Quand on est l’auteur d’un jeu tellement génial qu’il a donné son nom à un syndrome qualifiant l’addiction, on peut se sentir pousser des ailes. Peu de temps après avoir sorti l’irrésistible Tetris, Alexey Pajitnov retrousse les manches de sa blouse blanche et s’attaque à un autre jeu vidéo de réflexion/puzzle au concept novateur. Malheureusement, il ne connaîtra pas le même succès que son illustre prédécesseur.
Tetris Effect
Quand il publie la première version de son programme à base de briques à empiler, Alexey Pajitnov est à des années-lumière de s’imaginer l’impact que va avoir son software sur la planète jeu vidéo. Le nom de sa création ? Tetris. Le principe du jeu ? Placer convenablement des pièces de différentes formes qui tombent du haut de l’écran afin de combler les trous et d’effectuer des lignes complètes, ce qui détruit ces dernières. Ce n’est évidemment pas en lisant ce paragraphe que vous comprendrez la puissance de Tetris. Il faut y jouer. Attention cependant, gare aux effets qu’il pourrait avoir sur votre cerveau si vous succombez aux charmes de ses briques ! Absolument addictif, le titre du jeu sera repris pour qualifier un syndrome – le Tetris Effect – désignant la focalisation des pensées sur une activité particulière, allant jusqu’à altérer la perception du monde et à s’initier dans les rêves !
Les premières victimes de Tetris sont les collègues de Pajitnov qui, en 1984, ne font que jouer au prototype du soft circulant sur les ordinateurs Elektronika 60 des laboratoires de l’Académie des sciences de l’URSS. À un tel point que la direction décide d’interdire le programme afin de rétablir un brun de productivité. Tetris a surtout fait parler de lui lors de son arrivée sur NES puis sur Game Boy à la fin des années 1980. Le phénomène s’étend au monde entier alors que les cartouches se vendent comme des petits pains. 40 millions de jeux sont distribués sur les deux machines de Nintendo. Sur Game Boy, il devance les jeux Mario et termine en tête des ventes, tandis que sur NES, il se positionne dans le top 5. Le succès est tonitruant, ce qui propulse son créateur sous le feu des projecteurs, quand bien même ce serait l’histoire des soucis liés aux droits d’exploitation qui intéresserait les journalistes.
En 1989 et en 1990, Alexey Pajitnov sort des “suites” à son titre phare disposant d’un concept relativement similaire avec Welltris ou encore Faces…tris 3. Il faut attendre le mois de juin 1990 pour voir le game designer – bien qu’on ne le désignait pas ainsi à l’époque – mettre de côté ses tetriminos au profit du cavalier des jeux d'échecs avec Knight Move !
En mode sans échec ?
Restant dans le puzzle-game arcade où les réflexes sont importants, Knight Move saupoudre ses mécaniques de quelques grains de casse-tête. Sur un plateau composé de 8 cases horizontales et de 4 cases verticales, le joueur dirige le cavalier des échecs. Ses déplacements sont limités à ceux du célèbre jeu, et son objectif est de ramasser un cœur rouge placé sur une des dalles. Chaque déplacement réussi rapporte des points, mais gare à la chute : au bout de trois passages sur une même case, cette dernière explose, laissant un trou à la place. Si le cavalier saute dedans, c’est le game over assuré. Le seul moyen de reboucher ces fausses peu communes est de ramasser le fameux cœur posé dans l’aire de jeu.
Le concept de Knight Move est malin. S’appuyant sur une règle de déplacements connue de tous (venant des échecs), le titre apporte une bonne dose d’originalité à même de surprendre n’importe quel joueur. Il requiert des réflexes, le cavalier sautant tout le temps sans s’arrêter, ainsi que de l’attention pour récupérer les cœurs. Il introduit également une mécanique risques/bénéfices intelligente. En effet, à chaque fois que le pion saute sur une case, cette dernière se fonce et donne des points. Quand un trou est créé sur le plateau, cela fait gagner plus de points. Vous l’aurez donc compris : mieux vaut se balader de case en case avant de ramasser un cœur si l’on souhaite scorer efficacement. Le soft accueille également une variante qui contraint à un certain nombre de sauts autorisés avant de devoir ramasser le précieux item rouge. Quant aux trous, ils ne se rebouchent qu’après un certain nombre de cœurs ramassés. Diabolique !
L’autre très bon point de Knight Move, c’est qu’il accueille un mode deux joueurs particulièrement fun. Ici, les deux cavaliers s’affrontent toujours dans une arène découpée en cases destructibles, mais l’unique objectif est de ramasser les cœurs avant son concurrent. Dans ce mode, les trous ne se réparent pas, et la victoire intervient après 4 manches gagnantes.
De la Famicom à la Xbox 360
Trouverez-vous le point commun entre l’auteur-compositeur Patrick Hernandez, le duo de réalisateurs Daniel Myrick/Eduardo Sánchez, la romancière Mary Shelley et l’informaticien devenu créateur de jeux vidéo Alexey Pajitnov ? Tous ces artistes ont accouché d’une œuvre qui a connu un succès tellement retentissant qu’ils ont éclipsé toutes leurs autres créations. Un “one-hit wonder” comme l’écrit Florent Gorges dans ses Oubliés de la Playhistoire. Car oui, malgré son concept singulier amusant imaginé par le cerveau derrière l’incroyable succès qu’est Tetris, Knight Move reste confidentiel. La raison principale vient du fait que le soft n'est sorti qu’au Japon sur le Disk System de la Famicom, un drôle d’accessoire vendu à moins de 5 millions d’exemplaires. Après un lancement sans strass ni paillettes, le titre reviendra dans une édition revue et corrigée sur PC en 1995 sous le nom de Knight Moves (avec un “s” en plus, comme Twisters). Malgré la tête de Pajitnov imprimée sur la boîte, le titre ne se fera pas plus remarquer.
À vrai dire, aucun des autres softs confectionnés par Alexey Pajitnov ne connaîtra le destin de Tetris. Hatris, Wordtris, El-Fish, Ice & Fire… tous débarqueront dans l’indifférence générale. Après avoir aidé au design des puzzles de Yoshi's Cookie pour le compte de Nintendo, le créateur russe rejoindra Microsoft en 1996, ce que la firme de Redmond ne manquera pas de souligner à grands coups de communiqués. De ce partenariat, nous retiendrons surtout Hexic, un puzzle-game efficace sorti en 2003 sur les services MSN Games, puis Hexic HD en 2005, préinstallé sur tous les disques durs des Xbox 360 Premium. Quant à Tetris, il est l’un des jeux vidéo les plus joués au monde grâce à ses versions sorties sur périphériques mobiles.