“Un des grands titres de l'histoire du jeu vidéo” fête aujourd’hui ses 20 ans (sortie européenne). Et pourtant, il aurait pu ne jamais voir le jour. Pour Beyond Good & Evil, tout a commencé avec un bug.
Rayman et un bug
L’histoire de Beyond Good & Evil débute en 1999. Chez Ubisoft (ou Ubi Soft comme on l’appelait à l’époque), on est alors en train de concocter un nouvel épisode pour le jeu à succès Rayman. Pour cette suite, l’entreprise a décidé de mettre les petits plats dans les grands et de laisser de côté la 2D pour opter pour la 3D. Aux commandes, on retrouve bien sûr Michel Ancel, le papa de Rayman, accompagné d’une équipe d’environ 80 personnes. Après tout, il en faut du monde pour repartir ainsi de zéro ou presque. Sans grande surprise, ce passage à la 3D ne se fait pas sans difficulté. Forcément, nombreux sont les bugs à réparer lors du développement du titre. Mais l’un d’entre eux va particulièrement intriguer Michel Ancel.
À un moment, le directif créateur se retrouve en effet nez à nez avec un bug permettant de se projeter sur un bateau survolant l’un des niveaux du jeu. Il devient alors possible de l’observer d’en haut. Si cela n’a l’air de rien dit comme ça, pour Michel Ancel cette prise de hauteur rime avec liberté et grand espace. Pour lui, les choses sont claires : il doit faire un jeu qui réussit à lui procurer le même sentiment. Vous l’aurez compris, c’est ainsi qu’est né le projet BG&E. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que le projet est ambitieux.
On l’a dit, l’idée est de procurer aux joueurs un sentiment de liberté et d’espace époustouflant. En somme, Michel Ancel veut couper le souffle des joueurs avec un jeu qui propose un vrai monde vaste et riche à explorer. Si aujourd’hui les jeux du genre s’enchaînent et que la promesse de BGE n’a l’air de rien, à l’époque c’est un peu différent, surtout pour Ancel et Ubisoft Montpellier. Le studio a jusqu’ici fait ses armes sur des platformer et des jeux éducatifs. Pour mettre sur pied un monde aussi vaste, il va donc falloir mettre les bouchées doubles et opter pour de nouveaux outils.
Beyond Good & Evil, un jeu vidéo ambitieux
Pour développer BGE, Ubisoft Montpellier va ainsi façonner son propre moteur de jeu. Son nom ? Jade Engine. Pourquoi ? Et bien tout simplement car c’est le nom de code (puis véritable nom) qui a été donné à l’héroïne du jeu. C’est dire à quel point le projet est important pour les équipes d’Ubi. Ce moteur, qui sera ensuite utilisé pour d’autres jeux du studio, il est notamment façonné avec une idée en tête : pouvoir passer d’un gameplay à un autre sans transition marquée. Pour transmettre le sentiment de liberté voulu, les équipes d’Ubisoft Montpellier ont en effet opté pour un gameplay varié (infiltration terrestre, vol à bord de l’hovercraft SX350, combats spatiaux avec le beluga 200…). Mais c’est surtout grâce à son univers que Beyond Good & Evil sera plébiscité.
Tiens, mais d'ailleurs, on ne vous a toujours pas décrit BGE. On a tendance à l’oublier mais il faut dire que le jeu ne s'est pas vraiment bien vendu à l'époque, malgré les bonnes critiques. Il y a donc de fortes chances que vous soyez passé à côté. Beyond Good & Evil vous emmène donc en 2435, une année pour le moins chaotique. Dans le Système 4, les sections Alpha du général Kehck prennent peu à peu le pouvoir. Elles disent protéger la population mais leurs méthodes rendent les habitants plutôt soupçonneux. Si bien qu’un groupe de résistants, IRIS, va se monter pour lutter contre ce nouveau pouvoir. Au milieu de tout ça, il y a Jade, une reporter indépendante qui va devoir trouver sa place dans ce conflit. Cette passionnante histoire se déroulait principalement sur la planète d’Hillys, particulièrement réussite.
Que ce soit d’un point de vue esthétique, auditif ou scénaristique, Hillys proposait une immersion assez folle pour l’époque. 53 minutes de cinématiques, 1 077 effets sonores, 200 000€ de budget (hypothétique) pour deux ans de travail sur le son et la musique (merci Christophe Héral notamment), 7 383 dialogues… Certes, ça fait pâle figure aujourd’hui, surtout face aux chiffres surréalistes d’un certain Baldur's Gate III, mais à l’époque ça représente un travail colossal. Et puis que dire des effets d’eau, de ses animations (notamment des visages) détaillées, de son approche plus pacifique ou encore des émotions que réussissent à transmettre avec brio les aventures de Jade ? Petit OVNI vidéoludique, Beyond Good & Evil a su marquer ceux qui ont posé leurs mains dessus. Comme Jihem qui concluait à l’époque son test en disant : “sublime et enchanteur, Beyond Good & Evil fait partie de ces grands titres de l'histoire du jeu vidéo. Une aventure qui nous prend dès l'introduction pour nous transporter dans un monde que l'on croirait vivant et dont on a envie d'apprendre plus.”
Si vous ne connaissez pas Beyond Good & Evil, on vous dirait bien de rattraper ce tort au plus vite. Cependant, 20 ans après, pas sûr que sa proposition fasse encore mouche. Surtout que le jeu n’était pas exempt de tout défaut. On lui a notamment reproché sa fin ouverte presque bâclée et sa durée de vie. Mais à vrai dire, les équipes d’Ubi espéraient elles-mêmes plus de leur jeu. Jacques Exertier, notamment co-scénariste, dialoguiste et storyboardeur sur BGE, a en effet expliqué à l'occasion d'une session de questions/réponses avec des fans de BGE que les ambitions initiales étaient plus grandes.
Nous avions imaginé plus de planètes et une enquête qui dépassait l’échelle d’Hyllis et Sélène. Nous n’avons pas pu le faire pour des raisons techniques mais aussi pour le travail énorme que ça représentait.
C'est notamment pour cette raison que Beyond Good & Evil 2 est très attendu. Avec les moyens techniques modernes, il devrait en effet pouvoir aller plus loin que son prédécesseur, donner vie aux rêves de ses créateurs. Mais 20 ans après la sortie du premier opus, mais surtout 16 ans après le début de sa pré-production, Beyond Good & Evil 2 fait le mort. Et les seules nouvelles qui parviennent jusqu'à nous ne sont pas franchement réjouissantes, et ce sur bien des plans. Autant dire qu'on a de réelles raisons de s’inquiéter. Mais si Ubisoft a réussi à faire d'un bug un jeu aussi mémorable que Beyond Good & Evil 2, peut-être que sortira de ce développement de l'enfer une suite qui restera longtemps dans les mémoires. On ne peut que l'espérer en tout cas.