Il y a 30 ans jour pour jour apparaissait dans les rayons des magasins de jeux vidéo une boîte cartonnée dorée du plus bel effet, et d'une incroyable sobriété. Pouvions-nous imaginer à l'époque qu'elle contenait alors un titre tutoyant la perfection, futur classique intemporel allant marquer des générations entières de joueurs ? Alors qu'un certain Tears of the Kingdom commence à pointer le bout de son nez, revenons sur un chef-d'œuvre d'un autre temps : A Link to the Past.
J'ai longtemps considéré que The Legend of Zelda : A Link to the Past était objectivement le plus grand jeu vidéo auquel j'avais eu la chance de jouer, alors qu'il n'avait pourtant jamais été mon préféré. A minima, il s'agissait au moins du meilleur jeu de tous les temps au moment de sa sortie, et il fallait attendre l'arrivée de monstres sacrés dans son domaine comme Final Fantasy VII ou The Legend of Zelda : Ocarina of Time pour lui reprendre ce statut. Non pas parce qu'ils étaient meilleurs, mais plutôt car ils excellaient tout autant en leur temps, tout en établissant de nouveaux standards en terme de réalisation, nouvelle génération de consoles oblige. Cependant, ils avaient quand même leurs défauts, là où je n'en ai pour ainsi dire jamais trouvé à celui que l'on appelle depuis 30 ans "Zelda III", un jeu qui a tout simplement changé ma vie, ainsi que celle de probablement la majorité de celles et ceux qui y ont joué…
Cet article est un billet d’opinion, il est par nature subjectif. L'avis de l'auteur est personnel et n'est pas représentatif de celui du reste de la rédaction de JV. Nous pouvons toutefois vous rediriger vers le test rétro de The Legend of Zelda proposé il y a quelques années sur JV… afin de compléter l'argumentaire de l'auteur de cet article, à n'en point douter.
Sommaire
- Une boîte mystérieuse et élégante comme un coffre aux trésors…
- … et une publicité marquante et surtout honnête
- Le "game changer" du début des années 1990
- Un classique intemporel dont on ne se lasse jamais
- L'appel ultime à l'aventure, en 2D vue du dessus
- Tezuka, Tanabe et Kondō, la triforce de Nintendo
Une boîte mystérieuse et élégante comme un coffre aux trésors…
Au début des années 1990, les titres estampillés The Legend of Zelda faisaient un peu office d'OVNI au milieu des boîtes de jeux vidéo, dans l'ensemble très colorées et cherchant à mettre leur(s) protagoniste(s) en avant. À l'opposé des versions japonaises, très focalisées sur le personnage de Link, la jeune saga se distinguait alors en Occident par des boîtes à la teinte dorée, frappées uniquement d'un logo sous forme de nom principal du héros et d'épées et boucliers renseignant uniquement sur le contexte d'apparence médiéval de l'œuvre qu'elles renfermaient. Il faudra attendre plus de 15 ans, et un certain The Wind Waker, pour que le héros jouable de la franchise ne fasse enfin son apparition sur la boîte d'un de ses jeux principaux, et ce de manière assez discrète, toujours derrière un voile doré dominant la jaquette. Le 24 septembre 1992 en Europe, The Legend of Zelda : A Link to the Past ne faisait pas exception à la règle et posait les bases d'une identité graphique dont on n'imaginait évidemment pas qu'elle allait devenir une marque de fabrique. Le nom de la princesse, également cœur de celui de la licence, s'affiche en majuscules avec une police de caractères qui perdure encore aujourd'hui, dont l'iconique initiale "Z" est traversée de haut en bas par une épée et associé à un sous-titre discret. Mais surtout, celui qu'on appelle plus communément "Zelda 3" allait poser pratiquement toutes les bases d'une des plus célèbres licences, et constituer un "game changer" de son époque en tutoyant la perfection comme rarement.
