Historiquement, qui dit The Legend of Zelda dit (très) grande qualité. La saga née en 1986 n'a pour ainsi dire jamais faibli et les rares jeux décevants estampillés Zelda sont systématiquement des spin-off. Pourtant, pour encore pas mal de joueurs, un épisode fait figure d'exception, comme une sorte de vilain petit canard de la série, le mal-aimé Zelda II: The Adventure of Link.
Est-ce parce que son titre ne commence pas, contrairement à tous les autres opus de cette brillante saga, par "The Legend of Zelda", que le deuxième épisode de la franchise est à part dans sa riche histoire ? Sorti le 14 janvier 1987, Zelda II : The Adventure of Link fête aujourd'hui son anniversaire, et à n'en point douter, ce dernier ne sera pas aussi célébré dignement que celui des deux titres qui l'entourent chronologiquement. En effet, le second Zelda de la NES, s'il n'est globalement considéré par personne comme un mauvais jeu (ni même un mauvais Zelda), jouit d'une triste réputation de titre démesurément difficile et peu accueillant, que plus personne n'ose recommander et à qui les fans de retrogaming n'osent plus vraiment se frotter. Permettez-moi de vous expliquer pour quelles raisons ils ont tort, et de remettre ce Zelda d'exception à sa véritable place.
Cet article est un billet d’opinion, il est par nature subjectif. L'avis de l'auteur est personnel et n'est pas représentatif de celui du reste de la rédaction de JV. D'ailleurs, le test rétro de Zelda II sur JV fut proposé par l'auteur de ces lignes quelques semaines avant son arrivée au sein de l'équipe, afin de déjà marquer son territoire.
Sommaire
- Pourquoi faire simple…
- … quand on peut faire compliqué ?
- Le goût du risque
- L'âme sombre de la licence
- Un titre voulu comme tel mais désavoué
- Aux origines du lore
- I am not an error
- Harder, better, faster, stronger
Pourquoi faire simple…
Dans les années 1980, à l'époque où Nintendo règne en maître sur le marché des consoles de salon grâce à une Famicom à l'accueil dithyrambique, le développement des jeux vidéo est relativement court, et ne nécessite clairement pas la même quantité d'employé(e)s que de nos jours. Il est donc assez fréquent de voir la suite d'un titre ayant rencontré un grand succès être publiée seulement quelques mois après l'œuvre originale, surtout lorsque beaucoup d'éléments de game design sont réutilisés pour faciliter les choses. Ainsi, si Super Mario Bros. sort le 13 septembre 1985 au Japon, sa suite directe paraît le 3 juin 1986 sur le même territoire, soit moins de 9 mois après. Du coup, une autre jeune saga qui vient tout juste de démarrer en fanfare, avec The Legend of Zelda (sorti le 21 février 1986), voit aussi l'héritier direct du tout premier opus paraître un peu moins d'un an après : pour être exact, 10 mois et 24 jours le séparent de ce que l'on imagine être baptisé "The Legend of Zelda 2", un jeu que l'on n'imagine pas un seul instant prendre une direction aussi radicalement opposée de son aîné.
Au Japon, c'est d'ailleurs le titre officiel du jeu, écrit en anglais sur le visuel de la version Famicom Disk System qui paraît le 14 janvier 1987, sous-titrée "リンクの冒険" – retranscrit en "Rinku no Bōken", que l'on peut grossièrement traduire en "L'aventure de Link". La suite du premier Zelda, au Japon, a donc pour titre officiel "The Legend of Zelda 2: The Adventure of Link", ce qui sera légèrement remanié en occident pour devenir "Zelda II: The Adventure of Link". Cela peut sembler anecdotique, mais le design des boîtes américaines et européennes mettra très en avant le nom du protagoniste, reprenant la typologie de celle de The Legend of Zelda… et cela ne se reproduira plus jamais par la suite en plus de 35 ans, le titre "The Legend of Zelda" ici absent revenant sur l'intégralité des titres de la licence. Dès son baptême, celui que l'on appellera toujours "Zelda 2" semble déjà se distinguer et ne pas trop vouloir opter pour la continuité, là où Super Mario Bros. 2 est une suite directe évidente du hit de 1985. Dans les deux cas cependant, l'accent est clairement mis sur l'action : la version japonaise ne montre plus un Link contemplatif mais prêt au combat, et la version occidentale se pare d'une épée plutôt que d'un blason orné d'une clé, d'un cœur et d'une créature similaire à un lion.
