Les cosy games : un lifestyle à part entière

Bureau blanc immaculé, claviers customisé de keycaps pastels reliés à un équipement souvent haut de gamme, matcha latte positionné sur le côté de manière parfaitement symétrique par rapport aux autres éléments du bureau : la disposition minutieuse et chirurgicale des éléments de décors d’une vidéo TikTok sur les jeux cosy est pensée à l’élément mignon près, comme le ferait un véritable scénographe. On devine dans le phénomène un mode de vie émergeant des codes de l’ASMR, des musiques LoFi et de la slow life : la “scène cosy games” des réseaux sociaux s’est construite durablement depuis le phénomène Animal Crossing du confinement, en 2020. Des millions de vues au compteur sur quelques centaines de vidéos dessinent une tendance qui n’a pas l’air prête à quitter les plateformes. On y devine aussi une forte présence féminine, mêlée à tout un tas d’autres concepts anglophones courants sur TikTok : celui de la “clean girl”, de “l'aesthetic mignon” et du contenu satisfaisant.

Maisy Leigh possède l'une des chaînes YouTube et TikTok les plus populaires sur le cosy game.

Sur Reddit comme sur TikTok, on s’échange les meilleures recommandations : “Quels cosy games essayer quand on est stressés ou anxieux ?”, “à quels jeux cosy jouer quand on vient de vivre une rupture ?”, sont les dernières questions posées en topic sur le thème à l’heure où nous écrivons ces lignes. Si les termes nous étaient totalement inconnus, on pourrait facilement croire à des requêtes de remèdes pour résoudre des problèmes d'ordre psychique. Le cosy game est un exutoire, une thérapie personnelle, un moment de détente privilégié à l’instar d’une partie de Doom Eternal que l'on lancerait pour calmer ses nerfs après un entretien tendu. Dans la communauté, on parcourt Breath of the Wild pour ses longues étendues d'herbe et on s'adonne à une flopée de productions indépendantes, axées sur la rénovation, la ferme, l'exploration de la nature ou encore la gestion d'animaux : Gunhouse, House Flipper, Palia, Shin chan: Me and the Professor on Summer Vacation The Endless Seven-Day Journey et Hometopia sont autant de jeux cités à la volée dans les dernières vidéos publiées.

Shin chan: Me and the Professor on Summer Vacation The Endless Seven-Day Journey

Mais c'est quoi, un jeu cosy ?

On pourrait sommairement qualifier de jeu “cosy” (“douillet” en français) toute expérience vidéoludique capable de procurer un sentiment de confort ou d'apaisement. Kevin Squire, professeur spécialisé à l’université de Californie, observe même que le sous-genre contribue à créer “des vagues de calme dans le corps ainsi que dans le cerveau”. Pour aller plus loin encore, un groupe de game designers a lancé en 2017 le Project Horseshoe, communauté d'étude dédiée à l'analyse du design des titres cosy sous le prisme d'Animal Crossing et Stardew Valley, deux jeux orientés vers des principes de croissance, d'autoréflexion et de créativité :

« De nombreuses choses que l'on peut considérer comme douillettes (telles que la gentillesse, la romance, la richesse, l'esthétique douillette) sont des signaux sensoriels audio/visuels souvent familiers au joueur qui évoquent des images ou des souvenirs de sécurité, de douceur et de satisfaction. »

Des productions réconfortantes donc, que l’on s’imagine idéalement consommer un jour de pluie, blotti sous un plaid, mais qui ne négligent pas pour autant des thématiques dures : Spiritfarer par exemple, raconte le voyage entre la vie et la mort par des représentations édulcorées et d’adorables animaux anthropomorphes. Stella, une passeuse d’âmes, accueille ses visiteurs sur une arche flottante où elle y bâtit des chambres et d’autres infrastructures vouées à leur confort.