Retour en l'an de grâce 1993. Je venais de souffler mes sept bougies et, alors que je rêvassais encore devant le "cheval vert" de l'écran titre de Super Mario World découvert sur la TV d'une galerie commerçante (oui Yoshi, c'est de toi qu'on parle), mes parents avaient eu l'excellente idée de m'abonner à mon premier magazine de jeux vidéo, le quelque peu orienté Nintendo Player, sorte d'ancêtre en version papier des "amiibros". Cette division du regretté Player One, spécialisée dans les jeux de celui qu'on n'appelait pas encore "Big N", couvrait donc l'actualité des jeux des consoles de la firme déjà disponibles à l'époque, à savoir la NES (ma toute première console), la Game Boy, et évidemment la Super Nintendo une fois la dernière-née du constructeur arrivée dans nos contrées. De quoi bien baver sur tout un tas de nouveautés à venir, mais aussi sur des productions dont je survolais les plans avec envie. D'ailleurs, gamin, je raffolais déjà des soluces de jeux vidéo, sans savoir qu'elles allaient constituer une bonne partie de mon métier 30 ans plus tard. Et lorsque j'avais la chance d'acquérir un nouveau jeu, je dévorais sa notice à l'heure du goûter et idéalisais l'univers qu'elle décrivait à travers de jolis artworks, habitude prise dès le premier The Legend of Zelda (carrément vendu avec une carte à compléter en bonus), à qui un certain Tunic a par ailleurs rendu récemment un fort brillant hommage. A Link to the Past allait suivre cette lignée, commettant peut-être son unique impair en révélant la carte entière d'Hyrule et de ses donjons sur un magnifique dépliant. Du moins, croyait-on…
… et une publicité marquante et surtout honnête
En 1993, pas d'Internet, et donc pas de YouTube ou Twitch où visionner des trailers ou des let's play : les guides de jeux, imprimés avec des centaines de photos d'écran mises bout à bout, constituaient le meilleur moyen de se donner une idée de ce que valait un jeu vidéo, et quelle diversité pouvait bien offrir son aventure. Combien de niveaux contenait un jeu, et quels types de boss allait-on affronter ? Devait-on se préparer à des cavernes de glace, des zones inondées ou des forêts mystérieuses ? C'est un peu en partant de là, et sans doute en me spoilant pas mal au passage quand même, que j'ai découvert les deux premiers Zelda sur NES, et développé un intérêt certain pour leur suite, que la rédaction des "modèles" de mon enfance aimait à appeler "Zelda III", tout comme une certaine publicité ayant marqué les esprits et qui demeure toujours aussi légendaire aux yeux des joueurs ayant eu la chance de vivre cette glorieuse époque. Intégrée au milieu du magazine sous forme de poster détachable, cette dernière suscitait encore un peu plus de convoitise…
Crédits : Abandonware-Magazines
Il fallait bien ce visuel choc d'un gamer réduit à l'état de squelette, bien que toujours chaussé de ses baskets et coiffé d'une casquette à l'envers (parce qu'on est au début des années 90) pour nous faire comprendre que ce nouveau Zelda allait nous occuper longtemps, très longtemps – et de fait, nous donner envie de l'acheter. « Vous n'avez rien de prévu pour le prochain millénaire ? Parfait. Appuyez sur le bouton "start" », tels sont les termes introduisant une réclame ô combien élogieuse, donnant l'impression qu'on n'avait encore jamais rien vécu de tel manette en mains. Si le descriptif, s'étendant sur une quinzaine de lignes, est dithyrambique, il n'en est pas moins honnête. Certes, le ton est délibérément excessif, mais à aucun moment la publicité française de "Zelda III" n'est mensongère, surtout aux yeux d'un enfant qui n'a pas de meilleure référence à cette époque. A Link to the Past, il fallait honnêtement le voir pour le croire ; et même si j'ai dû pas mal patienter avant d'enfin posséder la cartouche tant convoitée dans son superbe écrin brillant tout en carton, l'attente en valait le détour. Tout simplement parce qu'en septembre 1992, à sa sortie en France, The Legend of Zelda : A Link to the Past était le meilleur jeu vidéo du monde, et sans doute le plus proche d'une perfection supposée ne pas exister.
