Les fans qui ont vécu la grande aventure à l’orée des années 2000 dans le jean délavé de Ryo Hazuki ont attribué à la saga Shenmue une aura presque aussi légendaire que celle du Phoenix Mirror, objet de toutes les convoitises de Yamanose à Kowloon. Il faut reconnaître que les ambitions folles des deux titres façonnés par Yu Suzuki ont chamboulé toute une catégorie de joueurs, marqués par la brusque disparition de la Dreamcast et frustrés de ne jamais connaître le dénouement du périple. En attendant Shenmue III, Sega sort enfin une compilation des deux premiers épisodes en “haute définition”. Si cette édition est aussi lisse et polie que Ryo, possède-t-elle encore le feu sacré de son illustre héros ?
Shenmue I & II HD, notre avis en trois minutes
Tout travail mérite salaire
Il existe une croyance sur la toile qui stipule que le nombre de personnes parlant de Shenmue serait inversement proportionnel aux aventuriers y ayant vraiment joué. Il faut reconnaître que les ventes décevantes de la série ont souvent tranché avec les très nombreux commentaires réclamant une suite. Ayant cédé aux nombreuses pétitions et profitant du coup de projecteur occasionné par le développement de Shenmue 3, SEGA offre aux possesseurs de PlayStation 4, Xbox One et PC une chance de (re)découvrir l’épopée de Ryo Hazuki tout au long des chapitres qui composent la trame.
Une question se pose d’emblée : est-ce que quelqu’un qui n’a jamais joué à l’œuvre de Yu Suzuki peut aujourd’hui arpenter les allées de Dobuita et d’Aberdeen avec le même plaisir ressenti par les baroudeurs qui les ont parcourues il y a 18 ans ? La réponse est aussi nuancée que les couleurs de l’ipomée. Shenmue est un jeu d’enquête se déroulant en 1986, dans un univers majoritairement urbain. Le personnage principal, Ryo, remue ciel et terre pour retrouver le tueur de son père. Manette en main, il est surtout demandé de rôder dans les zones près des commerces afin d’interroger les nombreux PNJ et ainsi récupérer de précieux témoignages. Chaque commerçant peut potentiellement aider le joueur à avancer dans sa quête et remplir son carnet de bord, en lui indiquant par exemple où se rendre pour rencontrer un protagoniste clé. Le tout est entrecoupé de séquences aux gameplay spécifiques, qu’il s’agisse de combats, de poursuites en QTE, d’infiltration ou encore de pilotage de véhicules. De quoi agrémenter un périple dont le rythme fut quelque peu décrié même à l’époque, la faute à de nombreux allers-retours et à des moments imposés d’oisiveté, qu’il est bon de combler sous les néons de la salle d’arcade du coin. Shenmue II propose néanmoins des événements plus nombreux, au sein d’une surface de jeu trois fois plus grande par rapport à celle du premier chapitre.
Shenmue I & II HD propose les voix anglaises comme japonaises. Les textes sont quant à eux traduits en français (où quelques fautes se sont glissées, heureusement rares). Le jeu d’acteur étant ce qu’il est, nous aurions apprécié que SEGA propose, en plus des voix d’origine, un nouveau doublage.
Ce qui est certain, c’est que l’histoire contée fonctionne toujours. Oui, le thème de la vengeance est universel, mais le mysticisme et la poésie de l’aventure font office d’antioxydants exemplaires. Les personnages sont attachants, malgré une compression audio d’époque qui rappelle que l’on a fait beaucoup de progrès technologiques depuis les années 2000. Il existe tout de même quelques incohérences de script quand Ryo semble découvrir une information auprès d’un PNJ, information qui a pourtant déjà été donnée précédemment. Ce sont forcément sur les détails de ce genre que les mécaniques de la série accusent un peu leur âge. La grosse nouveauté de cette version HD vient évidemment de la traduction française de tous les textes du titre, assurant ainsi une compréhension totale des nombreux dialogues qui jalonnent l’avancée.
