Les chiffres sont tombés : moins de 10% des joueurs de FIFA 23 ont déjà lancé une partie avec une équipe féminine. Et pourtant, on parle d’un jeu qui, pour la première fois chez nous, avait choisi de mettre une femme sur sa jaquette. Mais alors qu’est-ce qui cloche encore ? Pourquoi les femmes sont si peu considérées dans FIFA, mais aussi toutes les simulations sportives ?
Sommaire
- FIFA en fait-il assez ?
- Des femmes dans les jeux de sport, un pari perdu d’avance ?
- Quand le sport masculin prévaut sur le féminin
FIFA en fait-il assez ?
Tout commence avec des statistiques de FIFA 23 et un constat de nos confrères de chez Numerama : une infime minorité des joueurs ont lancé une partie en choisissant une équipe féminine, 7,6 % sur PS5 et 8% sur PS4 pour être précis. D’où viennent ces chiffres ? Et bien tout simplement des trophées du jeu qui cherchent, depuis 2015, à récompenser les joueurs s’étant essayé aux équipes féminines. Alors certes, on note une amélioration par rapport à FIFA 22 et FIFA 21, mais comparé à la communication faite autour de ces dernières, cela paraît bien peu. Pour rappel, avec FIFA 23, EA a décidé d’enfin mettre une femme sur la jaquette européenne du jeu, avec Sam Kerr aux côtés de Kylian Mbappé. Ajoutez à ça une communication particulièrement axée autour de la ligue féminine et vous obtenez toutes les raisons du monde de penser que cette dernière devrait gagner en popularité en jeu, non ?
Et bien visiblement ce n’est pas si simple ! Qui l’eut cru, il ne suffit pas de mettre une belle couche de peinture sur la devanture pour vraiment changer la donne. Cette grosse communication fait en effet un peu office de cache-misère pour un traitement qui reste différencié entre le football masculin et féminin. Les équipes ont beau être plus nombreuses, le style de jeu n’est pas le même (moins rythmé d’après certains joueurs) et peut donc rebuter les joueurs habitués. Le système de sélection des équipes pose également problème. Si vous voulez jouer une équipe féminine, votre adversaire devra forcément choisir une équipe féminine également, et ça, ça n'aide pas. Mais là où le bât blesse réellement, c’est bien sûr du côté du mode FUT. C’est sur ce dernier qu’EA mise presque tout aujourd’hui et il ne comprend aucune joueuse. Forcément, ça n'incite pas les joueurs à s’intéresser aux joueuses féminines et ça a plus d’effet qu’un maigre trophée (pour un jeu que seulement 5% des joueurs platine cela dit en passant).
Je me souviens que lorsque FIFA 16 est sorti, la nouveauté était que l'on pouvait jouer avec des équipes féminines. Sur la jaquette française de FIFA 16, ce n'était absolument pas mis en avant. On voyait deux hommes...
Fanny Lignon, maîtresse de conférences à l'École supérieure du professorat et de l'éducation de Lyon et spécialiste des représentations du masculin et du féminin dans les jeux vidéo
Mais il faut dire que le jeu de simulation footballistique n’est pas non plus le plus mauvais élève, loin de là. Certes, le titre d’EA a fait un départ plutôt tardif sur cette course. Ce n'est qu'en 2015 que les équipes féminines ont fait leur apparition en jeu. À titre de comparaison, la franchise UFC par exemple propose de jouer des combattantes féminines depuis 2014. Et puis, cette intégration a été très progressive, avec d'abord l'ajout uniquement des équipes nationales (pas vraiment les plus utilisées en jeu) puis de la finale de la Coupe du monde féminine dans FIFA 19 (contre l'entièreté de la compétition masculine). Le chemin a donc été long et tardif, mais aujourd'hui FIFA fait clairement partie des précurseurs. Dans un monde où tous les jeux de sport mettent petit à petit le pied à l’étrier (NHL, Football Manager, NBA 2K…), FIFA fait partie de ceux qui ont un coup d’avance.
