Pourtant au sommet de sa gloire en 2022 avec des produits tels que Avatar 2 : La Voie de l’eau ou encore Top Gun : Maverick, le blockbuster bat désormais de l’aile. À mesure que les spectateurs reprennent l’habitude de s’asseoir confortablement dans les fauteuils des salles obscures, la lassitude s’invite sur le siège d’à côté. La machine à divertissement fonctionne toujours, mais elle s’enraye de plus en plus. À n'en pas douter, c'est là le signe que le public n’a plus spécialement envie de revenir à ses habitudes de consommation d’avant la crise sanitaire, tout en faisant comprendre son désintérêt pour certaines franchises qui ont allègrement franchi la ligne du film de trop. Le blockbuster est-il en danger ? Pas spécialement, mais il lui serait surtout fatal de ne pas se remettre en question.
Le cinéma, une industrie qui peine à se relever de la crise sanitaire
En ce moment, il paraît compliqué d’être un géant. On aurait tendance à croire que l’on est solide sur ses appuis quand on dispose d’une telle stature, et pourtant ! En raison du poids qui pèse sur les épaules de certains mastodontes du divertissement, on se rend compte qu’une telle pression lui rend les pieds friables. Comme si les pontes d’Hollywood n’étaient pas assez fragilisés, voilà qu’une grève à nulle autre pareille – menée par les scénaristes et soutenue par les acteurs – s'est abattue sur la cité des anges. Pas sûr que l’industrie du cinéma avait besoin d’un tel chamboulement interne… et externe, suite aux récentes réactions des spectateurs qui se déplacent en salle. Quoi que… ! Il y a un peu plus de trois ans de cela, Hollywood s’est retrouvé confronté à une crise sans précédent et indépendante de sa volonté, à savoir l’épidémie de coronavirus qui a mis l’industrie à l’arrêt et s’est répercutée sur le calendrier de sorties et les habitudes de consommation en mtière de divertissement, obligeant certains mastodontes à trouver des solutions d’urgence.
Netflix renforce sa mainmise dans le secteur de la vidéo à la demande, Disney transfère ses sorties des salles obscures vers le catalogue de sa plateforme payante, … Au sortir de cette crise, on craignait le pire pour le septième art et l’on espérait mettre en avant quelques sauveurs (Tenet, Mourir peut attendre, …) pour relancer la machine. Toutefois, le processus ne s’est pas fait en un jour : ce n’est qu’en mai dernier que le taux de fréquentation a (enfin) dépassé le niveau d’avant la crise sanitaire. Un problème de moins pour le cinéma, mais il lui reste une épine majeure dans le pied : sa formule. Après cette période sombre, on aurait pu penser que le public allait reprendre ses habitudes en succombant à la flopée de nouvelles productions à l’affiche avec une certaine nostalgie. Or, plus le temps passe, plus les résultats laissent à penser que le public a besoin d’un véritable changement. Du moins, celui-ci envoie un message fort à Hollywood et à certaines productions : les spectateurs ont pris du recul, et la lassitude est bel et bien présente !
L’usure des films de super-héros et des franchises à rallonge se fait ressentir
L’année 2023 marque-t-elle le point de départ d'une transition à Hollywood ? Après une période compliquée, on a effectivement l’impression d’être à un carrefour : le cinéma vit des montagnes russes – quelques films ont connu un succès sans précédent et d’autres la dégringolade –, l’industrie donne le sentiment de retomber dans ses travers et le ras le bol s’installe dans les rangs du public. D’une année à l’autre, l’attitude a changé du tout au tout. En 2022, on retrouvait (en France) les nouveaux opus de licences cultes dans le top du box-office : Avatar 2 : La Voie de l’eau, Top Gun : Maverick, Les Minions 2 : Il était une fois Gru, Jurassic World : Le monde d’après, Black Panther : Wakanda Forever, Doctor Strange in the Multiverse of Madness, The Batman, Thor : Love and Thunder, Les Animaux fantastiques 3, … Or, en l’espace de quelques mois, ce n’est plus du tout le même son de cloche, que ce soit pour les longs-métrages de super-héros ou les vieux briscards adeptes de l’action effrénée tels que ce bon vieux Indiana Jones et cet intrépide et infatigable Ethan Hunt.