… quand on peut faire compliqué ?
En 1986, The Legend of Zelda avait remporté un immense succès d'estime et constituait un des premiers grands "game changers" de l'histoire d'une industrie encore très jeune, et au sein de laquelle il était presque "facile" de devenir une référence influente. D'une certaine façon, un esprit visionnaire accompagné d'une équipe talentueuse était en mesure de marquer son temps, et c'est clairement ainsi que l'on pourrait synthétiser le début de carrière de Shigeru Miyamoto, créateur des univers de Mario et de Zelda. Il y a 35 ans, personne ne se posait la question de ce qu'était un open world ni à quel point un jeu vidéo pouvait constituer une révolution grâce à une construction libre de ce type, mais c'est clairement ce type de coup de génie intemporel que le génial concepteur et sa petite équipe parvinrent à réaliser. Partant de là, il aurait pu sembler logique de se remettre immédiatement au travail pour concevoir un "The Legend of Zelda 2" sous forme de suite facile et évidente… mais c'est tout le contraire qui se produira. Et tant mieux !
Les retours concernant Super Mario Bros. 2 (*) furent en effet moins élogieux que pour son illustre aîné. La raison ? Une suite bien trop proche de l'original en terme de graphismes et de level design global. À une époque où on ne parlait encore pas de DLC, le titre ressemblait trop à une simple extension de son prédécesseur qu'à un véritable "épisode 2, ce qui déplut aux joueurs. Toutefois, à aucun moment, le challenge presque abusif proposé par ce "SMB2" parfois punitif ne fut pointé du doigt, pas même par la presse spécialisée ; il n'est pas à exclure que ce regain de difficulté soudain ait joué dans le développement de The Adventure of Link, dont la direction fut imposée très rapidement à M. Miyamoto en se basant sur l'expérience de Super Mario Bros. 2. À la surprise générale, Nintendo exigea en effet que "Zelda 2" change radicalement du premier opus, afin de ne pas reproduire la relative erreur commise par la licence sœur. C'est ainsi que Nintendo R&D4 se mit à l'ouvrage pour produire quelque chose de différent.
(*) Sorti exclusivement au Japon, ce titre sera découvert par les Américains et les Européens en 1993 dans la compilation de remakes Super Mario All-Stars sous le nom "The Lost Levels", afin de le différencier du Super Mario Bros. 2 occidental, paru lui en 1988 initialement… et réédité au Japon en 1992 sous le titre "Super Mario USA". J'espère que vous avez bien suivi.
Le goût du risque
Avec un seul épisode, Nintendo a défini l'âme de ce qu'est The Legend of Zelda, et a d'ores et déjà établi des fondamentaux auxquels la firme ne touchera pas. Toutefois, sa philosophie est claire et nette dès qu'il est question de "Zelda 2" : le concept doit évoluer, et Nintendo va se lancer dans une sorte de pot-pourri basé sur les trois titres ayant le mieux marché au Japon à l'époque : les premiers Super Mario et Zelda bien sûr, mais aussi Dragon Quest, pionnier du J-RPG, le jeu de rôle à la japonaise. Bien sûr, le système d'exploration en vue du dessus à travers une carte connectant de nombreux lieux stratégiques (donjons, cavernes, etc.) se doit d'être conservé, mais les phases d'action se feront de côté, de manière plus nerveuse, avec une mécanique de type platformer, et la progression sera pensée autour d'éléments de jeu de rôle (principalement à travers un système de niveaux d'expérience et de magies à utiliser). Ainsi, dès son second épisode, The Legend of Zelda bouscule déjà la majorité de ses propres codes.
Avec les nombreuses prises de risque qu'il se permet, The Adventure of Link ne s'expose qu'à deux destinées possibles : révolutionner encore un peu plus le genre du jeu d'action-aventure, ou bien se planter en beauté, et rester tristement sans suite. De façon assez surprenante, c'est dans une espèce d'entre-deux que "Zelda 2" va finalement se situer, entre succès critique et commercial… et aussi relatif échec au niveau de son héritage. Bien accueilli par la presse – y compris en France où le magazine Tilt l'encensera – le jeu se vend presque autant que son grand frère au Japon, et un peu moins bien en Occident même si ses ventes y restent honorables (3 millions contre 5 pour The Legend of Zelda). Cependant, il ne satisfera pas ses créateurs, notamment M. Miyamoto qui l'évoquera régulièrement avec un léger embarras, comme s'il s'agissait du vilain petit canard de la licence. Nintendo mettra ensuite de longues années à concevoir The Legend of Zelda : A Link to the Past, plus communément appelé "Zelda 3", qui fera office de chef-d'œuvre de la Super Nintendo tout en revenant aux bases établies en 1986 par le premier volet de la licence.