Comme on l'a montré plus haut, il reste encore des points importants à traiter, mais l’effort reste à saluer, réellement. La communication et l’implication d’EA Sports en général à ce niveau fait du bien. Et pourtant, malgré des efforts toujours plus importants, les choses ne changent pas, voire même empirent. Les joueurs de FIFA jouent moins qu’avant avec les équipes féminines. Sur FIFA 16, 20 % des joueurs PlayStation et 17% des joueurs Xbox avaient complété le fameux trophée dont nous parlions plus haut. Alors, si ce n'est pas qu'une histoire d'ajouts et de communication, qu’est-ce qui cloche ?
Des femmes dans les jeux de sport, un pari perdu d’avance ?
Avec FIFA 16, il y a eu un certain engouement pour cette nouveauté qu'étaient les équipes féminines, d’où ce pic assez marqué. Si par la suite cela n’a pas pris chez les joueurs, c’est assez logique quand on y pense et ça relève un peu du fonctionnement même de FIFA. Les simulations sportives en général ont bien du mal à mettre sur un pied d’égalité les équipes masculines et féminines, notamment à cause de la sacro-sainte cohérence. Mixer des équipes non-mixtes, ça ne passe pas et en un sens cela s’entend… sauf quand on permet à côté de mixer des divisions et niveaux différents. Ça vaut pour FIFA mais également pour UFC et consorts. Et s’il faut choisir, les joueurs vont plutôt opter pour les équipes masculines, qui leur parlent plus pour diverses raisons. À commencer par une toute simple : la majorité des joueurs de jeu de sport sont des hommes et s’identifient naturellement plus facilement à des hommes (seulement 2% de joueuses pratiquent des jeux de sport selon une enquête de Quantic Foundry de 2017).
Outre la différenciation homme/femme, les clubs féminins souffrent également d'une tendance plus générale : la suprématie de certains clubs. Hors période de Coupe du Monde, les joueurs jettent plutôt leur dévolu sur les clubs que les équipes nationales, qui plus est des clubs populaires comme le Barça, Manchester United ou encore le PSG. Ce dernier est d'ailleurs le club le plus joué depuis FIFA 21. Il serait intéressant de voir combien de joueurs choisissent de plus petits clubs, même s'il y a fort à parier qu'ils soient une petite minorité. Il y a principalement deux raisons à cela, et la première touche directement le gameplay des FIFA qui a grandement évolué au fil des années. Les notes des clubs et des joueurs ont pris une importance de plus en plus grande épisode après épisode. Si bien qu’aujourd’hui, il est bien difficile de rivaliser si on n’opte pas pour les plus grosses équipes. Forcément, ça homogénéise l'expérience de jeu parce que jamais vous ne rattraperez un Kylian en pleine lancée avec un joueur de Ligue 2. Mbappé est d'ailleurs le meilleur buteur du jeu et clairement l'un des joueurs préférés, non seulement parce qu'il est fort mais également parce qu'il est extrêmement populaire.
Et c'est là qu'arrive la deuxième raison : la starification de certains joueurs/clubs. Parce que tout simplement, les joueurs de FIFA jouent justement à FIFA pour voir s'affronter les meilleures équipes, recréer des classicos d'anthologie ou encore marquer un but avec Mbappé. Pour la plupart des gens, l'intérêt des FIFA réside presque uniquement dans le fait de jouer avec les grands clubs ou de constituer une équipe de rêve avec Haaland, Benzema, Neymar, Ronaldo et les autres. Rares sont les amis qui débarquent à la maison pour une partie et qui lâchent "moi c'est KV Ostende ou rien" (à moins d'être originaire de là-bas ou d'aimer le goût du risque). Et malgré leurs bonnes notes, ç fait moins rêver d'ouvrir un pack avec Min Son, Mane ou encore Casemiro car ils sont moins populaires. Et forcément, ça vaut aussi pour les équipes et joueuses féminines qui ne jouissent pas de la même couverture médiatique que les grandes stars du football masculin…
Quand le sport masculin prévaut sur le féminin
À la question "pourquoi ne pas donner plus de place aux femmes dans vos jeux ?", les éditeurs ont souvent répondu que cela n'était pas viable économiquement parlant. En gros, ce serait beaucoup d’investissement pour peu de retours. Et si c'est parfois un peu facile de sortir cette excuse à tout-va, il faut avouer qu'il y a une part de vérité. Notre société n’est pas franchement prête à mettre le sport féminin et masculin sur un pied d’égalité, et ça vaut aussi pour le football. Ce n’est pas pour rien si, sur le plateau de Quotidien, le parallèle a été immédiatement dressé entre le bas pourcentage que nous évoquions en début d’article et le sport en général. Et ça, c’est la Ministre des Sports et des Jeux olympiques et paralympiques, Amélie Oudéa-Castéra, qui le dit. Elle est d’ailleurs en train d’établir des pistes pour mieux accompagner et mettre en avant les sportives.
