Monokuma est de retour en cet automne 2017 et l’ourson démoniaque ne s’est pas assagi avec les années. Après avoir hanté la console portable de Sony puis envahi la PlayStation 4 avec le portage des 2 premiers épisodes dans la compilation Danganronpa 1•2 Reload, la mascotte un brin dérangée du studio Spike Chunsoft revient torturer les fans de la saga et accueillent les néophytes à bras ouverts dans Danganronpa V3 : Killing Harmony. L’année scolaire vient tout juste de débuter et elle s’annonce sanglante.
Bande-annonce de Danganronpa V3 : Killing Harmony
Ce test bien qu'exempt de spoilers majeurs risquerait de dévoiler divers éléments de scénario, non pas dans le texte mais à travers certains visuels. Si jamais vous souhaitez conserver 100% de l'intrigue, ne vous arrêtez pas sur ces derniers et concentrez vous sur le texte.
Le retour de l’ours prodigue
Nouvelle année scolaire, nouvelle académie et donc nouveau casting pour ce Danganronpa V3 : Killing Harmony. 16 nouveaux lycéens ultimes composent donc cette classe de la troisième saison vidéoludique de Danganronpa. Les figures emblématiques de la série, à commencer par Makoto Naegi (héros de Danganronpa : Trigger Happy Havoc), sont aux abonnés absents et remplacés comme toujours par une brochette de personnages haut en couleurs, bien plus proches de la caricature que de la psyché complexe… inspiration manga oblige. Difficile d’échapper à la peste persuadée d’être “la plus b*nne de toutes tes copines”, au colosse au pied d’argile fort comme un boeuf mais incapable de faire du mal à une mouche et bien entendu au héros au grand coeur faisant passer la vie de la veuve et l’orphelin avant la sienne.
Et dans le cas présent, le héros se mue en héroïne et répond au doux nom de Kaede Akamatsu, une jeune demoiselle bien sous tous rapports et accessoirement génie du piano. Car les supers talents sont de retour et Spike Chunsoft s’en est donné à coeur joie pour nous concocter des “Ultimes” sortis de derrière les fagots : pianiste, tennisman, astronaute, gouvernante, artiste, robot… qui viennent s’ajouter à des caractères bien trempés et reconnaissables entre tous. Mais ces personnages auront beau faire, l’essence même de la saga Danganronpa se cache dans les 65cm d’un Monokuma aussi perfide qu’attendrissant. Cet ours mécanique s’apprête à torturer mentalement et physiquement nos 16 protagonistes une fois encore et fait participer sa gentille petite famille. 5 Monokumers (Monodam, Monokid, Monophanie, Monosuke et Monotaro) épicent l’aventure avec leur espièglerie enfantine et allègent le ton du récit pour mieux exacerber l’horreur dans laquelle sont plongés les étudiants de l’Académie des Prodiges Condamnés.
Danganronpa V3 : Killing Harmony est une expérience vicieuse se jouant de nos peurs et de notre appréhension naturelle pour les massacres. Tout comme dans les 2 épisodes canoniques précédents, nos chers étudiants doivent s’entretuer. A chaque mort, un procès a lieu et si le coupable n’est pas démasqué, l’ensemble des survivants est passé aux hachoirs à viande… le coupable pouvant alors profiter d’une vie “bien méritée”. Dans le cas contraire, l’aventure continue et seul le coupable mange les pissenlits par la racine. Le postulat de départ n’a pas bougé d’un iota et pourtant les surprises sont au rendez-vous et ont le pouvoir de tenir en haleine les habitués de la franchise. Complots, trahisons, rebondissements, révélations… les plumes des scénaristes ont été prolifiques, brisent à de nombreuses le 4ème mur (Lire : Quand les créatifs brisent le quatrième mur !) et font du joueur n’ont plus un spectateur du massacre, mais bel et bien un acteur à part entière.
Les réfractaires aux récits capillotractés passeront probablement leur chemin face à un scénario “What the Fuck” aussi prenant que dépaysant au point d'abandonner le non initié sur le bord de la route. Danganronpa V3 : Killing Harmony s’aventure au-delà des frontières du réel et de la vraisemblance, et embrasse son statut de manga interactif pour nous pondre une aventure rocambolesque fantastique et fantasmée. Cet épisode conserve donc les forces des précédents épisodes, mais également les faiblesses. Le rythme propre au Visual Novel et ses séquences verbeuses à souhait pourraient donc s’avérer fatals aux néophytes. Un prologue de plus de 2 heures pour une mise en appétit bien trop longue. Un premier procès débuté après 5 heures à traverser de long en large les couloirs de l’académie. Des scènes de dialogues interminables utiles pour découvrir les 16 personnages, mais optionnelles pour ce qui est de l’intrigue. Le titre de Spike Chunsoft traîne en longueur et dilue tellement son propos que ce dernier perd à certains moments en saveur.
