Le 12 mai, c’est le grand jour. Zelda Tears of the Kingdom débarque sur Nintendo Switch pour le plus grand plaisir des joueurs de tout bord. Mais ici, on va attendre un peu avant d'embarquer pour les plaines d'Hyrule.
Cet article est un billet d’opinion, il est par nature subjectif. L'avis de l'auteur est personnel et n'est pas représentatif de celui du reste de la rédaction de JV.
Sommaire
- The Legend of Zelda Tears of the Kingdom ? Pas maintenant !
- Consommer plutôt que jouer
- Breath of the Wild, un jeu intemporel
Achetez Zelda Tears of the Kingdom sur Amazon
The Legend of Zelda Tears of the Kingdom ? Pas maintenant !
Autant être clair tout de suite pour les trois mauvais élèves du fond : ceci n’est absolument pas un plaidoyer contre le saint The Legend of Zelda : Tears of the Kingdom. Oui, comme la grande majorité des joueurs, j’ai hâte de retrouver Link et de découvrir cette nouvelle aventure. Et pourtant, je ne suis pas spécialement une fan de Zelda. Certes, j’ai joué encore et encore à The Legend of Zelda : Majora's Mask dans mon enfance et The Legend of Zelda : Twilight Princess m’a laissé de très bons souvenirs. Mais c’est tout. Et puis, il y a eu The Legend of Zelda : Breath of the Wild...
Cette parenthèse enchantée, cette ode à l’exploration et à la liberté m’a tout simplement transporté. Comme beaucoup de gens, j’ai appris à aimer Hyrule et Link avec ce titre. C’est indéniable, Breath of the Wild n’a pas la même aura que les précédents jeux Zelda, ni les mêmes chiffres de vente d’ailleurs (plus de 30 millions d’unités vendus pour une licence qui en enregistre moins de 10 par épisode). Je pense qu’il n’est pas nécessaire de rappeler ici les raisons du succès de Breath of the Wild. Tout comme il n’est pas nécessaire d’expliquer pourquoi Nintendo se devait de proposer une suite dans la même lignée après un tel mastodonte, suite naturellement attendue comme le messie.
Alors oui, encore une fois, bien sûr que j'ai hâte de mettre la main sur Zelda Tears of the Kingdom. Mais je ne le ferai pas dès le jour de sa sortie. À vrai dire, ma prochaine aventure à Hyrule débutera même très certainement dans plusieurs mois et il y a plusieurs raisons à cela. Premièrement, cela ne vous aura pas échappé, le calendrier de ces prochaines semaines est chargé. Planet of Lana le 23 mai, Street Fighter 6 le 2 juin, Diablo IV le 6 juin, Dordogne le 13 juin, Final Fantasy XVI le 22 juin, Time O'Clock le 30 juin… Et puis faut rajouter les jeux sortis récemment que je n'ai pas encore eu le temps de lancer, comme Star Wars Jedi : Survivor. Au milieu de tout ça, difficile de trouver du temps pour se consacrer à un jeu qui nécessitera certainement une centaine d'heures pour être bouclé. “Mais du coup, ça vaut pour tous les jeux cités non ?” Sauf que pour Zelda, un autre facteur entre en compte : l’émulation générale. Si tous les jeux cités plus haut sont très attendus, ils ne fédèrent pas autant. C’est simple : tout le monde va jouer à TOTK. Et du coup, tout le monde va en parler à la sortie.
Dit comme cela, ça n’a l’air de rien. Mais croyez-moi, les prochains jours s’annoncent assez rudes, surtout au sein d’une rédaction d’un site qui a fait du jeu vidéo son cœur de métier. Je vois déjà les pauses-déjeuner s’enchaîner et se ressembler : écouter untel parler d’où il en est en jeu puis voir un autre rebondir avec sa dernière découverte, avant de repartir dans l’open-space en évitant à tout prix les écrans des collègues jouant au jeu… Pour ne pas trembler face à cette épée de Damoclès divulgâchante, deux solutions s’offrent à vous : éviter tout contact avec un joueur, qu’il soit habitué ou occasionnel d’ailleurs vu que TOTK touchera tout type de public, ou se forcer à avancer rapidement en jeu. Et c’est là qu’on touche le point névralgique de cette affaire. Que ce soit pour l’une ou l’autre des raisons, jouer à Zelda Tears of the Kingdom maintenant me forcerait, d’une manière à d’une autre, à consommer le jeu plutôt qu’à le savourer. Et ce serait bien dommage !
