Ceux qui rêvaient secrètement de voir l’œuvre de Yû Suzuki transposée un jour en série animée ont la preuve que tout finit par arriver. Si le troisième volet s'est fait attendre pendant presque deux décennies, le fantasme de voir un anime Shenmue se concrétiser remonte tout aussi loin. Les années ont passé mais l'empreinte laissée par la saga ne semble pas vouloir s'estomper. Alors on se lance à corps perdu dans le visionnage d'une série qui semble déjà vouloir s'achever au terme de 13 épisodes et à laquelle on demande simplement de nous restituer un brin de nostalgie. À l'heure où l'on écrit ces lignes, aucune nouvelle saison n'a en effet été confirmée. Mais faut-il vraiment espérer une suite ?

Shenmue en avance rapide ?

L'esprit Shenmue c'est d'abord savoir prendre son temps. Cette main qui s'avance pour fouiller un à un les tiroirs du dojo à la recherche d'un souvenir caché. Ces allers-retours dans les quartiers reconstitués du Yokosuka des années 80 où l'on attend patiemment qu'une boutique veuille bien ouvrir ses portes aux horaires affichées. Prendre le bus pour aller travailler en veillant à rentrer avant la nuit pour ne pas inquiéter Ine san. Et redémarrer une nouvelle journée dans le même esprit de lenteur que ne renierait pas un expert de tai-chi... Sauf que la série Shenmue the Animation n'a elle pas du tout de temps à perdre ! Un peu comme si l'on parcourait le jeu en vitesse accélérée… x10 ? x100 ? x9000 ?!!!

Une fois passé le cap de la surprise du design complètement remanié de Nozomi, la très proche amie de Ryô, on constate une volonté appréciable de rester au plus près du déroulement de l'histoire originelle pour ne pas froisser les fans. Un choix qui a cependant pour principal inconvénient de ne pas apporter de réelle plus-value par rapport au format initial de la franchise, puisque ni le character design, ni la réalisation des décors, ni l'animation ne sont réellement transcendants. On déplore ainsi un manque d'audace de la part de l'anime qui aurait pu tirer son épingle du jeu en proposant davantage d'éléments inédits et d'ajouts narratifs pour étoffer le background de certains personnages. Il y en a quelques-uns mais pas suffisamment.

Le rythme très rapide de la série a par ailleurs quelque chose d'indéniablement frustrant pour tout fan du jeu ayant encore en mémoire les longues heures passées à la recherche de la moindre information cruciale pouvant guider Ryô sur la piste de l'assassin de son père. Un choix qui s'explique par le format condensé de seulement 13 épisodes qui ont tout de même la prétention de couvrir non seulement l'histoire du premier épisode mais aussi celle de Shenmue II ! On apprécie en revanche de voir Shenhua bénéficier ici d'une mise en avant bienvenue. La jeune fille qui apparaît en rêve à Ryô mais que l'on ne rencontre que très tardivement au village de Bailu est ainsi bien plus présente dans l'anime. Les séquences brèves mais récurrentes qui lui sont consacrées permettent de suivre son quotidien tout en évitant de perdre de vue celle qui demeure tout de même la figure féminine la plus indissociable de la franchise.

Le chapitre de Yokosuka

Avec le recul, il paraît évident que le rythme particulièrement lent du premier Shenmue se trouve difficilement transposable avec efficacité dans le cadre d'une série animée. Pas d'étonnement, dans ces conditions, à constater que seules les étapes clés du développement de l'intrigue soient ici évoquées. Si vous comptiez voir Ryô passer ses journées à s'occuper du chaton de Megumi ou prendre minutieusement des notes à chaque passant interrogé dans les différents quartiers de Yokosuka, vous serez inévitablement déçu. Pas question non plus d'enchaîner les petits boulots pour gagner de l'argent. Alors certes, on perd un peu de vue l'atmosphère originelle de la saga, mais c'est le prix à payer pour que les néophytes ne lâchent pas l'anime avant la fin et s'orientent pourquoi pas ensuite vers les jeux pour en savoir plus.