Et c’est un comble pour un jeu s’autorisant les perversions les moins subtiles au nom du gore et du rire gras. Les interventions salaces sur la culotte de Kaede Akamatsu ou sur la poitrine généreuse de Miu Iruma, les scènes d’exécution aussi créatives que timbrées… Danganronpa n’a rien perdu de sa superbe et surprend le fidèle étudiant à maintes reprises. Et les allergiques à la langue de Shakespeare ont enfin l’opportunité de profiter des écarts de Monokuma et de ses Monokumers dans leur langue maternelle. Doublé en japonais et en anglais, Danganronpa V3 : Killing Harmony propose des sous-titres en français - une première dans la série - et pousse le vice au point d’adapter les jeux de mots, les blagues et l’ensemble des dialogues afin de retranscrire au plus près les intentions du studio. Seul bémol sur ce point, les sous-titres FR manquent à l’appel dans certaines cinématiques.
Rififi de justice chez les mythos
On ne change pas une formule qui gagne, mais on l’affine et l’aggrémente de nouveaux ingrédients justifiant - au-delà du pur intérêt scénaristique - l’existence même d’un troisième épisode. Danganronpa V3 : Killing Harmony est bel et bien l’héritier de la saga débutée en 2014 sur PlayStation Vita. L’expérience s’articule autour de 3 grandes phases qui se répètent tout au long des 6 chapitres (8 avec le prologue et l’épilogue) qui composent une aventure dont la durée de vie avoisine les 35 heures. Temps libre, enquête et procès s’enchaînent donc avec pour climax l’exécution d’un ou plusieurs élèves. Manga oblige, l’amitié est le seul et véritable pouvoir en ce bas-monde. Kaede Akamatsu doit donc tisser des liens avec ses camarades d’infortune par le biais de discussions informelles et de cadeaux offerts pour gagner leur confiance…matérialisme quand tu nous tiens… afin de renforcer des relations dont l’intensité se mesure en Fragments. La symbiose est la clé de la survie dans Danganronpa et vos amis sont d’un secours favorable en ces temps défavorables.
Une fois un meurtre découvert, la phase d’enquête peut débuter. Après avoir examiné la scène de crime et le cadavre, les étudiants arpentent l’académie à la recherche d’indices, de réponses ce qui oblige les joueurs que nous sommes à crapahuter encore et encore dans les couloirs de l’institut. Fort heureusement, Spike Chunsoft a pensé à nos petits petons et a implémenté les voyages rapides, histoire de dynamiser le rythme et d’éviter ce sentiment de redondance souvent à l’origine d’un rejet du genre. Ces séquences d’investigation loin d’êtres fastidieuses sont nécessaires et surtout plaisantes à vivre bien que la linéarité et l’absence de véritables nouveautés soient à déplorer. Lire les rapports, recouper les indices et se préparer avant que le procès ne commence sont des étapes primordiales car aucun répit n’est accordé une fois que le marteau de la justice a frappé.
Le Temple du Jugement, lieu de toutes les vérités (ou presque) et de tous les dangers pour nos 16 étudiants, ouvre alors ses portes lors d’un procès qui s’avère diablement long… trop long même. Près de 90 minutes par procès sont nécessaires pour en voir le bout au point de lasser et de faire une pause sous peine de craquer nerveusement. Si Spike Chunsoft souhaitait plonger le joueur dans la peau d’un coupable attendant fébrilement la sentence, rien à redire car le contrat est rempli. Mais en attendant, la frustration s’invite dans des débats Non-Stop qui demandent concentration et précision pour réfuter (mots en jaune) ou corroborer (mots en bleu) les arguments à l’aide de “Ballindices” qui manquent parfois de clarté dans leur formulation. “Témoignage de XXX” n’aide pas à la prise de décision en une fraction de seconde et oblige le héros à faire pause pour relire chaque indice ce qui brise ce rythme frénétique tant recherché par les développeurs.