Spiritfarer

Un autre point commun des titres dits cosy est bien sûr l'esthétique : des visuels très colorées, des traits arrondis, et un art plutôt candide, très représentatifs du tunnel de soft promus chaque année par le Wholesome Direct, étendard annuel des cosy games diffusé en marge de l’E3. La dernière édition a encore mis en lumière une flopée de projets prometteurs à l’instar d’Hotel Galactic, un jeu de management à la croisée des mondes entre Animal Crossing et les productions Ghibli ou encore Monterona, un titre de construction de villes paisible composées de rues “tirées des histoires de votre grand-mère italienne”. Un sous-genre bac à sable en vogue actuellement, dont on retrouve les codes dans le très populaire Tiny Glade, pour lequel la thématique est aux châteaux. “Pas de gestion, pas de combat, pas de mauvaises approches : détendez-vous en transformant des prairies en jolis dioramas”, peut-on lire sur le descriptif officiel. Dans les cosy games, les développeurs décochent généralement les quatre besoins élémentaires que sont l'abri, la soif, la faim et la sécurité. Ce qu'il reste à accomplir, c'est la connexion, l'autoréflexion et la maîtrise de soi. Dangers, menaces et responsabilités sont également des notions écartées de l’expérience à quelques exceptions près : les mines regorgent de monstres dans Stardew Valley, mais le jeu reste considéré comme un havre de paix pour ses millions d'adeptes.

Tiny Glade et Monterona

Pourquoi parle-t-on autant des cosy games aujourd'hui ?

Mais pourquoi parle-t-on autant des cosy games maintenant ? Car en réalité, le sous-genre existe depuis quelques décennies maintenant. Nintendogs, sorti en 2005 ? complètement un cosy game. Les Sims, Harvest Moon? également des cosy games. Et Myst, sorti en 1993 ? tout autant un cosy game. Beaucoup diront que le premier d’entre eux est Little Computer People, publié en 1985 ; le principe y est très simple : un homme s’installe sur l’écran d’ordinateur du joueur avec son chien, avant d’effectuer inlassablement des tâches du quotidien. Mais c’est bien aujourd'hui que le sous-genre connaît son âge d’or. Comment ? Certains observent que beaucoup de cosy games sont accessibles sur des plateformes très grand public : les smartphones et la Nintendo Switch, qui a témoigné d'une belle effervescence durant la période de pandémie. Et nombreux de ces jeux sont indépendants ; hors, il n’aurait jamais été aussi facile pour un développeur indé de vendre son jeu s'il l'estampille “cosy”, terme qui est devenu aussi identifiable que marketable.

« Les gens ont besoin d'une étiquette pour comprendre que le jeu est différent. Il est non violent. Mais ce label pourrait disparaître dans quelques années, car il deviendra normal pour tout le monde de jouer à ce type de jeux. » - Luka Lescuyer, cofondateur de la société montréalaise Alblune, pour gamesindustry.

Ces dernières années, la conception des jeux a changé pour être en phase avec l’évolution d’une société dans laquelle les gens cherchent de plus en plus à se libérer de la pression du travail. « Pour moi, c'est surtout parce que je suis tout le temps épuisée. Lorsque je rentre à la maison après une journée de travail stressante, que je prépare le dîner, que je mets les enfants au lit, la dernière chose dont j'ai envie, c'est de faire quelque chose qui fasse monter mon adrénaline. Je veux quelque chose de relaxant avant de me coucher », suggère à ce propos Ekyou, sur un topic Reddit. Les cosy games s’adonnent pleinement à l'amélioration du bien-être spirituel du joueur, tout en accordant davantage d’attention aux questions sociales et à la nature que les autres types de jeux. Daniel Cook, membre du projet Horseshoe, suggère que les joueurs sont motivés par la possibilité de pratiquer des compétences et des objectifs émotionnels souvent négligés, appuyant régulièrement sur une notion primaire, l'humanité : « Dans la mesure où la convivialité crée des espaces d'abondance, elle fournit une concentration parmi le chaos et nous permet d'embrasser nos poursuites les plus élevées et les plus humaines. »