Le "game changer" du début des années 1990
Mais qu'est-ce que ce troisième épisode de la jeune série Zelda avait de plus que les autres ? Tout d'abord, et c'était une évidence en 1992, la Super Nintendo faisait passer la licence à la vitesse supérieure. The Legend of Zelda et, dans une moindre mesure, Zelda II : The Adventure of Link avaient reçu un accueil suffisamment positif pour que la jeune franchise franchisse le pas de ce que personne n'appelait encore "next-gen". De la même manière que sur NES en son temps, et comme pour instaurer une tradition qui perdurera sur Nintendo 64 et Game Cube (avant d'inverser les rôles), Zelda prend son temps pour débarquer sur une nouvelle génération de machines et laisse à Mario l'honneur de l'inaugurer, ici avec le légendaire Super Mario World. Cela laisse légèrement le temps à Nintendo de maîtriser un peu mieux sa machine et de l'exploiter déjà dans ses moindres recoins pour livrer une aventure aux prétentions techniques d'un certain ordre. Il en résulte une production spectaculaire visuellement, et une sorte de nouveau maître étalon graphique que seuls des Final Fantasy VI ou Chrono Trigger viendront contester plusieurs années après, vers la fin de vie de la console. Non seulement la réalisation est de toute beauté, mais la sacro-sainte fluidité qui n'obsédait pourtant personne en 1992 est plus qu'au rendez-vous. Tant pis si nous autres Européens devions nous contenter d'une version un peu au rabais, à l'image "écrasée" avec de vilaines bandes noires disgrâcieuses, et une fréquence d'images "réduite" à 50 par secondes au lieu des 60 dont bénéficiaient ces privilégiés de Japonais et d'Américains (un problème résolu depuis grâce à des bricoleurs de génie comme un certain FFVIMan).
Cependant, et même en ces temps déjà si lointains, la beauté ne faisait pas tout. Bien que moins exigeants et dotés d'un esprit critique sans doute moins poussé (et encore moins encouragé par de quelconques créateurs de contenu que nous ne rêvions alors pas de devenir), nous étions déjà en mesure de faire la différence entre un jeu pas forcément sublime mais passionnant… et de véritables prouesses graphiques d'un ennui mortel. Eh oui, même les consoles 16-bit ont eu leurs Ryse : Son of Rome et autres The Order : 1886. Aussi, A Link to the Past se distinguait de la masse sur absolument tous les plans, et atteignait voire dépassait l'excellence sur le moindre critère d'évaluation, que ce dernier soit professionnel (dans un encart de fin de test avec points positifs et négatifs) que personnel. Les graphismes ? Au sommet de ce que la technologie de l'époque permettait. La bande son ? Envoûtante, variée, inspirée, et ancrée dans nos mémoires dès la première partie. Le scénario ? Incroyable, ce jeu raconte une histoire avec des centaines de boîtes de dialogue, des personnages inter-connectés charismatiques, et nous tient en haleine avec des rebondissements inattendus ! La jouabilité (on ne parle pas encore trop de "gameplay" en 1992) ? On passe à trois fois plus de boutons d'action et d'objets à utiliser, en comparaison avec les opus NES. La durée de vie ? Titanesque. En tout cas pour l'époque. Aujourd'hui, il me faut quand même encore 5 à 6 heures pour terminer le jeu à 100%, avec encore quelques petits tâtonnements, malgré une connaissance d'Hyrule suffisante pour envisager de m'essayer à l'art obscur du "randomizer", alors je vous laisse imaginer les dizaines d'heures que cela pouvait prendre à un gamin disposant d'un temps de jeu limité, sans internet pour l'aider…
Un classique intemporel dont on ne se lasse jamais
Désireux de ne pas m'arrêter à un jugement de jeunesse, et surtout parce que j'y prends un plaisir parfaitement assumé, "Zelda 3" est un de ces rares jeux vidéo auxquels je rejoue au moins une fois par an. Peu importe si je le connais par cœur ou presque : le fait est que la magie permanente qui s'en dégage opère toujours avec autant de maestria. Si JV avait existé en 1992 et que j'étais né bien plus tôt, suffisamment en tout cas pour m'en faire confier un article d'une telle importance, j'en aurais écrit un test aussi élogieux que Romendil l'avait fait pour The Wind Waker en 2003, ou plus récemment, que Anagund l'avait "osé" (sic) avec Breath of the Wild. Oui, The Legend of Zelda : A Link to the Past aurait reçu un 20/20 d'une rare évidence, tant son appartenance au panthéon des jeux vidéo, encore très jeune certes, ne souffrait d'aucune contestation.
