Lorsque Nintendo a révélé l'arrivée – très attendue ! – de la Game Boy sous forme d'application pour les abonnés du Nintendo Switch Online, lors de son dernier Nintendo Direct, nous avons connu un léger ascenseur émotionnel : non inclus dans le premier catalogue disponible dans la foulée de la présentation, les deux Zelda "Oracle" sortis sur Game Boy Color en 2001 faisaient bien partie des titres à venir ultérieurement. Ouf, nous allions enfin pouvoir jouer à The Legend of Zelda : Oracle of Ages et à The Legend of Zelda : Oracle of Seasons un jour sur Nintendo Switch ! À défaut de remakes espérés depuis de longues années, surtout depuis la sortie de The Legend of Zelda : Link's Awakening en 2019, ces deux épisodes très appréciés des fans vont enfin faire leur retour. Puisqu'ils fêtent aujourd'hui leur anniversaire, nous vous proposons de retracer leur parcours singulier, et de vous expliquer pourquoi ils méritent autant leur excellente réputation.

Quand Nintendo ose confier une de ses licences fétiches…

Ce n'est un secret pour personne : Nintendo n'a pas tendance à laisser des sociétés tierces exploiter les droits de ses propriétés intellectuelles les plus lucratives. À la fin des années 1990, et ce même si la firme fait mine d'ignorer ce triste événement, personne n'oublie les adaptations catastrophiques de Mario et surtout de Zelda sur le tristement célèbre CD-i de Philips au milieu de la décennie. Toutefois, le constructeur n'est pas complètement fermé à l'idée de laisser des développeurs tiers concevoir des jeux issus de ses franchises majeures… du moment que ces derniers sont publiés sur ses propres machines. C'est dans ce contexte que naît une collaboration avec Capcom, éditeur à la réputation de toute façon excellente. Elle s'avérera plutôt fructueuse puisque les créateurs de Street Fighter réaliseront plusieurs épisodes de The Legend of Zelda, exclusivement sur consoles portables, au début des années 2000, notamment à travers le studio Flagship.

Ce dernier, dirigé par Yoshiki Okamoto, avait pour ambition de proposer un remake du tout premier The Legend of Zelda à destination de la Game Boy Color, un projet qui faisait alors plus que sens ; on rappellera que Nintendo avait en effet conçu et publié un certain Super Mario Bros. Deluxe, portage de l'autre hit légendaire de la NES sur sa toute première console portable en couleurs. L'idée de M. Okamoto consistait à exploiter ce remake comme base pour un jeu inédit, et pour ce faire, il ira directement solliciter l'aide de Shigeru Miyamoto (créateur de la licence et réalisateur du premier épisode). Une collaboration entre Nintendo et Capcom, studio avec lequel les relations ont toujours été excellentes, débutera alors, avec pour objectif la conception de plusieurs jeux Zelda, entre révisions d'anciens titres et nouvelles créations inédites. Après pas mal de difficultés initiales, Flagship partira sur un projet très ambitieux de "trilogie de la Triforce", basée sur trois jeux liés entre eux. Chacun aurait ainsi été associé à une des trois déesses de la mythologie Zelda (Nayru, Din et Farore) ainsi qu'aux trois parties de la légendaire Triforce (courage, force et sagresse).

Parfois deux sans trois

C'est lors de l'édition 1999 du Nintendo Space World que sera pour la première fois présenté un des jeux de cette trilogie pour le moins ambitieuse. Il s'intitule à l'époque The Legend of Zelda : The Acorn of the Mystery Tree – Tale of Power (littéralement "Le gland de l'arbre mystérieux – Le conte du pouvoir", NDLR). Le sous-titre "Tale of Power" est bien sûr lié à la Triforce de la Force, et les deux autres jeux auront pour sous-titres "Tale of Wisdom" (pour la sagesse) et "Tale of Courage" (vous aurez compris). Vu que Link y manie un objet appelé Sceptre des Saisons, il s'agit bien entendu d'une démo de Oracle of Seasons, qui ne s'appelle pas encore ainsi, et dont le cœur du gameplay repose sur les changements de saisons sur la carte du jeu, le héros pouvant modifier à sa guise l'environnement de cette dernière en fonction des quatre périodes de l'année. Il s'agit, ni plus ni moins, du concept qui sera utilisé dans le jeu final.

