Dans la catégorie des titres qui ont été essorés par la discipline du speedrun, Doom est l’exemple le plus parlant. Pour autant, les joueurs sont toujours à l’affût de nouvelles performances bluffantes, quitte à tester les limites de l’impossible. Depuis toujours, on a pensé qu’il n’y avait aucune échappatoire au dernier niveau du titre d’id Software. Et pourtant, ce joueur légendaire de la communauté Doom a réalisé l’impensable.
Sommaire
- La mort n’était pas la seule issue possible
- Exterminer les démons et déjouer les probabilités, les deux clefs de la réussite
- Zero Master, condamné à s’en sortir : un succès loin d’être randoom
En l’espace de trois décennies, il y a des joueurs exceptionnels qui ont fait vibrer toute une communauté en raison de leurs aptitudes et de leurs prouesses. S'il ne fallait en citer qu’un, ce serait indéniablement Zero-Master, érigé au rang de légende suite à ses nombreux speedruns et défis sur Doom premier du nom. Ce qui est parfois remarquable dans les challenges qu’il s’impose, c’est l’abnégation dont il fait preuve, comme en témoignent son expérience de quatre mois sur cette « run » spécifique ou encore ses découvertes sur un bug, apparemment impossible à reproduire, qui lui ont permis de traverser le fameux huitième niveau en un éclair. Bon, pas aussi vite, mais en dix-sept secondes tout de même !
La mort n’était pas la seule issue possible
Aussi étonnant que cela puisse paraître, l’ultime niveau de Doom (E1 M8) n’est pas extraordinaire dans sa construction. Du moins, à un détail près. Tandis que cette dernière course effrénée, véritable carnage d’entités démoniaques, se termine sur un affrontement épique contre deux Barons Infernaux, le jeu recèle une toute dernière surprise qui à des allures de revanche de la part des monstruosités que vous avez décimées tout du long. Comme le veut le proverbe : quand il n’y en a plus, il y en a encore. Et pour le coup, il n’y en a pas qu’un peu. En l’occurrence, les derniers instants de Doom vous font emprunter un téléporteur puis une série d’escaliers qui débouchent… sur une mort inéluctable : la vôtre.
En soi, l’ultime niveau de Doom n’est pas une montagne de difficultés. Toutefois, il vous met à l’épreuve en vous permettant seulement de récupérer un fusil à pompe (Shotgun) et la mitrailleuse (Chaingun). En sachant cela, on ne peut pas dire qu'elles font partie des armes les plus dévastatrices du jeu. Néanmoins, en si prenant correctement, il y a la possibilité d’attirer certains ennemis, de garder ses distances et de réussir aisément la dernière portion de ce speedrun. Ce qui est bien plus insurmontable, c’est cette salle si particulière dans laquelle vous atterrissez à la toute fin : un guet-apens total pour vous faire la peau bien comme il faut !
Doom oblige, tout est fait pour que vous ayez l’impression d’être dans un cauchemar : l’obscurité y est complète, des ennemis vous assaillent sans relâche (démons, diablotins, shotgun guy) et vous êtes totalement impuissant. Bref, une véritable descente aux enfers. Littéralement. En réalité, ces derniers instants sur Doom ne sont pas là par pur sadisme, mais bel et bien pour introduire l’intrigue de Doom 2 puisque celle-ci reprend au moment où le Doom Guy revient des enfers et s’aperçoit que la Terre est mise à feu et à sang par une armée de démons. Par conséquent, cette dernière salve d’ennemis dans Doom est un prétexte pour vous « tuer » et raccrocher les wagons, à la fois en concluant ce volet avec un rebondissement final et en posant les bases du second opus.
Exterminer les démons et déjouer les probabilités, les deux clefs de la réussite
Quoi qu’il en soit, le message de la part du jeu est limpide : vous n’êtes pas censé survivre à cette dernière étape puisque tout est prévu pour que vous mouriez. Doom tient tellement à votre trépas que les développeurs d’id Software ont carrément implémenté une fonctionnalité à travers le sol - infligeant des dégâts supplémentaires - dans l’éventualité où certains joueurs voudraient tromper la mort. Cerise sur l’autel de votre dernier souffle, il y a même une habileté spécifique qui permet à ce terrain infernal de déclencher votre mort à l’instant où vous descendez sous le seuil des 11% de vie. Absolument rien n’est laissé au hasard : vous devez succomber aux démons !
À ce propos, parlons de votre comité d’accueil composé de six shotgun guys, cinq diablotins et quatre démons. Effectivement, dans un espace réduit, ce n’est pas évident de s’en sortir indemne : c’est même totalement impensable ! Et puis, votre arsenal lors de cette ultime bataille n'arrange rien et vous éloigne de tout triomphe. Rappelons-le, vous n’avez qu’un fusil à pompe et une mitrailleuse pour espérer être le dernier debout. Quoi qu’il en soit, les joueurs ont fait tout un tas de calculs, et vous ne faites vraiment pas long feu dans ce piège démoniaque. À l’aide des bonus que vous récupérez plus tôt dans le niveau, vous avez l’opportunité d'atterrir dans cette salle infernale avec 200 points de vie. À raison de 14 points de dégâts par seconde, vous n’avez qu’entre 11 et 12 secondes pour vous accrocher à la vie.