Comme nous l’évoquions, Shenmue I et II sont des jeux d’aventure, ou plutôt de piste, puisqu’une grande partie de l'expérience repose sur la recherche des traces laissées par Lan Di. À partir du deuxième épisode, les passants deviennent utiles et sont capables de mener à une destination. C’est également à partir de cet opus qu’une touche du pad est dédiée à tout ce qui touche à l’argent et aux moyens d’en gagner. Par rapport à la version Dreamcast, l’interface du chapitre d’origine a été homogénéisée avec les suivants, ce qui signifie que la montre se situe en haut à droite de l’écran, tandis que les touches du pad sont affichées en bas à droite. Nous avons cependant noté un problème : il manque les indications stipulant qu’un objet peut être poussé. Pour le cas de l'entrepôt n°8, par exemple, la flèche indiquant la direction à maintenir afin de déplacer la caisse a tout simplement disparu.
Technical improvement? I see...
Une réédition sous-titrée “HD” sous-entend forcément des améliorations techniques. Si vous avez jeté un œil sur les différentes captures d’écran qui habillent notre article, vous devriez vous apercevoir que le rendu reste très proche de ce que l’on a connu par le passé sur Dreamcast. Les personnages n’ont pas vraiment gagné en polygones, alors que les textures sont rarement détaillées. Même les bugs visuels sont d’origine, à l’image des personnages qui apparaissent ou disparaissent soudainement, et des ombres projetées dans le vide comme s’il s’agissait d’un sol “en dur”. On note aussi quelques légères saccades sur le bitume de Dobuita lorsque les habitants sont de sortie et que les flocons de neige tombent. Si le rendu graphique est effectivement plus net, il y a tout de même de quoi rester sur sa faim. SEGA a fait dans l’économie de moyens, et c’est plus que regrettable. Au moment où nous écrivons ces lignes, Shenmue I souffre par ailleurs d’un bug visuel au niveau de son ciel. Ce dernier défile en effet à une vitesse faramineuse à chaque changement d’orientation du personnage. Nous espérons qu’un patch viendra prochainement corriger cela.
Au rayon des petits plus appréciables, il y a avant tout l’option 16:9, bien que les cinématiques du titre restent malheureusement en 4:3. Ensuite, les cutscenes peuvent être abrégées, et les temps de chargement sont beaucoup plus rapides. Enfin, il est important de préciser que la version de Shenmue II portée à l’écran provient de la mouture Xbox, qui dispose donc du mode photo en plus de différents filtres graphiques annexes. Nous aurions apprécié que SEGA ajoute une jouabilité pensée aux doubles joysticks, Ryo ne répondant pas totalement au doigt et à l’œil dans sa configuration d’origine. Il y a une inertie dans les déplacements qui rend le héros délicat à diriger dans les espaces confinés, où l’on a vite fait d'exécuter des demi-tours de manière involontaire. Les zones de script ne sont pas totalement précises, et il arrive parfois d’engager une action que l’on ne souhaite pas. Autant de détails plus ou moins importants qui ne devraient pas choquer les connaisseurs, mais qui pourraient rebuter les nouveaux venus. Dans tous les cas, les deux partis auraient mérité une réédition plus soignée, même si les qualités intrinsèques de l’épopée assurent un voyage qui demeure des plus plaisants.
Points forts
- L’aventure de Ryo enfin sous-titrée en français
- Une quête de vengeance toujours passionnante à suivre
- Shenmue lissé, en 16:9, et avec des temps de chargement raccourcis
Points faibles
- Techniquement plutôt faiblard
- Les enregistrements audio accusent le poids des âges
- Une maniabilité d’origine loin d’être précise
- Du 4:3 lors des cinématiques
Malgré les propos de Maître Chen avertissant Ryo “qu’il ne devrait pas gâcher sa vie par soif de vengeance”, nous autres, joueurs, ne pouvons que saluer l’obsession du jeune combattant. Tel le phénix, la saga de Yu Suzuki renaît donc de ses cendres grâce à cette réédition “HD” qui se contente d’être, globalement, une version lissée des chapitres d’origine. Un tel périple aurait forcément mérité plus de soin à l’occasion de ce portage, mais les forces de Shenmue demeurent à peine altérées. Ces défauts, par contre, sont d’autant plus visibles. À notre grand regret, la qualité dégradée des voix et la maniabilité chancelante rappellent trop régulièrement certaines affres du temps.