Six ans plus tard, le même constat aurait bien sûr été fait avec Ocarina of Time, puisque ce dernier reprenait après tout la majorité des fondamentaux de son illustre ancêtre, mais en révolutionnant le jeu vidéo d'action-aventure en 3D et lui offrant d'innombrables bases de gameplay faisant encore école un quart de siècle plus tard. Cependant, si Ocarina of Time existe et qu'il est considéré comme un des jeux vidéo les plus influents et essentiels de l'histoire, c'est en grande partie parce qu'il s'agit en quelque sorte d'un "A Link to the Past en 3D", avec tout le respect que je dois à ce chef-d'œuvre lui aussi intemporel. Et au cas où vous penseriez que j'exagère l'influence d'anciens Zelda sur l'industrie du jeu vidéo, je m'autoriserai la citation d'une célèbre formule exprimée en 2012 par l'une des deux têtes pensantes historiques de Rockstar Games (rien que ça) :
Quiconque développe des jeux vidéo en 3D et ose affirmer qu'il n'a rien emprunté à Mario ou Zelda est un menteur.
– Dan Houser (producteur et scénariste de Grand Theft Auto, Red Dead Redemption)
Mais alors, comment une telle prouesse hors du temps a-t-elle pu voir le jour ? C'est simple, elle est l'œuvre d'une équipe incroyablement talentueuse, capable de faire cohabiter en parfaite harmonie le fond et la forme pour offrir au joueur un plaisir total manette en main pour d'innombrables heures d'évasion, de réflexion et de défis. Dès le lancement de la cartouche, les trois triangles de la Triforce, animés dans un effet de 3D sommaire mais impressionnant pour l'époque, sont là pour nous faire comprendre qu'une mise en scène particulièrement soignée nous attend, ce que la longue introduction scénarisée ne fera que confirmer. Peu importe son âge et son expérience, le joueur se sent immédiatement investi d'une mission en débutant A Link to the Past, à plus forte raison s'il est jeune et a soif d'aventure.
Mieux encore : l'interdiction de sortir de la maison en pleine tempête ne donne qu'une envie, celle d'être bravée effrontément, et ce même sans aucun équipement. S'aventurer sous le déluge pour la première fois est une expérience grisante, sublimée par l'excellence du mythique SPC700, ce processeur audio central lui aussi en avance sur son temps et conçu par Ken Kutaragi (eh oui, l'homme à l'origine de la PlayStation est celui grâce à qui le son de la Super Nintendo était si avant-gardiste). Les mélodies de Kōji Kondō, compositeur mythique des licences Mario et Zelda, alternent alors entre l'angoissant et le dramatique, nous accompagnent alors dans un prologue épique laissant supposer que le scénario sera non seulement très différent de ce que l'on a connu jusqu'ici, mais surtout bien plus développé, à l'image d'un véritable RPG / jeu d'aventure. Elles continueront ensuite de se marier à la perfection avec tous les environnements et les atmosphères que l'équipe dirigée par Takashi Tezuka tentera de dépeindre avec un talent exceptionnel.
