Le 2 février prochain sort Persona 3 Reload, l'un des jeux les plus attendus de ce début d'année. Il faut dire que depuis le lancement de Persona 5, la franchise s'est imposée comme l'une des références du jeu de rôle moderne. Et pourtant, ce phénomène a bien failli ne jamais voir le jour.
2024 sera une année importante pour Atlus. Dès le mois de février, l'éditeur japonais commence fort avec la sortie de Persona 3 Reload, remake de Persona 3 avec l'Unreal Engine 5 pour un rendu dans la veine de Persona 5, le jeu à l'origine de la récente popularité de la franchise. Un peu plus tard, cet automne, on va enfin pouvoir jouer à Metaphor : ReFantazio, le nouveau projet des créateurs de Persona 3, 4 et 5 teasé depuis 2016.
Avec tous ces titres prévus, on peut dire qu'Atlus se porte très bien, à tel point que Persona fait désormais partie des grandes franchises modernes de SEGA, propriétaire du studio, aux côtés de Yakuza/Like a Dragon. Et pourtant, Atlus n'en serait pas là aujourd'hui si une décision radicale n'avait pas été prise il y a 20 ans pour un jeu qui a tout changé pour l'entreprise : Persona 3.
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Avant Persona, il y avait Shin Megami Tensei
Avec le succès de Persona 5, vous vous êtes probablement intéressés à la série dans sa globalité. Et quand on y regarde de plus près, vous avez sûrement remarqué qu'il existe une véritable dichotomie au sein de la saga Persona entre les deux premiers épisodes et les trois derniers. Au départ, Persona est une sous-série de la prolifique franchise des Shin Megami Tensei (SMT). Il s'agit de jeux de rôle avec des combats au tour par tour qui mettent toujours en scène le même bestiaire de démons issus de différentes mythologies du monde entier. Tout cela se déroule souvent dans une ambiance sombre avec des thèmes ésotériques et occultes.
Pour se démarquer des autres séries de la franchise, Persona a la particularité de mettre en scène des lycéens dans un cadre scolaire et d'adopter une esthétique plus anime, et ce, depuis ses origines. Si le premier épisode rappelle vraiment SMT par sa nature de dungeon-crawler, le second commence à se démarquer par la structure de ses donjons. Mis à part cette originalité, il faut reconnaître qu'à ses débuts, la série reste très proche de la formule SMT. Autrement dit, on est plutôt en face d'une nouvelle déclinaison au sein d'une franchise de niche, ce qui n'aide pas à sa démocratisation. Cependant, c'est avec Persona 3 que les choses vont changer grâce à l'insistance d'un homme : Katsura Hashino.
Katsura Hashino, homme fort d'Atlus ?
Arrivé en 1994 chez Atlus, Katsura Hashino a immédiatement travaillé sur plusieurs projets SMT à des rôles importants, à savoir celui de Game Designer sur Shin Megami Tensei If..., Devil Summoner et sa suite Soul Hackers. Autrement dit, des titres majeurs pour la franchise. Fort de ce succès, Hashino est propulsé au rang de Director et Supervisor sur un projet capital : le troisième épisode numéroté de la série principale, à savoir Shin Megami Tensei : Lucifer's Call. Un jeu qui rencontrera un grand succès au niveau de la licence, au point d'avoir droit à un remaster en 2021 qui atteindra le demi-million de ventes.
Malgré ce succès, Atlus ne va pas fort dans les années 2000. Pour être plus précis, ce n'était pas tant Atlus qu'INDEX, sa maison-mère, qui était menacée de fermeture avant d'être racheté par SEGA en 2013. Dans le contexte de l'époque, Katsura Hashino est choisi pour développer le troisième épisode de Persona. Quand on regarde son parcours, cette décision a du sens car SMT If... sur lequel il a travaillé en tant que Game Designer était un proto-Persona. Au moment où le designer se retrouve à la tête du projet, Atlus est sur le point de s'effondrer et il apprend que Persona 3 pourrait bien être le dernier jeu de l'entreprise. Une situation qui n'est pas sans rappeler celle de la création du premier Final Fantasy. Pour empêcher que cela n'arrive, il décide de rendre la franchise plus attrayante, ce qui ne sera pas du goût de tout le monde.
Speaking on J-Wave radio Persona 3, 4 & 5 Director Katsura Hashino said that at the time of Persona 3 Atlus were about to collapse and he was told it would be their last game. He said they had to broaden the series' appeal with P3 otherwise the company would disappear. #Persona3 pic.twitter.com/zsgYEQoORD
— Genki✨ (@Genki_JPN) August 29, 2023
Lors d'une interview l'an dernier accordé à la radio J-Wave, Katsura Hashino raconte qu'avant d'entamer le développement de Persona 3, il a d'abord profondément analysé et décortiqué les jeux précédents, que ce soit en termes de systèmes, de décor ou de thèmes, pour proposer une nouvelle formule à l'équipe dirigeante. Et ça n'a pas plus aux créateurs de la franchise. Il raconte qu'il a eu beaucoup de mal à convaincre certains vétérans de l'entreprise qui trouvaient que sa proposition différait trop des fondements de la série. Face à cela, Hashino répond que ce changement est nécessaire pour que la licence attire de nouveaux joueurs et qu'elle ne parle pas qu'aux fans. Sinon, à ce rythme-là, l'entreprise allait disparaître. Après de longues négociations et compte tenu de l'urgence de la situation, ces cadres supérieurs ont finalement accepté la proposition de Hashino qui conclut en disant : "Voilà ce que la série Persona va devenir. Ça va aller, pardonnez-moi."
Persona 3, le jeu qui a sauvé Atlus ?
Ainsi, Persona 3 bouleverse la structure classique des Persona a tous les niveaux. Le point le plus important de cette refonte concerne l'aspect visual novel et dating simulator qui fait désormais partie de l'identité de la série. Concrètement, l'accent a été mis sur les dialogues, les personnages et les relations qu'entretient le joueur avec eux et qui évoluent au fil du temps, notamment grâce à ses compétences sociales. En plus, le joueur doit gérer le quotidien d'un lycéen entre cours, temps libre, petits boulots et donjon à explorer, ce qui change radicalement des jeux précédents. L'expérience devient donc beaucoup plus bavarde, mais cela crée un fort sentiment d'attachement aux personnages, élément central de la popularité de la série.
Il faut dire que cela est en partie dû au travail de Shigenori Soejima, Character Designer de génie, dont c'était l'un des premiers projets en tant qu'Art Director. Pour l'occasion, ce dernier va encore plus loin dans l'esthétique anime pour plaire à un public adolescent, tout en conservant une dimension sombre propre à SMT. Même chose pour ce qui est des compositions de Shoji Meguro dont les tonalités funky au croisement de tous les genres vont devenir une part importante de l'identité et de la popularité de la série au fil du temps.
Résultat, Persona 3 devient une formule de base solide pour la franchise qui sera perfectionnée avec l'épisode suivant Persona 4, jusqu'à mener au phénomène Persona 5 qui s'est aujourd'hui écoulé à plus de 10 millions d'exemplaires. Fort de ce succès, Atlus a voulu surfer sur la popularité de la franchise en développant de nombreux spin-off à P5 (Strikers, Dancing, Tactica...), mais aussi en ressortant le 3 et le 4 sur les consoles modernes. Désormais, Persona est plus connu que sa série mère, Shin Megami Tensei, qui bénéficie en même temps de cette exposition. Aujourd'hui, c'est au tour de Persona 3 d'être remis à l'honneur avec Reload, son remake, qui permet au plus grand nombre de découvrir cette pépite dans des conditions plus modernes.