De son côté, "Tale of Courage" avait pour objectif d'exploiter des énigmes temporelles, basées sur des changements d'époque où Link traverserait les âges (d'où le titre définitif, Oracle of Ages, que nous lui connaissons). Il ne fut toutefois pas présenté lors de cet événement, pas plus que "Tale of Wisdom", aux énigmes axées sur le thème des couleurs, jouant sur les nouvelles fonctionnalités de la GBC. Les titres furent ensuite modifiés pour "Chapter of" à la place de "Tale of" au Japon, et " The Legend of Zelda: Mystical Seed of Power/Wisdom/Courage" ("la graine mystique" en français, NDLR) sur le continent américain. L'objectif était de lier les trois jeux entre eux, afin que les actions du joueur sur l'un d'entre eux aient des conséquences sur les autres. Une ambition bien trop élevée pour l'époque, surtout que le projet initial était d'utiliser un adaptateur externe permettant de transférer les données du jeu.

La complexité du défi, ainsi que la nécessité d'investir dans un adaptateur en plus de trois jeux différents, entraîna l'annulation du troisième jeu, sur suggestion de M. Miyamoto. Il y aura quand même deux jeux liés l'un à l'autre, par un système de mots de passe, permettant d'enchaîner les deux titres dans l'ordre souhaité tout en débloquant au début du second des contenus liés à l'expérience du premier, le code à entrer étant déverrouillé en terminant le jeu. Ce sont ceux liés à la Triforce de la Sagesse et à celle de la Force (et aux déesses Din et Nayru) qui seront conservés, et rebaptisés "Oracle of Ages" et "Oracle of Seasons" en Occident. Suite à cela, les fans spéculeront sur ce qu'aurait pu être un "Oracle of Secrets" lié à la déesse Farore, qui jouera un rôle mineur (mais commun) aux deux titres publiés. D'une certaine façon, elle fera le lien entre les deux jeux, dont la publication sera très tardive (27 février 2001) et contemporaine de la Game Boy Advance. Des éléments exploitant les capacités de la console furent ajoutés, et déblocables exclusivement en y jouant sur cette machine, retardant encore leur développement.

Des jeux plus complexes de bout en bout

Même s'ils sortiront en toute fin de vie de la Game Boy Color, et disposent d'une compatibilité spécifique avec la Game Boy Advance, les deux "Oracle" ressembleront beaucoup au seul Zelda sorti sur la machine à ses débuts : The Legend of Zelda : Link's Awakening DX, portage colorisé du jeu culte sorti sur Game Boy en 1993. Ils en réutilisent en effet le moteur et les assets graphiques en général, mais ne réexploiteront que peu de thèmes musicaux et aucun autre personnage que Link. En fait, ils disposeront de leur propre identité, et mieux que ça : ils se distingueront largement de lui, mais également entre eux. Extrêmement bien notés par la presse à leur sortie, les deux jeux seront loués en grande partie pour leur profondeur de gameplay et l'ingéniosité de la connexion qui les lie. Bien que non conçus par la maison-mère, ils n'ont plus ou moins rien à envier aux Zelda réalisés par Nintendo, ce qui est probablement leur plus grande réussite. Cependant, et c'est là qu'ils se démarquent le plus : ils sont bien plus longs et plus complexes que Link's Awakening.

Alors que la philosophie des deux jeux diffère quelque peu ("Ages" est davantage orienté énigmes et réflexion, quant "Seasons" se veut plutôt porté sur l'action et les combats), ils constituent un challenge plus élevé que leur prédécesseur sur Game Boy (Color ou pas) et d'une manière générale, ce sont des Zelda bien plus denses. L'absence de la "patte" Nintendo, rendant ses jeux très accessibles dans l'ensemble, se ressent parfois, sans que cela ne pose vraiment de problème : on a juste le sentiment de jouer à des épisodes où l'on est moins pris par la main, et dont la complétion à 100% sera un véritable enfer si l'on y inclut la fameuse quête des anneaux. Une problématique que l'on retrouvera, surtout sur ce second aspect, dans un certain The Legend of Zelda : The Minish Cap fin 2004 sur GBA… lui aussi développé par Flagship (tiens donc !).

Au niveau des Zelda de Nintendo ?

Cependant, la véritable question que l'on pourrait se poser, c'est bel et bien celle de la place des "Oracle" au sein de la grande histoire de The Legend of Zelda. La réponse est toutefois très simple : ces deux épisodes sont entièrement canoniques et inclus dans la célèbre chronologie de la licence, si décriée (notamment par l'auteur de cet article, qui ne lui accorde que très peu de crédit). Selon cette dernière, ils font partie de la branche du déclin d'Hyrule et de la résurrection de Ganon, consécutive à la défaite du Héros au terme des événements de The Legend of Zelda : Ocarina of Time. On peut néanmoins partir du principe, admis par pas mal de joueurs et partagé par votre serviteur, que cette fichue timeline n'a aucune importance et que son seul mérite ici est de reconnaître les deux "Oracle" comme des épisodes parfaitement canoniques. Il suffit, de toute façon, de jouer aux deux jeux pour se rendre compte qu'ils ont absolument tout de "vrais Zelda", la supervision globale de leur développement par Nintendo ne laissant aucune place au doute.

