Un KO critique

Astérix et Obélix : L’empire du milieu est la cinquième adaptation en prises de vues réelles de la célèbre bande-dessinée franco-belge. Le film réalisé par et avec Guillaume Canet souffre principalement de la comparaison avec le cultissime Mission Cléopâtre d’Alain Chabat qui reste avec ses 14,56 millions d’entrées en salles le onzième plus grand succès de tous les temps sur le territoire français. Cette version 2023 des aventures de “nos ancêtres les gaulois” a pour elle de proposer un scénario original, un casting cinq étoiles, des décors / costumes de premier plan, et c’est à peu près tout.

La critique, qui pointe notamment du doigt le ton et l’humour maladroit, n’a pas été tendre avec la dernière réalisation de Guillaume Canet. Sur Allociné, L’empire du milieu affiche un 2,4/5 qui parle de lui-même, et les spectateurs enfoncent le clou en lui attribuant la note de 1,8/5. Sur RottenTomatoes, cette même audience juge durement le film, preuve en est le 39% qui ne laisse que peu de place au doute. Enfin, les cinéphiles du site Letterboxd accordent leurs violons avec leurs homologues situés aux quatre coins du monde. Asterix & Obélix : The Middle Kingdom de son titre à l’international doit se contenter d’un éloquent 1,9/5.

Une déception commerciale

Tous les voyants étaient pourtant au vert pour Astérix et Obélix : L’empire du milieu. Lors de sa première semaine d’exploitation, le film avec à l’affiche Gilles Lellouche rassemblait pas moins de 1,883 millions de spectateurs dans les salles obscures (en incluant les avant-premières organisées dans toute la France). Malheureusement, le long-métrage produit par Pathé passe dès la troisième semaine sous la barre du million, et de la centaine de milliers dès la sixième. Toujours projeté début mai, mais dans un nombre de cinémas très réduit, l’épopée asiatique d’Astérix séduit moins de 500 spectateurs en treizième semaine.

Astérix et Obélix : L’empire du milieu espérait passer la barre des 6 millions de spectateurs en France afin de rentrer dans ses frais. Pour rappel, cette superproduction “made in France” a coûté la modique somme de 66,2 millions d’euros (hors coûts marketing), soit le huitième film le plus cher de l’histoire du cinéma français. Cette chute de la fréquentation aura eu raison du bonus d’un million d’euros promis à Guillaume Canet en cas de succès au box office. Pour recevoir ledit bonus, le cinéaste français qui a déjà touché 500 mille euros en tant qu’acteur et réalisateur devait convaincre 7 millions de spectateurs français. C’est désormais impossible avec ses "seulement" 4,599 millions d'entrées en France (chiffres du 3 mai 2023).

Nombre d'entrées en France pour Astérix et Obélix L'empire du milieu :

• 01 au 8 février 2023 - 1 882 686
• 08 au 15 février 2023 - 1 009 899
• 15 au 22 février 2023 - 756 276
• 22 février au 1 mars 2023 - 514 149
• 01 au 8 mars 2023 - 190 917
• 08 au 15 mars 2023 - 95 037
• 15 au 22 mars 2023 - 90 453
• 22 au 29 mars 2023 - 33 736
• 29 mars au 5 avril 2023 - 15 108
• 05 au 12 avril 2023 - 4 982
• 12 au 19 avril 2023 - 2 630
• 19 au 26 avril 2023 - 2 270
• 26 avril au 3 mai 2023 - 494
• Total - 4 598 637

Un échec annoncé

Cet échec aussi bien critique que commercial d’Astérix et Obélix : L’empire du milieu était prévisible. Il y a certains signes qui ne trompent pas, et dans le cas du film de Guillaume Canet, ces derniers étaient ô combien nombreux. Il convient de remonter aux origines du projet pour bien comprendre comment un film au budget dépassant les 65 millions d’euros a pu trébucher de la sorte au box office. L’humour est un art parmi les plus subtils qui nécessitent une plume libre pour s’exprimer pleinement. Alain Chabat s'en est ainsi donné à coeur joie sur Astérix et Obélix : Mission Cléopatre avec le résultat que nous lui connaissons.

Malheureusement, Albert Uderzo - le co-créateur de la bande-dessinée avec René Goscinny - a détesté le film au point de tuer dans l'œuf un autre projet destiné au cinéma basé sur l'oeuvre des auteurs français. Ce désamour pour le film d’Alain Chabat pousse désormais les ayants-droits à encadrer la production de toutes les adaptations cinématographiques, notamment la phase d'écriture du scénario… un scénario que les acteurs doivent respecter à la lettre et sous aucun prétexte modifier. Le script concocté par Guillaume Canet, Julien Hervé (Les Guignols de l’info, Les Tuche 4) et Philippe Mechelen (Le doudou, Prête-moi ta main) faisait donc office de “livre saint” sur le tournage du propre aveu du réalisateur.

Le long-métrage pâtit également d’une stratégie “star talents” qui plombe le rythme. Forcé d’enchaîner les caméos à un rythme effréné au détriment des personnages principaux qui deviennent spectateurs de leur propre épopée, L’empire du milieu finit par devenir une succession de sketchs à l’humour plombé par un scénario cadenassé. Même Jonathan Cohen (Bloqués, Hero Corp, La Flamme, Le Flambeau), un acteur réputé pour ses improvisations légendaires, n’est plus que l’ombre de lui-même. Qu’en est-il des rôles principaux ? Si Gilles Lellouche tire son épingle du jeu en interprétant un Obélix sensible et touchant, Guillaume Canet campe un Astérix dépressif qui détonne. Il convient toutefois de rappeler que l’acteur et réalisateur français a finalement accepté d’incarner le gaulois faute de comédien et sous l'impulsion des studios.

Le projet fut également frappé par un événement qui a mis en pause, non seulement le 7e Art, mais également le monde entier entre 2020 et 2021. La pandémie de Covid-19 a eu des conséquences directes sur la production. Astérix et Obélix : L’empire du milieu devait à l’origine être tourné en Chine avant que ce plan ne tombe à l’eau. Guillaume Canet a donc pris la décision (probablement à contrecoeur) de réaliser le film sur le territoire français, notamment dans le Puy-de-Dôme (en Auvergne) ainsi que dans les studios de Bry-sur-Marne et sur la base aérienne 217 (entre Brétigny-sur-Orge et le Plessis-Pâté). Si le scénario voyage de l’Europe à l’Asie en passant par l’Afrique du Nord, le film reste finalement (bien trop) ancré en France, et cela se ressent.

Après la pluie...

… vient le beau temps. Le ciel est certes tombé sur la tête de ce village peuplé d’irréductibles gaulois qui résiste encore et toujours à l’envahisseur, mais un rayon de soleil pourrait percer les sombres nuages qui planent sur eux. L’exploitation à l’international du film devrait permettre au projet de Pathé et Trésor Films d’être enfin rentable. Et si son exploitation en salles ne suffit pas, Astérix et Obélix peut toujours compter sur les ventes physiques (DVD et Blu-ray) pour renflouer les caisses, sans oublier les accords éventuellement signés avec les services SVOD et les diffusions à la télévision. Le destin des gaulois ne se décide pas uniquement au cinéma.