Consommer plutôt que jouer
Le jeu vidéo est clairement un objet de consommation, et l’a plus ou moins toujours été. On achète le dernier jeu à la mode, on se procure la nouvelle génération de consoles, on remplit un peu plus son backlog avec des jeux que l’on ne lancera jamais… En somme, c'est un cycle sans fin qui pousse à mettre régulièrement la main au porte-monnaie pour continuer à se divertir pleinement. Ce n’est pas un mal, juste un fait. Et plus le temps passe, plus cette surconsommation vidéoludique prend de l’importance, de façon assez logique d’ailleurs.
Et oui, car l’offre n’a de cesse d’augmenter. De nouveaux jeux sortent chaque jour et viennent s’ajouter à la longue liste des titres à tester. Qui plus est, l’apparition d’offres comme le Game Pass et l'avènement des jeux free-to-play ont permis aux joueurs de rendre plus facile (entendez là moins coûteux) l’accès à une myriade de titres bien différents. Et si ça a bien sûr un effet clairement positif, ça pose également des questions sur la façon que l’on a de consommer le jeu vidéo aujourd’hui (et même de le produire). Keita Takahashi, qui a pendant un temps été développeur chez Namco, s’en inquiétait déjà en 2009. Le bonhomme a toujours été une sorte d’électron libre, désireux de se détacher des logiques mercantiles du milieu et d’apporter un regard critique sur le monde qui l’entoure. Son premier titre (et hit), Katamari Damacy, avait d’ailleurs été pensé pour parler de la société de consommation… avant d’être modifié pour justement parler à un nombre plus important de “consommateurs”.
En 2009 donc, à l’occasion de la GDC (Game Developers Conference), il a justement évoqué ce rapport à la consommation : “Hayao Miyazaki a dit un jour que les enfants, de nos jours, ne jouent plus, ils consomment juste. Je pense que c’est vrai… Au Japon, les gens qui jouent aux jeux vidéo sont appelés des “utilisateurs”. Je me suis toujours dit qu'il y avait quelque chose qui n'allait pas là-dedans." À l’époque, le bonhomme prêchait pour une autre façon de créer des jeux, afin de contrer cet aspect de simple consommable. “Si nous aimons les jeux vidéo, nous devons ressentir plus les choses et mieux observer, et prendre plus de plaisir à créer. Les jeux n’ont pas de fin, ils ne cessent de se développer, et pourtant on a tendance à penser qu’ils devraient répondre à certaines conventions.” Et c’est marrant, puisque, quand la triforce des développeurs est venue présenter Breath of the Wild à la GDC en 2017 (véritable événement pour Nintendo qui aime se montrer discret habituellement), c’était justement avec cette idée en tête : “rompre avec les conventions”.
Mais revenons à notre façon de consommer les jeux, si vous le voulez bien. Cette dernière a évolué tant et si bien qu’on a récemment vu émerger une conscientisation de l’évolution des pratiques vidéoludiques. Un épisode de Game Next Door, intitulé “Comment j’ai accepté de ne plus finir les jeux”, a par exemple décortiqué le sujet, d’un point de vue plus personnel certes mais non moins intéressant. Car cette expérience personnelle fait écho à celle de nombreux autres joueurs, dont moi d’ailleurs. Petit à petit, j’ai également dû accepter le fait de ne pas finir tous les jeux, pour tout un tas de raisons. Et si cela m’a permis de m’autoriser à découvrir plus d’œuvres vidéoludiques, j’avoue regretter parfois la satisfaction de se plonger pleinement dans un jeu pendant plusieurs semaines et de ne le quitter qu’une fois le voyage accompli dans son entièreté (satisfaction qui s’est malheureusement un peu estompée face à l’accumulation des expériences). C’est pourquoi cette déconnexion du rythme fou du calendrier vidéoludique, je me l’autorise tout de même encore pour quelques jeux. C’est notamment le cas pour les Assassin’s Creed (licence de cœur oblige) mais également quelques petits OVNI par-ci par-là comme Hollow Knight ou… Breath of the Wild.
