Ce n’est une surprise pour personne, Stadia a du mal à attirer les foules. Le service de jeux en streaming de Google ne convainc pas, la faute entre autres à l’absence d’un catalogue de jeu fort. Les titres proposés sont soit déjà sortis il y a des mois sur les plateformes habituelles, soit ils correspondent à des exclusivités avec un capital de séduction relativement faible. Il y a quelques jours, Lost Words a fait son apparition en avant-première dans la ludothèque de Stadia. Un journal de bord émouvant, une adresse des mots et une aventure fantastique… Voici un jeu surprenant à bien des égards, mais soyez prévenus, vous risquez de laisser couler quelques larmes.
Deux mondes, une histoire
Barbara est une jeune fille qui pour son anniversaire a reçu un journal. Passionnée d’écriture, elle livre à travers les pages de ce cahier ses inquiétudes personnelles et le début d’une histoire fantastique. Le jeu se découpe de cette manière en deux parties bien distinctes : une première qui se concentre sur l’écriture du journal et les confessions de notre narratrice et une seconde sur l’épopée merveilleuse d’une héroïne prête à tout pour sauver les siens. Les deux univers font bien évidemment écho, à la fois dans leur gameplay puisque nous retrouvons de la plateforme et des puzzle games dans les deux avec toujours cette luciole qui permet de déplacer les mots, mais aussi dans leur histoire.
L’histoire inventée par Barbara n’est autre qu’une traduction poétique et fantaisiste de la réalité. Puisque nous parlons d’inspiration, ajoutons que la direction artistique entre les délicates aquarelles et la silhouette de la protagoniste rappelle un peu Child of Light . Autrement dit, c’est réussi.
Le pouvoir des mots
Pour la partie journal, nous sommes témoins d’un douloureux épisode familial : la grand-mère maternelle de la jeune fille est tombée malade et doit séjourner à l'hôpital. Nous allons donc suivre l’évolution de l’état de santé de cette vieille dame et nous plonger par la même occasion dans les tendres souvenirs qui unissent ces deux générations. Et pour faire avancer ce récit, le jeu vous demande de déplacer l’avatar de Barbara sur les phrases et jouer avec les mots afin de passer à la page suivante. Il suffit parfois d'atterrir sur une partie d’une phrase pour voir la suite se déployer. Certains mots peuvent être déplacés pour faciliter la progression du personnage, d’autres prennent tout leur sens en offrant des actions. Par exemple, le mot « nuit » glissé sur le soleil va faire tomber l’illustration dans l’obscurité.
C’est intuitif et plutôt malin. Le pouvoir des mots s’accentue avec l’imagination de l’écrivaine. Dans le monde magique d’Estoria, l’alter ego de cette dernière reçoit une dernière leçon de la part de celle qui lui a tout appris et devient ainsi la nouvelle gardienne du village. Celui-ci est ravagé une nuit par un immense dragon et pour la survie de son peuple, notre héroïne part en quête des lucioles et rétablir l’équilibre de son monde, le livre des mots sous le bras. Cet accessoire recueille les différents mots décisifs rencontrés au fil de la partie et qui délivrent une action indispensable pour avancer dans chacun des niveaux. Certains sont permanents, d’autres disparaissent une fois leur utilité passée. C’est ainsi que vous allez pouvoir « casser » les différents obstacles qui se dressent sur votre chemin, « réparer » des ruines pour faciliter votre parcours, mais aussi « brûler », « faire silence », « ignorer », etc.
Un conte intéractif bouleversant
Comme évoqué en début d’article, le jeu a été testé sur Stadia. Vous pouvez donc utiliser votre clavier/souris ou une manette analogique : diriger votre luciole avec le stick est moins aisé qu’avec la souris, mais à titre personnel, je prends bien moins de plaisir avec un clavier quand il y a ne serait-ce qu’un peu, de plateforme en jeu. Très facile à prendre en main, mais pas toujours simple d’exécution. À cela s’ajoute quelques petits bugs où l’aventurière se met à flotter et parfois, refuse de courir. C’est assez rare pour ne pas gâcher l’expérience, sachez simplement qu’ils existent. Pas de difficulté non plus dans les passages qui impliquent de la réflexion. Car l’environnement avec lequel il faut interagir s’accompagne d’une légère surbrillance. Il n’y a pas de situations complexes qui nécessitent de se creuser les méninges progresser : tout apparaît clairement.
Résultat, Lost Words peut se terminer d’une traite, en seulement quatre heures. L’absence totale de challenge pourrait en rebuter certains et je dois avouer que ma première impression n’avait rien de formidable : « oh, un jeu ludo-éducatif pour apprendre à lire. » Quelle erreur. Après l’introduction, quand l’histoire se délie, difficile de s’arrêter. L’épreuve que cette jeune fille doit endurer profite d’une mise en scène intelligente. La fiction devient un refuge et adoucit à sa manière la dure réalité. Vécu comme un conte interactif, le titre réussit tout de même à nous impliquer émotionnellement. À de minces occasions, le jeu vous donne la possibilité de faire des choix de dialogues, ou de choisir un nom, une couleur. Ça n’a pas véritablement d’impact dans le jeu, mais c’est une douce façon de nous laisser écrire une partie de l’histoire, nous aussi.
Profitons-en pour rappeler que l’écriture a été confiée à Rhianna Pratchett, la scénariste de Bioshock Infinite et Mirror's Edge . Un gage de qualité qui se vérifie assez rapidement dans Lost Words. Nous pouvons dire qu’elle a en effet trouvé les mots justes pour nous parler avec beauté et bienveillance d’un thème douloureux, tout en réussissant à jongler entre l’intime et le fantastique.
Lost Words évoque le deuil et s’articule autour des sept étapes qui le constituent. Ainsi, en plus de suivre le journal intime d’une jeune fille perdant sa grand-mère, les différents niveaux de l’aventure dans le monde Estoria évoquent les différents stades d’émotions du deuil comme le déni, la colère, le désespoir ou encore la culpabilité. Beaucoup de symboles nous permettent de raccrocher les deux parties du jeu, la plus évidente étant la figure de la grand-mère et son pouvoir de filiation.
Points forts
- Une direction artistique enchanteresse
- L'écriture à la hauteur du sujet traité
- Un thème intime et universel
- Un concept original
Points faibles
- Des petits bugs
- Un gameplay qui devient répétitif
- Nous aurions apprécié un tout petit peu plus de challenge
Pour apprécier Lost Words : Beyond The Page, il convient d’accepter de se plonger dans une expérience avant tout narrative. Jouer avec les mots s’avère agréable, mais il faut reconnaître que la répétitivité et le manque de défi risque provoquer l’indifférence d’une partie du public. Son exclusivité temporaire sur Stadia risque juste de le faire tomber dans un coma jusqu’à 2021. Car ce n’est certainement pas ce jeu, aussi bon soit-il, qui va permettre à Stadia de convertir les joueurs à son service payant. Ne vous fiez pas aux premières minutes de jeu qui lui donnent un air très naïf, car vous risquerez de passer à côté d'une belle et touchante histoire.