L'appel ultime à l'aventure, en 2D vue du dessus
L'histoire fascinante dans laquelle nous plonge "Zelda 3" est l'œuvre d'un seul homme ou presque, le jeune et déjà terriblement talentueux Kensuke Tanabe. Le benjamin d'un trio fantastique ayant œuvré dans une osmose absolue, de l'écran titre à la dernière ligne du générique de fin, livrait là son tout premier script, après avoir travaillé uniquement sur la conception des niveaux des 2ème et 3ème Super Mario Bros. A Link to the Past aura clairement lancé son immense carrière, même si bien sûr, il n'était pas seul à la barre, tout comme Takashi Tezuka (éternel "bras droit" de la légende Shigeru Miyamoto) n'a pas réalisé ce titre sans une petite armée de programmeurs et de designers : selon les crédits de fin, on dénombre une trentaine de personnes ayant travaillé sur ce titre. Reste que pour un coup d'essai en tant que scénariste, Tanabe-san réussit un véritable coup de maître. L'épopée fascinante que nous conte A Link to the Past nous tient en haleine de bout en bout, offrant des instants de grâce devenus légendaires dans l'histoire du jeu vidéo.
Je confesse qu'un frisson immense m'a parcouru tout le corps en pensant aux mots qui vont suivre : existe-t-il, en 1992, un sentiment plus épique que le rassemblement des trois Pendentifs de Vertu autour de la stèle dans laquelle est plantée l'épée de légende, suivi du thème désormais iconique de ladite "Master Sword" ? Cette séquence, souvent reproduite dans la saga, a quelque chose du morceau de bravoure absolu, marque de fabrique d'une série dont on attend un tel moment d'héroïsme à chaque épisode. À noter que dans sa localisation française, Véronique Chantel (paix à son âme) s'était autorisée une de ses facéties typiques en faisant de Link une sorte d'Alexandre Astier de la Super NES, en renommant cette épée… Excalibur. Un artefact aussi formidable méritait après tout d'être ainsi repabtisé. Reste qu'on ne remerciera jamais assez M. Tanabe d'avoir donné ses lettres de noblesse à The Legend of Zelda en lui conférant un souffle aussi épique, dont les deux épisodes manquaient quand même un chouia. Les premiers volets faisaient beaucoup appel à notre imaginaire, là où "Zelda 3" nous plonge dans une immersion désarmante de crédibilité.
Si l'écriture d'A Link to the Past est brillante, et que ce dernier se montre loquace sans sombrer dans le trop-plein de dialogues interminables, c'est aussi parce qu'elle se met au service d'un game design prodigieux et pour le coup parfaitement infaillible (à l'exception, bien sûr, des bizarreries trouvées par des speedrunners capables de trouver comment le "casser" pour le finir en deux minutes). En terme de structure générale, "Zelda 3" est un modèle du genre, et récite une partition d'anthologie de bout en bout. Construit sur la base d'univers parallèles et diamétralement opposés (le monde de lumière et celui des ténèbres), il lie comme deux jeux en un avec une maîtrise irréprochable du moindre élément de level design. L'énorme surprise qu'il propose après avoir enfin rencontré le premier antagoniste réellement charismatique de la série (les boîtes de dialogue, ça aide à créer une personnalité !) lui offre une sorte de double aventure qui fera école, et qu'encore une fois, Ocarina of Time reprendra à sa façon avec le talent et la réussite que l'on sait. Doté d'un nombre record de donjons pour l'époque, un total de 11 qu'aucun autre Zelda n'égalera par la suite (!), il introduit une quantité astronomique d'éléments qui ne quitteront quasi jamais les épisodes qui suivront. L'épée de légende bien sûr, mais aussi les flacons servant à transporter les fées, le filet à papillons, les bottes de Pégase, les quarts de cœur, l'attaque tournoyante, le bouclier miroir, l'amélioration du stock de flèches du carquois… ou encore le si précieux grappin. Et ce n'est qu'une liste non exhaustive !