Presque désavoué en interne, The Adventure of Link ne se trouvera ainsi jamais de successeur spirituel chez le constructeur japonais, qui préférera capitaliser sur une formule plus classique en vue du dessus et sans phases d'action vue de côté. Cette vision sera déclinée ensuite sur consoles portables (avec notamment l'exceptionnel The Legend of Zelda : Link's Awakening puis en 3D à partir de The Legend of Zelda : Ocarina of Time, aboutissement absolu d'un ensemble de mécaniques rodées pendant une décennie entière, et à laquelle "Zelda 2" ne semble pas appartenir. Même le sinistre The Legend of Zelda : Majora's Mask, souvent un peu marginalisé, a repris le moteur et les mécaniques de son aîné en dépit d'un propos d'ensemble situé aux antipodes, preuve que la maison-mère ne voulait plus jamais faire sortir une de ses licences phares des rails sur lesquels elle roulait si bien. L'audacieux The Legend of Zelda : The Wind Waker, en 2002, n'en sera que la plus parfaite illustration : la prise de risque majeure sera d'ordre esthétique, là où l'ensemble du level design reste somme toute assez conforme aux canons définis. Il faudra en fait attendre, 30 ans après The Adventure of Link, le tour de force majeur que constitua The Legend of Zelda : Breath of the Wild pour enfin à nouveau prendre des risques sur le fond.
L'âme sombre de la licence
En plus d'avoir considérablement revu en profondeur ses bases de gameplay, The Adventure of Link présente ce que beaucoup considèrent, et de plus en plus au fil des années, comme un défaut majeur : c'est un jeu difficile, exigeant, voire carrément punitif, presque aux antipodes des principes d'une série "tous publics" comme The Legend of Zelda. Un constat pour le moins surprenant alors que les productions mues par une telle philosophie de jeu sont portées aux nues depuis une décennie entière, a fortiori lorsque certaines d'entre elles se revendiquent notamment inspirées par ce Zelda mal-aimé, comme un Hollow Knight (petit chef-d'œuvre moderne, n'ayons pas peur des mots). L'apprentissage par l'échec, devenu très en vogue depuis une décennie entière grâce aux jeux de From Software au point d'avoir donné un nom à un sous-genre (les fameux "Souls-like"), trouve d'ailleurs en partie ses origines dans un titre aussi retors que "Zelda 2". À titre personnel, je pense même que mon immense respect pour ce titre injustement boudé a sa part de responsabilité dans mon appréciation d'un Bloodborne, titre qui fut ma porte d'entrée vers l'univers fascinant conçu par Hidetaka Miyazaki.
En donnant ses lettres de noblesses au concept d'action-RPG à une époque où on n'en parle pas encore comme tel, The Adventure of Link s'est démarqué du jeu de rôle traditionnel où le rythme de l'exploration est brisé par des phases de combat au tour par tour, et où la stratégie pure prime sur le dynamisme de l'action. Tirant parti de son expertise déjà impressionnante du jeu de plate-forme grâce aux deux premiers Super Mario Bros. Nintendo rend les phases d'action en vue de côté particulièrement jouissives et précises, grandement aidées par une fluidité bien supérieure à celle de Metroid, autre jeune franchise née durant l'été 1986 et avec qui "Zelda 2" partage plus qu'on ne l'imagine. Là où le premier volet proposait une exploration quasi intégralement libre, sa suite impose davantage de trouver des objets ou des sorts permettant de progresser et de débloquer d'autres zones, se revendiquant également avant l'heure du style "metroidvania", un genre dont les deux séries "parentes" sont par ailleurs nées dans les 6 mois ayant précédé The Adventure of Link.
