairie. Deux autres champignons sont placés à quelques mètres, mais en hauteur cette fois, donnant au joueur un premier et bref aperçu du système ouvert d’escalade du jeu et de sa gestion de l’endurance. Lors du premier dialogue avec un PNJ, branche à la main, la présence d’un feu de camp nous incite à tenter d’enflammer le bout de bois, et bingo, l’interaction fonctionne ! Ce ressenti direct est essentiel dans la théorie du flow où chaque activité doit exciter la curiosité du joueur et lui fournir un feedback clair et immédiat de ses actions.
Un peu plus bas justement et alors que le joueur tient encore son bâton enflammé à la main, il tombe sur un autre feu de camp éteint cette fois, qu’il va bien bien sur allumer avec sa torche fraîchement improvisée. Et comme par hasard, une lourde hache est planté juste à côté, un outil de combat bien plus puissant que le notre petit bâton du départ, on s’en saisit pour rencontrer quelques mètres plus loin notre premier Bokblin ennemi. La hache est puissante, plus technique à manier que le bâton, mais plus mortelle aussi. Revers de la médaille, elle porte avec elle une mécanique tout droit liée au fameux concept de game design de Jenova Chen, celui de l’adaptation dynamique de la difficulté. La fonctionnalité fait d’ailleurs toujours débat chez les joueurs, pourquoi diable nos armes s’abîme si vite dans Breath of the Wild.
Certains trouvent frustrant de ne pas pouvoir conserver très longtemps leur arsenal dans le jeu. Mais si Nintendo a introduit ce principe, c’est justement pour éviter de rendre l’expérience de jeu trop simple sur la durée. Link serait certes très puissant s’il pouvait toujours manier les meilleures armes du jeu, mais l’expérience deviendra trop simple et s’éloignerait en contrepartie de l’équilibre émotionnel de la zone de flow. La durabilité des armes est une forme d’ajustement dynamique de la difficulté à l’image de nombreux autres éléments de Breath of the Wild. Pour agrandir la couverture de sa zone de Flow d’un jeu, le design de Breath of the Wild offrir très vite une grande variété d’expérience de gameplay, la cuisine, l’escalade, la gestion du froid, les différents modules de pouvoirs offerts au joueur dès les premiers temples du jeu. Tout est transmis au joueur par des tâches simples permettant par la suite la résolution de problèmes bien plus complexes. Le titre a d’ailleurs été prototypé de cette manière par Nintendo, en 2D, pour permettre aux développeurs de tester tout un tas d’activités destinées à accorder un large éventail de choix à la personne derrière l’écran.
Qu’on l’appelle gameplay émergeant ou flow, ces possibilités offrent donc de de multiples solutions à une situation donnée, de sorte que tous les profils de joueur puissent toujours y trouver un challenge à la hauteur de leurs capacités et ce dès les premières minutes de ce Breath of the Wild, jusqu’à ces derniers instants.