À cause de la couverture limitée du sport féminin dans les médias traditionnels, les autres industries sont moins enclines à le valoriser
La chercheuse Mia Consalvo dans Sport VideoGames
“L’histoire des sportives c’est l’histoire d’un combat , c’est l’histoire d’un combat permanent” avance Cécile Ottogalli-Mazzacavallo, experte scientifique sur les questions Femmes et Sports, dans le documentaire Toutes Musclées. Ce dernier revient justement sur cette histoire pleine d’obstacles visant à éloigner les femmes de la plupart des sports. Épreuves interdites pour les femmes, contrôles de féminité, retours en arrière constants… Forcément, ce chemin tortueux a mené à une différenciation très marquée entre le sport masculin et féminin. Si le football est aujourd’hui le sport féminin le mieux traité (44% du “sport féminin” diffusé) , il en fait tout de même les frais. Il y a une différence de traitement évidente entre les équipes féminines et masculines, que ce soit en termes de revenus, de sponsoring ou de diffusion.
Mais heureusement, il y a du mieux et ça devrait logiquement continuer sur cette lancée. En effet, selon médiamétrie, le sport féminin “est de plus en plus diffusé et regardé à la télévision” (une audience presque doublée pour l’Euro de Football féminin entre 2017 et 2022) et, selon le magazine Causette cette fois-ci, 72% des Français aimeraient qu’il y ait plus de sport féminin à la télé. Les mentalités évoluent doucement et cela devrait logiquement aider un peu FIFA dans sa démarche… tant que FIFA continue également à chercher à les faire évoluer à son échelle. Dans cette histoire, c’est du donnant-donnant.
Petite, je ne savais même pas que le football féminin existait. Les jeux de foot n'étaient que masculins, et je ne me posais pas la question.
Rose pour korii.
Du coup, c’est quoi le bilan ? Et bien, tant que le football féminin n’aura pas gagné en popularité auprès du grand public, il restera toujours un choix s’adressant à une minorité des joueurs FIFA. Normaliser le sport féminin est primordial pour le voir prendre une part plus importante dans les jeux, autant d’un point de vue des développeurs que des joueurs. Et cette normalisation, elle passe non seulement par tout un travail législatif et éducatif, mais également culturel. FIFA n’est pas juste un jeu qui suit la tendance, il la crée. Il s’agit du produit culturel qui se vend le plus chaque année en France et il joue donc un rôle important dans cette normalisation, tout en en étant dépendant. Alors oui, EA Sports et les autres ne pourront pas faire de miracle, mais ils ont un rôle à jouer. Les rouages sont nombreux dans cette histoire et il ne suffit pas que le plus gros bouge pour que le changement soit enfin amorcé. Ce n’est qu’en s’activant un peu tous ensemble que tous ces rouages vont pouvoir créer une réelle dynamique en faveur du sport féminin, aussi bien dans la vie qu’en jeu. “Les images qui nous entourent influencent dans un sens comme dans l'autre. Elles peuvent donc aider à faire bouger les lignes” affirme la chercheuse Fanny Lignon. Et pour y parvenir, FIFA et les autres ont encore du travail…