Un titre voulu comme tel mais désavoué
Néanmoins, il est vrai que Nintendo aurait tout à fait pu se contenter de transformer l'approche de base de The Legend of Zelda tout en rendant sa nouvelle vision accueillante. Résolument difficile, le deuxième Zelda de l'histoire a été pensé comme tel, quitte à le doter d'un étrange système de vies supplémentaires très arcade qui ne sied pas à ce type de jeu (et qui constitue un de ses rares défauts communément admis, même par ses plus grands fans). Tadashi Sugiyama, jeune co-réalisateur de 27 ans qui n'a travaillé jusqu'ici que sur Ice Climber, admettra près de 30 ans plus tard que les jeux des années 1980 manquaient de contenu, que les rendre difficiles en prolongeait la durée de vie, et que "Zelda 2" fut conçu sur cette réflexion. Il ajoutera qu'il avait participé aux phases de débug avec les autres concepteurs, afin d'offrir un niveau de challenge le plus proche de ce qu'ils avaient initialement envisagé, basé sur des ennemis résistants et aux patterns variés, et des donjons complexes et très labyrinthiques – une composante très intéressante, et à laquelle l'absence de toute forme de carte n'arrange absolument rien.
Clairement pensé pour les hardcore gamers, ce que confirmera la communication de Nintendo of America présentant la NES comme "un appareil électronique plutôt qu'un jouet", The Adventure of Link est une œuvre infiniment plus complexe et intelligente que son prédécesseur dans de nombreux angles d'approche. Être largué(e) dans le monde ouvert du premier Zelda pousse à l'exploration et à l'aventure, là où se lancer dans l'Hyrule en ruines de sa suite directe implique d'emblée une certaine notion de survie en environnement (très) hostile. Le système de combat est étonnamment précis pour l'époque, et la variété des possibilités de déplacement de Link offre beaucoup plus de liberté d'action pour aborder le bestiaire aussi varié qu'impitoyable, dont il est plus que nécessaire d'étudier le comportement avant de se lancer à l'abordage… surtout considérant à quel point il est compliqué de restaurer la santé du héros. En outre, les éléments de type RPG ralentissent délibérément la progression du joueur, plus ou moins obligé de passer par des phases de levelling à moins d'être incroyablement doué(e) manette en main, rallongeant encore un peu plus une expérience que Nintendo a résolument voulue ardue et sans pitié. Avouez-le, en lisant ça, vous vous dites qu'ils avaient créé un Dark Souls avec près d'un quart de siècle d'avance !
Malgré ses nombreux aspects innovants, ce Zelda terriblement audacieux demeure "une sorte d'échec" aux yeux de son mythique producteur. M. Miyamoto déclarera en 2013 qu'il fut certes parfaitement conforme au projet initial, et que le titre s'était même amélioré au fil du développement, mais que même s'il estime n'avoir jamais fait de mauvais jeu, Zelda II aurait pu être bien meilleur, le qualifiant de "petit caillou dans la chaussure (sic). Une petite pique aux allures d'injure éternelle de la part du créateur de la licence, qui débordait cependant peut-être un peu trop d'ambition pour "Zelda 2" : il voulait notamment limiter au maximum les loadings entre la carte et les scènes d'action, mais aussi intégrer des ennemis plus massifs dans ces dernières, ce que les capacités techniques de la console ne pouvaient hélas permettre. Peut-être incomplet sur le fond, avec d'ailleurs moins de donjons que dans The Legend of Zelda, il se rattrapera heureusement en grande partie sur la forme, dont l'héritage demeure indiscutable. Si vous pensez qu'il n'y a pas grand-chose à tirer de ce Zelda dans ce qu'est devenue la franchise, vous commettez une terrible erreur…
Aux origines du lore
En confiant la responsabilité de l'écriture à son célèbre "bras droit" Takeshi Tezuka, M. Miyamoto semblait néanmoins désireux de s'assurer que le lore naissant de la jeune saga soit parfaitement respecté. En dépit du retrait d'objets clés qui reviendront dès A Link to the Past pour ne plus jamais quitter la série (le boomerang, les bombes, l'arc ou les rubis), M. Tezuka s'assure de respecter bon nombre de codes déjà instaurés dans le tout premier jeu de la franchise et d'en introduire tout un tas de nouveaux qui deviendront déjà "canon". Ainsi, des objets comme le marteau ou les bottes, ainsi que l'utilisation d'une jauge de magie reviendront très fréquemment dans les opus qui suivront. Mais surtout, en souhaitant davantage explorer l'histoire du jeu que dans The Legend of Zelda, l'équipe s'applique à travailler l'univers et lui donner une personnalité. Le bestiaire se développe encore un peu plus, introduisant notamment les puissants chevaliers Iron Knuckle et les désormais célèbres Lézalfos, mais aussi et surtout le concept de villages et tout un tas de noms associés qui deviendront mythiques : Ruto, Saria, Mido, Nabooru, Rauru ou encore Darunia. Ceci sans oublier Impa, la nourrice de Zelda, qui fait sa première apparition, exclusivement dans le livret du jeu.