Breath of the Wild, un jeu intemporel
Et ce n’est absolument pas anodin. Breath of the Wild n’a pas seulement “rompu avec les conventions” des jeux en monde ouvert. Il se démarque en effet par son intemporalité, sa capacité à nous plonger dans un monde hors de cette logique consumériste. Dans un monde où on a tendance à penser que les jeux ont une date de péremption et qu’ils n’existent qu’au moment de leur sortie, Breath of the Wild est un OVNI, un intemporel, un jeu qui ne se savoure pas comme tous les autres (ou plutôt qui se savoure contrairement aux autres justement). En lisant ses mots, certains seront d’ailleurs certainement tentés de parler des nombreuses heures qu’ils ont passé sur le jeu, de partager quelques anecdotes sur leur expérience ou celle de leurs proches.
Mais si on veut se la jouer plus factuel, il suffit de jeter un œil à l’évolution des chiffres de ventes du jeu pour comprendre qu’on a bel et bien affaire à un intemporel. Pour cela, on peut bien sûr remercier Oscar Lemaire et ses graphiques de qualité. Et avec celui ci-dessous, on voit que le jeu n’a jamais cessé de se vendre en masse, et ce même plusieurs années après sa sortie. En 2020, il enregistrait même une hausse des ventes par rapport à l’année précédente. Ces courbes ne sont pas inédites. Elles sont même similaires à un autre jeu qu’évoque Lemaire dans son thread : Mario Kart 8 Deluxe. Mais voilà, Mario Kart fait partie de ces licences intemporelles par nature, de par l’aspect multijoueur/jeu à faire entre amis. Breath of the Wild est une aventure solo et il est rare de voir un jeu de ce genre présenter de telles stats.
Les ventes mondiales de Zelda Breath of the Wild (sur Switch)
— Oscar Lemaire (@oscarlemaire) February 1, 2021
1,71 million sur le dernier trimestre (-5% par rapport à l'année précédente)
5,11 millions en 2020 (+10% par rapport à 2019)
21,45 millions depuis sa sortie. pic.twitter.com/LISbgeyRwR
Moi-même, j’ai acheté le jeu bien tardivement. Et, avec le recul, j’en suis très heureuse. Car si j’ai eu l’impression de passer à côté de quelque chose d’énorme pendant les semaines qui ont suivi sa sortie, j’ai pu rattraper mon retard, à mon rythme, savourer (encore une fois) cette expérience folle. J’aurais détesté avoir à me plier à des impératifs de temps, de vouloir absolument être au même niveau de progression qu’untel ou untel, de ne pas pouvoir découvrir telle ou telle mécanique par moi-même... L’un des gros points forts de Breath of the Wild, c’est qu’il s’agit d’un jeu qui ne vous donne, à aucun moment, l’impression d’être pris par la main. C’est un jeu où la liberté prime, où votre expérience ne semble pas vraiment être dictée par les développeurs. Et je n’aurais pas aimé qu’elle le soit - dictée - par des joueurs avides de partager leur expérience sans ménagement.
Si, à mon avis, il est peu probable que ce nouveau Zelda parvienne à égaler son prédécesseur en terme de "révolution vidéoludique", il mérite largement qu’on le savoure avec la même liberté et intensité. C’est pourquoi, je ne jouerais pas à TOTK maintenant. Laissons passer la hype, attendons que les sorties se calment et rendez-vous dans quelques mois pour une longue parenthèse qui sera à coup sûr enchantée (même s’il faudra éviter les pauses-déjeuner entre collègues jusque-là écoutez). Car si le jeu vidéo est un loisir qui se partage, on a toujours besoin de quelques petites expériences que l’on se réserve pour soi. Et moi, je compte bien accorder ce traitement de faveur à The Legend of Zelda : Tears of the Kingdom.