Pour Marvel et DC, le combat est identique même s’il y en a un qui s’en sort mieux que l’autre. Disney peut effectivement remercier les Gardiens de la Galaxie ! En soi, ce n’est pas étonnant : la franchise est l’une des plus appréciées de l’univers Marvel et dénombre un immense parterre de fans, ce qui n’est pas le cas de certains comme Ant-Man qui a prouvé, une nouvelle fois, son déficit de popularité. Par contre, chez DC, c’est encore plus compliqué puisque les déconvenues se suivent et personne n’arrive à redresser la barre : Black Adam, Shazam! : La Rage des Dieux, The Flash et, plus récemment, Blue Beetle dont la situation est paradoxale (énorme flop commercial, meilleure réception critique/public). Étonnamment et à côté de ça, Amazon se pavane avec deux séries de super-héros qui cartonnent, démontrant ainsi qu’il y a peut-être un peu place pour ces derniers si tant est qu’ils soignent leur postulat (The Boys, Invincible). Enfin, il n’y a pas que les super-héros qui ont des leçons à en tirer. Certaines franchises d’action vont, elles aussi, devoir se remettre en question, à l’image de Mission : Impossible, Indiana Jones, Fast and Furious, Transformers, … D’autant que certains ne se gênent pas pour tirer sur l’ambulance en soulignant la recrudescence de films « poubelles » du côté d’Hollywood, ou pour désigner un coupable à ces échecs quitte à se renvoyer la balle par médias interposés. Ambiance…
Beaucoup trop essorées, ces franchises se heurtent à la lassitude du public et paient les pots cassés d’un budget hors norme qui, au moment de faire les comptes finaux, plombe les résultats. Par exemple, on estime que Mission : Impossible - Dead Reckoning Part. 1 et Indiana Jones et le Cadran de la destinée ont fait perdre 100 millions de dollars aux sociétés de production tant elles s’attendaient à un engouement bien plus marqué financièrement. Pour ce qui est de Fast X, il suffit de jeter un oeil aux recettes des précédents films pour comprendre que la licence se dirige peu à peu vers la bande d’arrêt d’urgence : Fast 7 (1,5 milliards), Fast 8 (1,24 milliards), Fast 6 (789 millions), Fast 9 (726 millions) et Fast X (720 millions, en sachant qu’il s’agit du plus gros budget alloué à un film de licence (340 millions) et qu’il multiplie par deux celui de Fast 6, le tout pour un bilan quasi-similaire à ce dernier. Entre les blockbusters de super-héros et les films d’action qui font tout exploser à l’écran, y compris leur budget, les spectateurs n’arrivent-ils pas à saturation ? D’autres franchises sont-elles également sur la sellette ? Les récentes déconvenues abondent dans ce sens et, effectivement, donnent le sentiment que ceux-ci s’embarquent dans la suite de trop. Il y a dix ans de cela, Steven Spielberg alertait pourtant sur la potentielle chute de ce modèle, similaire à celle du western, et invitait les sociétés de production à s’y préparer ou à l’anticiper en réfléchissant à de nouvelles propositions comme on peut en voir petit à petit.
Réinventer et réenchanter le blockbuster avec des projets inédits ou une nouvelle approche
Les ratés actuels augurent-ils la fin des blockbusters ? Non, mais leur forme actuelle paraît de moins en moins pérenne et ouvre la porte à de nouvelles voies, à des formes inédites qui reposent, entre autres, sur des propositions originales. D’un côté, on le voit avec l’animation (Spider-Man : Across the Spider-Verse, Ninja Turtles : Teenage Years, Super Mario Bros. le film, …) et, d'autre part, avec les longs-métrages en prises de vues réelles (Barbie, Oppenheimer). Quand on voit l’engouement que ces films ont provoqué, on ressent que le public est de plus en plus demandeur d’une identité forte (d’un point de vue réalisation (Christopher Nolan), de l’univers) ou de quelque chose de différent. Toujours est-il que les grandes sociétés du divertissement commencent à prendre conscience qu’il y a des choses à changer et qu’il faut faire de la pédagogie pour le bien-être du cinéma (et de leur trésorerie, par la même occasion). À titre d’exemple, Disney tient un discours critique sur ses derniers films et a d’ores et déjà intégré le fait qu’il allait devoir « rééduquer » les spectateurs après s’être, en quelque sorte, tiré une balle dans le pied en misant beaucoup trop sur sa plateforme de SVOD.
Aujourd’hui, la société doit s’adapter (augmentation des prix de l’abonnement, mise en vente des séries Marvel en Blu-Ray, …), tout en trouvant une alternative, comme ses homologues, pour briser cette escalade de coût de production. Car, à terme, ces blockbusters risquent d’avoir de plus en plus de mal à maintenir le postulat selon lequel un tel film doit rapporter deux fois ce qu’il a coûté. En l’occurrence, si la société aux grandes oreilles y est parvenue avec Élémentaire (200 millions investis, 443 millions récoltés), tous n’ont pas eu cette chance. Par exemple, The Flash laisse un trou béant dans les finances de la Warner (370 millions de dollars au total (220 pour la production et 150 pour le marketing), à peu près 270 millions récupérés). Bref, dans les années à venir, il va falloir troquer la grandiloquence et les budgets à outrance pour une certaine forme de modestie. Une mission perdue d’avance ? Non, et il suffit de scruter ce qui se fait sur le marché actuel du divertissement pour en prendre conscience et, peut-être, s’en inspirer. Citons de nouveau le film Barbie de Greta Gerwig qui, pour le coup, n’a coûté que 150 millions de dollars (hors marketing), tout en rapportant quasiment… dix fois plus ! Autre exemple atypique, M3gan, l’une des dernières productions de la société Blumhouse, qui a largement su tirer son épingle du jeu malgré son faible budget (12 millions de dollars) pour, au final, récolter 168 millions de dollars au box-office.
Le souci, c’est que les transformations et les leçons à tirer de 2023 n’arriveront pas demain comme par magie. Déjà d’une, parce que c’est un processus qui prend du temps et, deuxièmement, parce que le calendrier de fin 2023 et 2024 est déjà bien fourni en blockbusters et autres gros projets des sociétés de production (remake live-action, énième épisode d’une franchise connue, superproductions bardées d’effets spéciaux, …) qui sentent bon la facilité et non la vision d’auteur. L’une des tâches ardues pour les blockbusters – le genre n’est pas près de s’éteindre, même s’il doit se réinventer – va être de réenchanter son modèle, en faire un événement et non un rendez-vous basique qui tente de nous faire traîner des pieds jusque dans les salles obscures pour que l’on reste aux faits des événements, pour reprendre la technique du MCU qui ne s’est pas remis du climax d’Avengers : Endgame et qui essaie de varier sa communication pour sauver les meubles du restant de sa Phase 5 (notamment The Marvels). D’autant que la composante du pouvoir d’achat est également à prendre en compte tant on sait que le cinéma est une dépense « plaisir » et que les premières dépenses réduites en temps de crise se focalisent sur les loisirs. Par conséquent, il va être important de redorer le blason du blockbuster, revenir à ce qu’a démocratisé Spielberg avec la sortie du film Les Dents de la Mer pour que ces superproductions deviennent à nouveau un incontournable du divertissement.