Alors que The Legend of Zelda ne contenait que des cavernes comme seules rencontres avec deux types d'interlocuteurs (d'un âge canonique qui plus est), sa suite propose huit villages à l'ambiance bien distincte, et remplis de PNJ d'une plus grande diversité proposant des quêtes que l'on n'appelle pas encore "FedEx". Ces dernières, qui requièrent parfois d'explorer (très) au-delà de la petite bourgade, visent à satisfaire leurs besoins pour se voir accorder un entretien avec le sage local et apprendre les sortilèges enseignés par chacun d'entre eux. Une façon comme une autre d'insister sur l'importance de la narration, tout en offrant un sentiment de confort dans ce qui s'apparente aux seules et uniques zones sûres et vierges de toute forme d'hostilité. Le thème musical des villages, tout comme celui de l'intérieur des bâtiments, se veut rassurant et témoigne d'un travail beaucoup plus poussé de la part de Akito Nakatsuka que celui du "maître" Kōji Kondō, hélas là aussi beaucoup plus notoire. Le compositeur de la bande originale de The Adventure of Link connaîtra d'ailleurs une carrière stable mais assez anonyme au sein de la firme, ce qui synthétise assez bien l'injustice globale dont est victime "Zelda 2", tant ses compositions surpassent celles du premier volet, "overworld" de légende mis à part. Je vous mets sincèrement au défi de trouver un thème de palais plus épique que celui inventé par M. Nakatsuka, dont la réorchestration proposée dans Super Smash Bros. Melee 15 ans plus tard achèvera de convaincre du génie absolu.
Puisque l'on parle des palais, la construction de ces derniers est par ailleurs hautement plus audacieuse, les étalant sur plusieurs niveaux, dans un labyrinthe au level design complexe (surtout sans carte) rappelant beaucoup plus Metroid ou Castlevania. Là où The Legend of Zelda semblait s'adresser à tous les publics, et notamment aux enfants dont il souhaitait éveiller l'esprit d'aventure, sa suite mise sur une ambiance plus "adulte" et bien plus travaillée. Ainsi, The Adventure of Link s'applique à enrichir les contours d'un jeu vidéo maîtrisé sur tous les aspects techniques, de sa jouabilité incroyablement précise à la grande fluidité d'action toutes deux impressionnantes pour l'époque. Si "Zelda 1" avait posé les bases d'un univers incroyablement fascinant à explorer, sa suite cherche à les conforter en apportant énormément d'éléments renforçant la qualité d'ensemble d'une jeune série qui semble déjà atteindre sa maturité. D'ailleurs, d'autres grands jeux de la fin des années 1980 sur NES rappelleront beaucoup son propos d'ensemble, de son design global jusqu'à sa vision un peu moins typée heroic fantasy et à l'esthétique tapant davantage du côté des mythologies occidentales, comme The Battle of Olympus voire Faxanadu à un degré moindre. Plus que jamais, "Zelda 2" se veut être une suite accomplie, et son apport à la licence est bien plus important qu'on ne pourrait l'imaginer. De quoi amèrement regretter sa triste réputation, qu'il est plus que vital de tenter de rétablir. Plus j'y réfléchis, plus je me dis qu'un remake en "2D-HD" affinant quelque peu le cœur du jeu serait l'opportunité rêvée de le réhabiliter, notamment auprès d'un public peut-être bien plus capable de l'apprécier qu'on ne le croit.
I am not an error
Considéré presque canoniquement comme un épisode parallèle ayant pour but de conter les événements faisant suite à The Legend of Zelda, et concluant l'Ère du Déclin dans la fameuse timeline officielle (*), The Adventure of Link a tout de l'épisode à part, que Nintendo s'est mis à ne pas autant assumer au fil du temps, la faute peut-être aux trois chef-d'œuvre intemporels qui lui ont succédé de 1991 à 1998. Une sorte de fébrilité surprenante tant le projet d'origine était ambitieux, et surtout, tant il avait tout pour séduire en son temps. En Occident, si la boîte du jeu ne contenait plus de dépliant en supplément de la notice pour révéler une partie de la map (et ainsi susciter la curiosité du joueur et stimuler ses velléités d'exploration), la notice était incroyablement complète, offrant notamment cinq pages complètes (!) pour introduire le scénario d'un jeu assumé comme plus profond dans sa narration, et révélait surtout astucieusement une carte du monde qui s'avérera n'en être que la moitié ouest. Dans son approche initiale, "Zelda 2" reprenait donc les mêmes bases astucieuses que son illustre aîné mais en leur offrant un contexte, afin de donner envie au joueur de se plonger dans une aventure incroyable tout en connaissant cette fois-ci ses véritables enjeux.
