Le sujet de l’intelligence artificielle fut incontournable en 2023. Utilisée aussi bien par des professionnels que par le tout-venant, cette technologie a fait des progrès exceptionnels au cours de ces derniers mois. De quoi potentiellement chambouler nos jeux vidéo adorés, même si, dans l’ombre, la menace de la dérive rôde.
Sommaire
- Resistance is futile
- L’IA dans les jeux peut être tout ce que vous voulez
- L’IA ennemie de mon ami est mon ennemie
Resistance is futile
ChatGPT, Synthesia, Sumo, Midjourney, Pika… de nombreux outils utilisant la puissance de l’intelligence artificielle ont bouleversé nos habitudes. Rendez-vous compte, aujourd’hui, n’importe qui peut créer – en quelques minutes – un texte, une image et même une musique. Une société américaine va même jusqu’à proposer un compagnon IA qui nous accompagne partout, tandis qu’un Mario en hologramme géré à 100 % par une IA a hanté les couloirs du CES 2024. Ce qui était encore de la Science Fiction dans le film HER (Spike Jonze) il y a 10 ans est aujourd’hui quasiment réel.
Cette montée en puissance de l’IA, dont l’avènement a longuement été promis, est aujourd’hui palpable. De nombreuses entreprises veulent dompter la machine, celle qui serait capable de découvrir des remèdes à des maladies mais aussi d’abattre une tâche colossale en seulement quelques secondes. Microsoft comme Sony misent dessus comme jamais, l’un ayant investi plus de 10 milliards de dollars dans OpenAI tandis que l’autre a ouvert une filiale dédiée à la recherche sur l’IA. Alors qu’une touche “Copilot” (assistant boosté par l’IA de Microsoft) équipera les claviers de demain, les grands noms du jeu vidéo ont déjà déclaré ouvrir les vannes à l’IA. Parmi eux : Square Enix, Ubisoft, Electronic Arts ou encore Activision.
Alors que le metaverse a – pendant un temps seulement - timidement intéressé les investisseurs curieux, les exemples concrets de l’IA ont terminé de convaincre les actionnaires d’investir dans les groupes misant sur l’intelligence artificielle. Depuis que la firme de Redmond a mis ses billes dans OpenAI, sa valorisation boursière a explosé au point de dépasser brièvement celle d’Apple. Qui aurait pu croire cela il y a encore 5 ans ?
L’IA dans les jeux peut être tout ce que vous voulez
Dans le monde du jeu vidéo, certains cas ont défrayé la chronique, à l’image de High on Life qui utilisait des voix ainsi que des images générées par la machine dans sa version finale. Jusqu’à présent, les joueurs ne semblaient pas réceptifs aux bienfaits de l’IA dans leurs jeux, y voyant aussi bien une fainéantise des producteurs que des économies de bouts de chandelles malvenues. Cependant, comme le rappelle CNN, le développement rapide de l'IA générative ouvre de nouvelles frontières dans le gaming avec la promesse “de mondes ouverts infinis” et des PNJ “vraiment autonomes”.
Au moment où nous écrivons ces lignes, il existe déjà des outils qui permettent de créer des protagonistes capables de générer du texte avec des animations collant à leur humeur. Car certains développeurs en sont persuadés : des PNJ plus intelligents rendront les jeux plus divertissants et plus stimulants. Divers spécialistes estiment que le plus difficile sera de créer des personnages ayant de vraies interactions avec d’autres quidams numériques, loin de tout script, voire des personnages capables de modifier véritablement le monde dans lequel le joueur se trouve. En ce qui concerne les univers infinis, l’IA pourrait aller beaucoup plus loin que la génération procédurale que nous connaissons tous, puisqu’elle ne serait pas contrainte aux algorithmes et aux règles prédéfinis prévus par les développeurs.
Bien sûr, toutes ces promesses incroyables n’engagent que ceux qui y croient. Mais récemment, au CES 2024, Nvidia a présenté ACE, une technologie impressionnante permettant à un utilisateur de discuter/interagir avec un personnage virtuel comme si ce dernier était un véritable humain, dans un monde en 3D. Les journalistes qui ont pu s’y essayer s’avouent impressionnés, n’hésitant pas à parler de “révolution”. Ubisoft, Tencent et NetEase se disent très intéressés par ce que pourrait apporter cet outil. Qui sait, peut-être que dans un futur pas trop lointain, arpenter une ville dans un monde ouvert donnera l’impression de s’aventurer dans un gigantesque MMO où chaque protagoniste visible jouerait 100 % RP ? Cela peut faire envie, mais les designers craignent de perdre le contrôle de la bête.
L’IA ennemie de mon ami est mon ennemie
“Ils me remplaceront par une IA, ce qui permettra d'économiser à peu près la même somme d'argent que celle qui se trouve dans les coussins du canapé de Kotick” déclare Sarah Arellano, Narrative Designer ayant travaillé chez Ubisoft, Blizzard ou encore Volition. “Je trouverai quelque chose d'autre à faire jusqu'à ce que les jeux sans âme échouent” ajoute-t-elle, dans un message où elle explique ses craintes envers la progression de l’IA dans les studios de développement.
On a longtemps promis aux artistes que l’IA n’était qu’un outil qui permettrait de rendre le travail plus efficace en éliminant des tâches répétitives pour qu’ils travaillent sur des problèmes plus complexes. “Il n’est pas question de remplacer les individus, la créativité humaine sera toujours présente dans ce processus. Je regarde donc ces outils et je me demande… comment peuvent-ils aider les équipes ?” assurait Phil Spencer dans les lignes du Monde. Chez BFM, Xavier Poix, directeur des studios France d’Ubisoft, expliquait que l’IA permettait “une évolution du talent artistique et technique”. “On l’utilise pour créer mieux et plus beau” continuait-il.
Mais à une époque où la crise s’installe et où la machine peut créer des dialogues, produire des petits jeux d’arcade, approfondir un pitch, générer des images complexes et même faciliter la modélisation 3D, la crainte s’amplifie chez nos créateurs. Une des promesses de l’IA est la possibilité d'accélérer le développement des jeux, et cela pourrait se faire au détriment de certains professionnels du secteur. D’abord les métiers liés à l’écriture, puis à ceux de l’image, du son, et peut-être bientôt de la Game Logic et du level design. Par ailleurs, Midjourney plancherait déjà sur la génération de mondes ouverts à l’aide de prompts.
Est-ce que dans 10 ans ou 20 ans, il ne faudra plus que des idées pour créer des jeux sur Unreal, plutôt que des connaissances techniques/artistiques diverses et variées ? Serait-ce finalement un mal ? Les développeurs que nous avons pu approcher sont partagés sur le sujet. Certains sont dubitatifs quant aux capacités de l’IA à générer des mondes ouverts en quelques clics, tandis que d’autres pensent qu’il s’agit d’une opportunité incroyable pour les indépendants. “Le problème de l’IA n’est pas propre à l’IA, mais à l’humain” formule un développeur. Avant de conclure : “ce n’est peut-être qu’une évolution technologique excitante qu’il faut réguler un minimum et à laquelle il faut s’adapter”.