Et la confusion prend une toute autre ampleur une fois le mode “Panique” enclenché. Lors de cette phase, tout le monde parle en même temps et il s’agit pour le joueur de réfuter les dires des autres étudiants alors que l’écran est scindé et que les phrases filent à toute vitesse sur ce dernier. A ce degré d’intensité, la Concentration est salutaire et permet de ralentir le temps pour placer comme il se doit l’argument qui clouera l’opposition au pilori. Et le procès s’intensifie encore et encore avec l’ajout de nombreux modes aux gameplay tous différents. Les duels aux sabres avec les “Lamindices” façon Fruit Ninja, les puzzles sous forme d'anagrammes, le “Climax” dans lequel le héros retrace le crime commis sous la forme d’un manga, le jeu de rythme “Clash d’Opinions” et son QTE pour conclure… la séquence de procès est riche au point de frôler l’indigestion et de perdre le joueur pourtant assidu sous une avalanche de gameplay tous plus différents les uns que les autres. Riche au possibles, les procès sont intenses et rythmés, mais acculent quitte à devenir désagréables.
Et ce ne sont pas les 2 principales nouveautés de gameplay qui vont changer cet état de fait. Le studio Spike Chunsoft a intégré un nouveau mode au coeur des procès. Les “Débats en mêlée” opposent 2 opinions lors d’une phase où les étudiants se répondent à grands coups d’arguments. En tant que leader d’un groupe, le héros choisit les bons indices à opposer à ses adversaires afin de faire correspondre certains mots-clés et ainsi clouer le bec aux dissidents. Cependant, la véritable nouveauté vient d’un ajout simple, mais qui complexifie les procès… encore ! Le héros a désormais la possibilité de mentir pour forcer la vérité à éclater au grand jour en mettant l’un des protagonistes face à ses contradictions. Sur la papier, la présence du mensonge dans l’équation est excitante et enrichit l’expérience. Et pourtant, à trop complexifier les procès ces derniers deviennent abscons et côtoient le ridicules. Le fond et la forme s’enlisent alors dans un bourbier de features et de rebondissements dont le joueur a du mal à se dépatouiller.
La patte de la justice
Les 2 premiers épisodes canoniques étaient destinés à la PlayStation Vita et leur portage respectif sur PlayStation 4 n’a rien arrangé. Visuellement parlant, la franchise a toujours profité d’une réalisation 2D exemplaire et d’une 3D sommaire pour ne pas dire rudimentaire et ce Killing Harmony est à l’image des ses ancêtres, bien que le studio ait consenti des efforts. Sans atteindre des sommets de réalisation, les environnements 2D sont bien moins pauvres que par le passé. Une végétation dense parcourt les couloirs de l’Académie des Prodiges Condamnés et les salles ne manquent pas d’éléments pour leur donner une consistance qui manquait à l’appel jusqu’à présent.
La véritable plus-value de Danganronpa V3 réside dans ses graphismes 2D n’ayant rien à envier à la concurrence. L’interface à elle seule est une réussite avec ce vert électrique et ses petites animations gommant un aspect statique souvent irritant après plusieurs heures de jeu. Et les personnages ont subi un ravalement de façade tout aussi appréciable. La qualité des illustrations est à saluer tout comme ces animations succinctes qui rappellent les Animated Comics… le tout en 4K sur PlayStation 4 Pro. Certes, Danganronpa V3 : Killing Harmony ne décroche pas la rétine, mais s’aligne avec les prérequis vidéoludiques modernes et c’est déjà pas mal.
Points forts
- Un scénario sanglant et déjanté...
- Un arc narratif et des personnages inédits
- Des procès à l'intensité rarement égalée...
- Des illustrations 2D de haute volée
- La possibilité de mentir durant les plaidoiries
- Un Monokuma (et ses enfants) toujours aussi perfide et dérangé
- Des doublages en anglais/japonais et des sous-sitres en français (VOSTFR)
Points faibles
- ... qui pourrait décontenancer les néophytes
- Un prologue bien trop long (+2 heures)
- ... mais confus et sans fin
- Des environnements 3D pauvres
Danganronpa V3 : Killing Harmony remplit à merveille son office et s’autorise quelques embardées créatives pour enrichir un genre qui peine à se renouveler par définition. Le retour de Monokuma ravira sans nul doute les fans de la franchise tout en accueillant comme il se doit les néophytes de par la présence de 16 personnages et d’un arc narratif inédits. La simple possibilité de pouvoir mentir lors des procès change considérablement la donne et l’approche d’un exercice bâti sur la réflexion et la rapidité. Malheureusement, Spike Chunsoft complexifie bien trop sa recette par moment au point de la rendre indigeste, voire frustrante. Malgré tout, ce nouveau Danganronpa est un voyage haletant dans les méandres d’un esprit pervers et perverti, celui d’un ourson malicieux qui ne laissera personne indifférent.