La raison d’un délai si court est aussi la conséquence de nombreuses variables à prendre en compte : les dégâts de la mitrailleuse, la santé des ennemis, les instants où les ennemis ne sont pas touchés à cause des déplacements… En raison de tous ces éléments, on ne dispose réellement que de 12,1 secondes pour tuer ces quinze ennemis qui veulent notre peau. Bref, il y a tellement de paramètres qui rentrent dans cette équation d’apparence insoluble que la tâche paraît tout bonnement impossible, et les mathématiques abondent dans ce sens. Au cœur de la communauté Doom, et en particulier celle spécialisée dans le speedrun, on ne se leurre pas et on a donc accepté le fait que les « runs » 100% Kills sont inatteignables.
Ainsi, les adeptes des « runs » Ultra-Violence Max (UV Max) se sont mis d’accord pour dire que toutes les runs qui respectent les conditions (100% Kills, 100% Secret), quand bien même le dernier niveau est bloqué à 63% Kills à cause de l’ultime salle où vous mourrez, sont valables. À l’image du record actuel du huitième niveau en UV-Max, détenu par Teedre depuis octobre 2022, qui est de 59 secondes. Comme on le voit dans sa performance, il n’essaie de tuer personne à la fin et obtient un score de 63% dans la catégorie « Kills ». Sauf qu’après toutes ces années, l’illustre Zero-Master en a décidément autrement. Si quasiment tous les joueurs ont accepté qu’on ne pourrait pas dépasser les 63% et que les probabilités nous disent que c’est impossible, lui n’a qu’une seule chose à rétorquer : « en êtes-vous vraiment sûrs ? »
Zero Master, condamné à s’en sortir : un succès loin d’être randoom
Après toutes ces années, Zero-Master a donc voulu s’assurer que les gens ne faisaient pas fausse route, quitte à s’acharner encore et encore sur ce challenge qualifié d’impossible. Au fil de ses réflexions, le joueur a ajouté et pris en compte une nouvelle variable, à savoir les dégâts que les ennemis peuvent s’infliger entre eux. Avec un peu de chance, il existe peut-être un moyen pour que ces derniers s’infligent suffisamment de dégâts, ce qui pourrait ainsi améliorer les probabilités qui, depuis toujours, jouent en défaveur des speedrunners. C’est alors qu’il envisage de récupérer, sur son chemin, un pouvoir d’invisibilité partielle lui conférant un léger avantage au moment de mettre les pieds dans la fameuse salle de la mort.
S’appuyant sur cette éventualité, il met au point un script dans lequel il court en cercle et tire sur les ennemis, et il le reproduit 5000 fois ! Dans tous les résultats qu’il obtient et qu’il décortique, il y a une chance d’y parvenir. Quand bien même il n’y a aucune solution qui fait le ménage à elle seule, il y a une tentative qui lui laisse suffisamment de temps pour prendre le contrôle du Doom Guy et réussir cet exploit tant recherché. Les probabilités sont minimes mais il y a clairement de l’espoir ! Quoi qu’il en soit, il étudie cette unique possibilité sous toutes les coutures et met en avant l’un des problèmes les plus épineux de cette salle : un immense dilemme de shotgun guy.
Tuer les shotgun guys en premier ou terminer par ceux-ci ? D’un côté, il remarque que ce type d’ennemis peut grandement entamer la jauge de santé du Doom Guy et que leurs attaques peuvent difficilement être évitées. De ce fait, ne pas les tuer dès le départ revient donc à s'exposer davantage et à perdre du temps. Mais, d’un autre côté, ils permettent aussi d’engranger plus de dégâts aux autres ennemis présents et, par conséquent, de mieux s’en sortir. Faudrait-il donc débuter par les démons ? Ces adversaires sont dotés de la plus grande réserve de vie, ne font que des dégâts de mêlée facilement évitables et sont d’excellents boucliers qui peuvent absorber une grande part des dégâts engendrés par les shotgun guys et les diablotins. Néanmoins, il reste une inconnue : en l’absence des shotgun guys, combien de dégâts peuvent-ils infliger aux autres ennemis ? Oui, le problème est épineux, et à tout cela s'ajoute le dilemme du déplacement ou de l’immobilisme.
Effectivement, se mouvoir dans cet espace restreint permet d’éviter les dégâts, mais ce choix altère le taux de précision des tirs. Plus il retourne le problème dans tous les sens, plus Zero-Master comprend qu’il n’y a pas vraiment de stratégie parfaite pour obtenir le score inespéré de 100% dans la catégorie « Kills » et que la prouesse finale repose avant tout sur la chance. Pas la peine de tourner autour du pot et de tergiverser, il faut se lancer dans la bataille en croyant de toutes ses forces en sa bonne étoile. C’est ainsi qu’il prend la décision de se focaliser sur les diablotins et sur les démons, avant de conclure en liquidant les shotgun guys. Après des centaines de tentatives, Zero-Master a fini par prouver que l’impossible était bel et bien possible, changeant à tout jamais la face de ce niveau E1 M8. Les speedruns seront-ils toujours les mêmes après cette découverte ? Pas sûr que l’aléatoire ait sa place dans la méthodologie des joueurs. La seule certitude que l’on a, c’est qu’il n’y avait que Zero-Master pour tenter une telle folie… et déjouer les probabilités.