En outre, la réalisation des donjons est un modèle du genre. Ici, il n'y a pas de "lead designer" dédié à leur construction à proprement parler, contrairement au rôle qu'occupera avec brio Eiji Aonuma six ans plus tard dans Ocarina of Time. Toutefois, le niveau de détail dont ils jouissent ainsi que la prouesse architecturale qu'ils représentent ne laisse aucun doute quant au soin immense apporté à leur conception par une équipe intrinsèquement plus douée que la moyenne. A Link to the Past cherche à la fois à nous perdre dans de passionnants labyrinthes mais aussi à nous guider un peu plus que dans ses prédécesseurs, ayant appris de la nécessité d'être un peu moins cryptique pour offrir une expérience plus équilibrée, et en mesure de satisfaire le plus grand panel de joueurs possible. En fin de compte, si l'on devait faire le résumé de tout ce que cet incroyable jeu vidéo a réussi en son temps, il suffirait finalement de lister tous les éléments du cahier des charges idéal, puis expliquer qu'il en coche toutes les cases sans faute. Mais surtout, "Zelda 3 pense à s'attarder sur ce supplément d'âme si rare qui va bien au-delà de simples exigences de production, laissant les artistes exprimer leur génie créatif pour distinguer encore un peu plus leur œuvre du reste d'un marché encore en pleine expansion et qui se cherche des modèles à suivre.
Tezuka, Tanabe et Kondō, la triforce de Nintendo
Pour finir, vous l'aurez sans doute remarqué, j'ai souhaité insister régulièrement sur les noms des principaux acteurs ayant travaillé sur A Link to the Past, et ce n'est pas un hasard. Pourtant, dans les années 1990, j'ignorais même qui était Shigeru Miyamoto, ou peut-être avais-je vu son nom une ou deux fois dans les colonnes de Nintendo Player, sans vraiment comprendre tout ce que je lui devais. Et très honnêtement, personne à l'époque ne pouvait avoir conscience de la "dream team" que pouvait représenter le "triangle d'or" de Nintendo constitué de Takashi Tezuka (réalisateur), Kensuke Tanabe (scénariste) et Kōji Kondō (compositeur), le tout évidemment supervisé par Miyamoto-San (producteur) et le légendaire producteur exécutif Hiroshi Yamauchi, alias "l'homme le plus craint et respecté de l'industrie" (selon les propos du magazine "Next Generation" en 1995). Nous ne cherchions pas à "intellectualiser" les jeux vidéo dans lesquels nous souhaitions surtout à nous évader, ne nous demandions pas s'il s'agissait d'art ou pas, et ne prêtions pas vraiment attention à ces noms japonais redondants, pour nous autres jeunes Occidentaux, qui défilaient une fois l'aventure achevée. Avec le recul, il n'est pas si surprenant de constater que ce groupe de génies ait collaboré ensemble pour nous livrer un tel chef-d'œuvre. Jetez donc un œil à leurs CV respectifs, et cela résumera finalement assez bien d'où provient l'harmonie insolente d'A Link to the Past, et pourquoi il constituait un titre quasiment parfait à sa sortie.
30 ans après sa sortie française, The Legend of Zelda : A Link to the Past est toujours considéré par beaucoup comme un des plus grands jeux vidéo de tous les temps. En vieillissant mieux que pas mal d'autres légendes, soit trop datées techniquement, soit extrêmement vite passées de mode et presque injouables compte tenu des standards contemporains, ce titre unique a su traverser le temps comme peu ont réussi à le faire, porté par l'excellence et la maîtrise totale qu'il incarnait sur tout ce qui distingue les chef-d'œuvre du reste de la masse. Objectivement dénué de tout défaut ou presque lors de sa parution, et jamais désuet même au terme d'une génération de consoles qui a quand même connu de sacrées pointures par la suite, il demeure un de ces rares indémodables sur qui le temps n'a pas d'emprise, à qui on prend du plaisir à rejouer en dépit de son grand âge, au point de se demander si un remake serait d'une quelconque pertinence. La marque des plus grands, assurément, et on espère que son futur héritier, The Legend of Zelda : Tears of the Kingdom, saura faire honneur à son illustre ancêtre.
Plusieurs artworks et illustrations proviennent de la notice officielle de The Legend of Zelda: A Link to the Past, merci à Puissance-Zelda pour leurs scans de ces visuels.