L'expérience globale des deux jeux, qu'il convient d'enchaîner l'un après l'autre (peu importe l'ordre, même si jouer à "Ages" en premier rendra "Seasons" peut-être moins compliqué côté combats), est en effet immensément satisfaisante. On peut lancer n'importe lequel de ces Zelda sans jamais avoir l'impression qu'ils n'ont pas été développés par Nintendo, de la qualité du gameplay (et des innombrables idées de game design ingénieuses en permanence) à celle de sa bande originale. Composée par Minako Adachi, arrivée chez Game Freak en 2009 et qui travaille exclusivement sur la série Pokémon depuis, elle n'a dans l'ensemble pas grand-chose à envier aux compositions de Kōji Kondō et de ses successeurs chez Nintendo. Les musiques des deux "Oracle" symbolisent assez bien la qualité générale de ces deux opus en comparaison des autres jeux Zelda : ils sont vraiment totalement à leur hauteur et n'ont pas grand-chose à leur envier. On ne pouvait à la rigueur que pointer du doigt une localisation française souvent moyenne et quelques longueurs, pas de quoi fouetter un chat donc.

Les "Oracle" sur Nintendo Switch, un rêve devenu réalité ?

S'ils étaient bien évidemment jouables sur les deux premières modèles de GBA grâce à la rétrocompatibilité, il faudra attendre leur arrivée sur l'eShop de la Nintendo 3DS de longues années plus tard pour enfin voir les deux premiers Zelda de Flagship refaire l'actualité. Puis vint la Switch, une machine pas partie initialement pour accueillir une quelconque forme de "console virtuelle" Game Boy (et Game Boy Color par association). En ressuscitant le fabuleux The Legend of Zelda : Link's Awakening en 2019 avec un remake aussi inatten du qu'enchanteur, la console hybride de Nintendo avait des allures de terre d'accueil idéale pour enfin revisiter les deux "Oracle". Après tout, le développeur Grezzo, spécialisé dans les portages et remasters pour le constructeur kyotoïte, aurait pu être le client idéal pour s'occuper de faire revenir les fameux "Zelda de Capcom" sur le devant de la scène !

Finalement, alors qu'on ne l'attendait presque plus, la Game Boy a fini par débarquer sur Nintendo Switch en ce début d'année 2023. Avec elle, un catalogue de jeux comprenant des titres de la première gamme 100% monochrome, mais aussi et surtout, des jeux Game Boy Color. Si leur date de sortie n'est pas encore connue, et qu'ils manqueront hélas la date de leur anniversaire (qui aurait pourtant été idéale pour la célébrer dignement), ils devraient rejoindre la liste des jeux GB/GBC de l'application dans les mois à suivre. Nous ne saurions que trop vous recommander ce qui constituera assurément le "must" de cette application rétro sur Switch, tant ces deux Zelda sont excellents. À défaut de les voir totalement recréés de zéro via des remakes modernes comme Link's Awakening, ils demeurent deux perles rétro un peu trop méconnues en comparaison des autres hits légendaires de la franchise, et leur retour est une excellente nouvelle !

Les deux "Oracle" arriveront bientôt sur l'application Game Boy du Nintendo Switch Online. Reste à savoir quand !

Moins connus que le remake colorisé de Link's Awakening sorti sur la même console, les deux Zelda "Oracle" parus sur Game Boy Color en 2001 font pourtant partie de ces innombrables indispensables comme la célèbre licence n'a cessé d'en produire. Même en confiant la responsabilité de leur développement à un studio tiers, Nintendo avait livré à l'époque deux copies complémentaires de qualité égale et très satisfaisante, dont le retour était grandement attendu. Bien qu'il aurait été encore plus agréable de les voir revisités de la même manière que l'autre Zelda sorti sur GBC, on appréciera grandement de les voir revenir sur Nintendo Switch, et ce même si cela se fera après leur anniversaire, une date à côté de laquelle nous refusions de passer ! Et vous, quels sont vos meilleurs souvenirs sur ces "Oracle" ? Les considérez-vous comme d'excellents Zelda égaux à ceux conçus par Nintendo ? N'hésitez pas à nous les raconter dans les commentaires !