Dernier né de Dontnod paru le 27 août, Tell Me Why reprend le flambeau de l’expérience narrative à choix multiples dont Life is Strange était l’étendard depuis 2015. Adepte des récits humains avec une touche de fantastique, le studio nous propose cette année de résoudre le mystère du passé de jumeaux au lien magique. L'histoire vaut-elle la peine d'être jouée ?
Retour en Alaska
Le récit de Tell Me Why débute sur les retrouvailles heureuses et maladroites des jumeaux Tyler et Alyson Ronan. Sept ans plus tôt, le premier était arraché de son foyer d’Alaska pour intégrer le centre résidentiel destiné aux adolescents en difficulté de Fireweed. Un départ qui fait suite à la mort de sa mère dont il était tenu responsable, par un acte de légitime défense ; Soudainement animée par une étrange folie, celle-ci s'était mise à le pourchasser, un fusil à la main. Désormais réuni dans la maison familiale, le duo décontenancé par les souvenirs qui habitent les lieux doit alors faire face à des images douloureuses et désordonnées.
Définir le contexte qui entoure le retour de Tyler est crucial puisqu’il repose sur le pilier narratif qui rythmera l’aventure des jumeaux durant 3 épisodes d'environ 3 heures. Depuis longtemps perturbés par la frénésie meurtrière qui a habité leur mère, qu'ils appellent désormais Mary-Ann, ils s’efforceront bientôt à lever le voile sur ses secrets passés. Il reste d’elle le souvenir d’un personnage fantasque et instable, qui a de quoi intriguer. Dès l’introduction, le joueur est confronté à plus de zones d’ombres encore que les deux héros. Une quête énigmatique, mais qui progresse d’un pas souvent trop tranquille.
Le jeu aborde avec clarté et bienveillance le deuil, la confiance ou encore la transidentité de Tyler. Des sujets qui créent des échanges profonds avec les personnages du passé de Mary-Ann, d'anciens amis surtout, seuls témoins probables d'autres vérités. L'écriture profite d'ailleurs de l’appui d’experts de “la culture, de la santé mentale et de la transidentité”. Avec une touche de fantastique et quelques scènes révélatrices, l’histoire interactive se veut d’un réalisme plaisant, mais devant laquelle nous restons souvent passifs.
Magie et mémoire trouble
Le jeu nous laisse équitablement incarner le frère et la sœur au cours de leurs recherches. Ces dernières les mènent parfois à quelques rares casse-têtes et énigmes que l’on accueille volontier, comme ouvrir le cadenas d'une porte en lisant des histoires remplies d'indices, ou rechercher furtivement des dossiers dans une salle d’archives. Chaque épisode en comporte un principal, dont la difficulté n'est toutefois pas flagrante. On apprécie l’utilisation du journal de notre inventaire pour la résolution de certains problèmes ; un recueil de contes de fées écrit par la défunte mère regorgeant de métaphores sur sa propre vie. Mais chaque page n’a pas nécessairement d’usage.
Les deux jeunes protagonistes sont poussés dans leur quête de vérité par des souvenirs d’enfance qui se matérialisent sous leurs yeux ; résultat de l’un des pouvoirs du lien magique qui les unit depuis toujours, baptisé La Voix. Ils sont également capables de communiquer par la pensée. Un atout pour se concerter secrètement lors d’une discussion groupée, qu’on aurait aimé voir exploité à des fins plus utiles.
Pour que leur pouvoir d’animer les souvenirs s’éveille, il suffit que le duo pénètre dans un endroit de son enfance et qu’une touche sur laquelle appuyer s’affiche à l’écran. Rien qui représente un défi particulier ; ce qui rend les visions attrayantes, c’est surtout leur manque de fiabilité. Le frère et la sœur n’ont pas forcément les mêmes souvenirs du passé, ni les mêmes interprétations. Certains se confrontent, et c'est à vous de prendre parti. Le jeu travaille régulièrement sur la confusion, les troubles de la mémoire et la dualité des perceptions, un attrait plutôt plaisant. De la même façon, l’implication d’Alyson est différente de celle de Tyler, d’abord plus hésitante, pour évoluer de différentes manières. En parallèle, elle pardonne bien plus facilement les trahisons passées ; un trait de caractère qui mettra parfois ses liens fraternels à l’épreuve.
Souvent spectateur, peu joueur
Visuellement, Tell Me Why est assez agréable, en dépit d’expressions parfois trop figées ; On regrette tout de même de ne pas pouvoir profiter d'une meilleure vue d'ensemble de l'Alaska. L’ambiance sonore sert les intentions d'un récit souvent imprégné de tension. Et la bande-son, qu’on aurait aimée plus généreuse, ne devrait pas déplaire à ceux qui ont apprécié celle de Life is Strange . Mais l'âme de l'œuvre, Dontnod le dit lui-même, repose surtout sur ses personnages.
Sans trop de fantaisie, ils livrent la plupart du temps des dialogues crédibles et des comportements convaincants ; chacun parvient plus ou moins à se démarquer sans jamais inspirer la moindre caricature. En revanche, si l’écriture ne cherche pas le rire, elle aura également du mal à vous ébranler. Lorsque les échanges s'accumulent trop longuement sans interactions notables, ils deviennent vite doucereux et parfois pénibles. Un aspect qui concerne notamment la première partie de l’acte final.
Finalement, les discussions prennent massivement le dessus sur le reste du jeu. Et votre contribution à celles-ci ne sera pas toujours mémorable ; tout comme votre contribution au destin des personnages, peu flagrante, même une fois le maigre épilogue passé. Tell Me Why se complaît principalement dans son récit. Aussi, les choix que vous endossez concernent surtout le pardon, la confiance ou encore l’engagement. Une portée sentimentale certes adaptée au propos, mais qui aurait méritée d’être accompagnée d’autres possibilités plus engageantes pour le joueur. Sa liberté est davantage entravée par un parcours linéaire qui sait déjà exactement où il veut nous mener.
Points forts
- Des personnages convaincants
- La dualité des souvenirs des héros
- Un univers sonore et des doublages plaisants
- Des thématiques abordées prenantes
Points faibles
- Un parcours linéaire qui manque de liberté
- Des interactions timides et une portée faible sur l'action
- Des dialogues souvent trop imposants
- Des pouvoirs parfois sous-exploités
Dontnod nous annonçait avec Tell me Why une production réaliste et dénuée de stéréotypes minimalistes. Promesse tenue. Pendant presque huit heures, il conte un récit dur, fort de son propos, de ses personnages authentiques, et de ses dialogues réfléchis. Voilà les atouts principaux du jeu. Mais l’implication du joueur n’est que trop peu présente dans ce titre qui esquissait pourtant des possibilités attrayantes, souvent sous-exploitées. Sa participation se limitera essentiellement à des choix d’ordre affectif, donnant souvent l’impression d’être passif face à l’action. On retiendra une histoire bienveillante, dont le rythme et le manque de liberté nous poussent parfois à décrocher.