La scène introductive du duel entre Lan Di et Iwao Hazuki, le père de Ryô, qui sert de point de départ à la quête de vengeance du protagoniste, se voit donc inévitablement abrégée (certains diront expédiée) malgré l'importance qu'elle revêt. Le ton est donné : il s'agit avant tout de résumer les temps forts du jeu sans prétendre rivaliser avec le matériau d'origine désormais culte. L'anime ne s'éternise donc pas plus que ça à l'intérieur du dojo de la famille Hazuki, préférant mettre en avant l'inquiétant Chai, tapi dans l'ombre en attendant son heure. Quant au combat contre les Mad Angels, il ne prend que quelques instants... La série ne pouvait cependant pas passer outre un clin d'œil marqué aux fameux chariots élévateurs ni à la mise en avant des grands thèmes musicaux de la saga.

Bienvenue à Hong Kong

Avec 5 épisodes relatant les événements du premier volet contre 8 pour ceux de Shenmue II, la série semble vouloir s'attaquer rapidement aux choses sérieuses. Même si les plus nostalgiques gardent souvent une préférence pour l'épisode fondateur de la saga, il faut bien reconnaître que Shenmue II a pour lui une intensité et une épaisseur nettement plus propices à une adaptation en série animée. Le jeu renferme tellement de moments forts et de séquences inoubliables qu'on sent véritablement la pression monter à l'approche de l'entrée en scène de Dou Niou et des membres du gang Yellow Heads.

Comme dans le support d'origine, Hong Kong et Kowloon offrent un terrain de jeu plus vaste et riche en surprises que Yokosuka. Et l'entrée en scène anticipée de Ren, le chef des Heavens, se comprend d'autant mieux qu'il s'agit incontestablement d'un des personnages les plus charismatiques de la franchise. Même chose pour Joy, la motarde extravertie du deuxième opus, au sujet de laquelle on apprend d'ailleurs quelques éléments nouveaux. Avec le jeune Wong, Ren et Joy sont en quelque sorte la famille d'adoption de notre héros qui ne perd jamais de vue son objectif. L'action plus soutenue donne lieu à des poursuites calquées sur les longues séquences de QTE (Quick Time Event) du jeu. Quant à l'apprentissage des techniques de combat, il passe toujours par la rencontre avec des maîtres en arts martiaux dont l'apparente fragilité n'a d'égal que le génie, à l'image de la mystérieuse Xiuying. Si les affrontements sont finalement peu nombreux, la fidélité des mouvements de Ryô avec ceux du jeu vidéo est suffisamment frappante pour compenser une animation qui manque globalement de panache.

Notre plus grand regret concerne sans doute le traitement réservé au personnage de Baihu, ce mystérieux combattant masqué du Yellow Head Building qui constituait l'opposant le plus redoutable du second volet. Il faudra ici se contenter d'une apparition ridiculement brève et d'un combat qui n'en est pas vraiment un. Enfin, tous ceux qui ont joué à Shenmue II ont encore en tête la filature du personnage singulier de Yuan avant la mémorable course poursuite au Yellow Head Building. Dans l'anime, la masculinité nettement plus visible de Yuan lui fait perdre un peu de sa singularité même si le duo qu'il forme avec Dou Niou apporte beaucoup d'intensité à ces derniers épisodes.

À dans 20 ans pour le dénouement ?

L'épisode 13 marque-t-il la fin de cette adaptation de Shenmue en animation ou doit-on espérer qu'une nouvelle saison viendra au moins couvrir les événements qui se déroulent dans la province de Guilin ? Dans l'immédiat, pour connaître la suite, il vous faudra nécessairement jouer à Shenmue III car le treizième épisode s'achève sur le très symbolique « The story goes on... », à l'issue d'une trop brève altercation avec Lan Di. En somme, ce n'est pas encore demain que l'on connaîtra la fin de l'intrigue globale de la saga Shenmue.