(*) La chronologie de la série, selon l'auteur de ces lignes, est une invention visant à donner de l'importance à The Legend of Zelda : Skyward Sword : veuillez ne pas y accorder trop de crédit !
Avec le temps, The Adventure of Link sera régulièrement l'objet de moqueries en Occident du fait d'une traduction quelque peu bâtarde, en vérité due aux limitations techniques assez extrêmes de son époque. En effet, chaque dialogue devait rentrer impérativement dans une boîte au nombre de caractères très limité, et se trouvait donc basé sur la version japonaise les exploitant bien mieux : pour ces raisons, de nombreuses indications données par les PNJ dans la traduction anglaise étaient grammaticalement incorrectes, voire peu compréhensibles. Lorsque je découvris le jeu à l'âge de huit ans, cela ne m'a pas empêché, certes muni du lexique en fin de notice traduisant chaque terme du jeu en français, de comprendre où ils voulaient en venir, et je dois bien vous avouer que j'attribue à "Zelda 2" mon premier véritable intérêt pour la maîtrise de la langue de Shakespeare. Encore en CE2 à l'époque où je découvris les deux premiers Zelda sur NES, l'apprentissage de l'anglais ne faisant pas encore partie de mon cursus, et j'aurai l'éternel sentiment d'avoir systématiquement pris une certaine avance sur mes camarades de classe dans cette matière principalement grâce aux jeux vidéo de mon enfance.
Ainsi, à mes yeux, et ce même si j'ai la chance d'avoir découvert les trois premiers jeux de la série dans leur ordre chronologique pour en apprécier l'évolution, le manque d'estime dont souffre The Adventure of Link est non seulement cruel, mais confine carrément à une certaine forme d'injustice. Pourtant, Nintendo ne le boude pas spécialement : il accompagnera The Legend of Zelda dans toutes les vagues de rééditions des classiques de la NES. En rééditant le titre sur Game Boy Advance en 2005 dans sa gamme Famicom Mini (NES Classics en Occident), le constructeur semble parfaitement assumer son existence, et retardera même délibérément sa publication sur la console virtuelle de la Wii afin d'en faire le 100è titre de la plate-forme. Ce n'est en vérité que son énorme différence de structure et de gameplay qui le plombera régulièrement, la faute entre autres à un "overworld" manquant de saveur et servant davantage de prétexte pour relier les scènes d'action qu'à une véritable zone à explorer, et que l'on comparera à tort à ceux des deux chef-d'œuvre absolus qui l'auront entouré. La vérité est que "Zelda 2" remplit avec brio absolument tous les objectifs de ce qu'une suite ambitieuse est supposée être, et ce à une époque où les limitations techniques auraient pu plomber la fluidité de son expérience manette en main ; hélas, son influence beaucoup moins visible sur le reste de la licence et sur le jeu vidéo en général laissent tristement supposer qu'il est moins indispensable, alors qu'il a tant à offrir.
Harder, better, faster, stronger
Je ne peux m'empêcher de revenir plus en détail sur ce qui me semble en fin de compte faire le plus débat de nos jours concernant The Adventure of Link : son accessibilité moindre en comparaison des autres "vieux" Zelda 2D. C'est un fait, et je ne vais pas le nier, cet épisode est assez indiscutablement le plus difficile d'une licence généralement assez avare en challenge. Pour avoir assisté à la découverte du jeu par un ami sur la console virtuelle de la Wii U, alors qu'il avait joué à tous les titres de la série principale à l'exception des deux épisodes NES, je fus bien forcé d'admettre qu'il était terriblement compliqué de se lancer dans ce jeu de nos jours dans le cadre d'un enrichissement de la culture vidéoludique, et ce que l'on soit à l'aise avec d'anciens jeux 2D ou non. C'est une réalité : "Zelda 2" n'est ni accueillant, ni chaleureux, ni même didactique, et il veut clairement nous faire souffrir, mourir et évoluer à la dure, ce qui tranche grandement avec l'état d'esprit de Nintendo, qui dès 1985 souhaitait être clair d'entrée sur ses intentions : ainsi, le célèbre niveau 1-1 de Super Mario Bros. reste encore reconnu de nos jours comme l'un des tutoriels les plus clairs et efficaces de tous les temps.
Cependant, doit-on blâmer pour autant The Adventure of Link pour sa vision plus radicale de l'action-aventure en monde semi-ouvert ? Je n'en suis pas sûr. En reproduisant le modèle de son prédécesseur, qui vise à "jeter" le joueur dans un grand espace sans réelles indications (en-dehors du scénario proposé dans l'écran d' introduction dans un style à la Star Wars), le Zelda mal-aimé veut non seulement l'inviter à explorer un peu partout mais à identifier rapidement quels seront les obstacles d'apparence infranchissables, comme les grottes dénuées de lumière ou bien les affrontements avec des ennemis bien trop puissants. D'après les mots de son co-réalisateur, "Zelda 2" est délibérément pensé pour pousser le joueur à accroître son expérience et faire progresser ses attributs (vie, magie et attaque) afin de devenir plus puissant, et la marge de progression assez lente pour l'époque est de fait complètement volontaire. Si la dimension aventure et exploration est toujours présente, ce second opus est véritablement pensé comme un jeu de rôle, où le grinding fait partie de l'expérience. On ressort par ailleurs bien plus grandi(e) des combats principaux, vu que le niveau de puissance de Link est échelonné de façon bien plus étendue que dans The Legend of Zelda. Oh, au fait : le boss de fin est une idée de génie, imprévisible au possible, et qui aura rendu dingue plus d'un joueur acharné. Au cas où vous ignoreriez encore son identité, je préfère encore la taire, sait-on jamais : la surprise vaut le coup.
Pensé comme une expérience beaucoup plus complète que le premier Zelda, sa suite n'est du coup difficile (voire redoutable) que si on l'appréhende bêtement comme le platformer qu'il est en apparence, mais dont il n'a en vérité que la base de jouabilité. Link peut sauter, apprendra des coups vers le haut et vers le bas, peut s'accroupir même en sautant (!) et dispose ainsi d'un éventail de mouvements impressionnant, et adapté au bestiaire doté lui aussi d'attaques variées et rarement prévisibles. Avec un tel moveset et une variété de situations aussi impressionnante pour l'époque, il est ainsi largement plus agréable à diriger que dans The Legend of Zelda où son déplacement se limitait à quatre directions, et relève beaucoup plus du jeu d'action. En mélangeant cette dynamique forte aux nombreux aspects de jeu de rôle qui contribuent à la richesse de son gameplay, ce n'est finalement pas pour rien qu'il est considéré parfois comme la pierre fondatrice de l'action-RPG. Un genre dont la popularité n'a jamais été aussi grande, et dont il convient vraiment de rendre le plus vibrant (et mérité) des hommages à celui sans qui tant de chef-d'œuvre modernes n'existeraient tout simplement pas… ou seraient bien différents.
Conçu en assez peu de temps pour un excellent résultat d'ensemble, il demeure toujours aussi étonnant à mes yeux de voir à quel point The Adventure of Link coche toutes les cases du chef-d'œuvre incompris, plus de 35 ans après sa sortie. En développant immédiatement une suite ambitieuse au game changer intemporel que fut The Legend of Zelda, Nintendo renforça plus qu'on ne le croit les bases d'une des licences les plus mythiques du jeu vidéo, et il est vraiment injuste de le voir aussi régulièrement boudé pour ses différences et ses prises de risque pourtant audacieuses et terriblement efficaces. Quant à sa difficulté et sa profondeur de gameplay, je n'oserai même plus parler d'injustice mais d'incompréhension, tant le propos général de cet éloge de la persévérance d'un autre temps semble avoir fait école dans l'action-RPG de ces 15 dernières années, sans que personne ne s'en soit assez rendu compte. Quand on y pense, Breath of the Wild se voulait être une sorte de reboot spirituel du tout premier opus de la saga ; et si The Legend of Zelda : Tears of the Kingdom était en quelque sorte son "Zelda 2" ? Je serais le premier à m'en réjouir, tant une suite aussi originale et décalée ne fit que renforcer la légende à mes yeux.