Véritable manège à sensation du jeu vidéo, l’E3 se la joue ascenseur émotionnel depuis deux ans. En 2020, l’éclatement de la crise sanitaire l’a forcé à fermer boutique pendant un temps, avant de revenir l’année suivante dans un événement 100% digital. Mais en 2022, il n’y aura tout simplement pas de show, que ce soit en ligne ou en physique. Une info qui préfigure la fin des salons et des conférences spectacles ?
Peut-être qu’un jour, on chantera “je vous parle d'un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître” au sujet des célèbres conférences de l’E3. Car voilà trois ans que les couloirs du Convention Centers de Los Angeles n’ont pas vibré au son des annonces tonitruantes. Et ce n’est pas prêt de s’arranger. Récemment, nous avons appris l’annulation sans équivoque de l’édition 2022 du plus célèbre des shows américains consacré au jeu vidéo. “Nous dévouerons toute notre énergie et nos ressources pour livrer une version physique et numérique de l’E3 l'été suivant” explique l’ESA, qui organise l’événement, dans les colonnes d’IGN. L’entreprise précise zapper le rendez-vous de cette année pour “concentrer ses ressources” sur le suivant, en 2023.
Une annonce surprenante. En janvier, l’ESA confirmait pourtant le retour d’un E3 100% en ligne pour 2022, à l’instar de l’édition précédente, affirmant être “incroyablement enthousiaste” quant à l'avenir du show. Un discours de façade rassurant qui cache une réalité moins reluisante ? C’est en tout cas ce que pense Jeff Grubb, journaliste pour VentureBeat, insider réputé dans le milieu. Au-delà d’avoir évoqué l’annulation de l’E3 il y a quelques mois, l’homme parle de l’événement de cette année comme d’un “bordel”. Pour ne rien arranger, l’annonce n’est pas directement venue de l’ESA, mais d’un message Twitter du responsable des relations publiques de Razer. À ce jour, il n’y a pas de communiqué officiel à ce sujet sur le site officiel de l’ESA ou celui de l’E3.
“Je viens de recevoir un mail… C’est officiel, l’E3 digital est complètement annulé pour 2022. Beaucoup de sentiment mitigé sur le sujet…” - Will Powers (Razer), sur Twitter
Just got an email... It's official, E3 digital is official cancelled for 2022. Lots of mixed feelings about this...
— Will Powers (@WillJPowers) March 31, 2022
Tout repenser
À ce jour, on ne connaît pas les raisons exactes qui ont poussé la société à annuler l’E3 2022. L’année dernière, le show avait pourtant réussi à sauver les meubles, réunissant de très grands noms de l’industrie - Ubisoft, Xbox, Square Enix… - avec de nombreuses conférences sur trois jours, un an après l’éclatement de la crise sanitaire et l’annulation de l’édition 2020. Une solution qui apparaît aujourd’hui davantage comme une rustine plutôt qu’une complète renaissance. Déjà parce que l'événement invitait les éditeurs à se produire dans des formats déjà développés en interne, sous l’effet des contraintes du Covid (Ubisoft Forward, pas “Ubisoft E3 Conference” par exemple). Et car, de toute évidence, l’ESA a plus perdu que gagné à organiser l’édition 2021.
En l’état, impossible de savoir si les éditeurs ont dû payer des frais de participation au show en ligne (les communiqués de l’ESA ne sont pas clairs sur le sujet) mais une chose est sûre : par rapport au format classique, physique, le manque à gagner doit être important. Sur le réseau social Quora, David Mullich, vétaran de l’industrie et réalisateur de nombreux volets de la licence Might and Magic, estime la location d’une grosse scène de l’E3 aux alentours de 100.000 dollars. Bien sûr, tout ne va pas dans les poches de l’ESA. Le Convention Centers a aussi sa part. À cela s’ajoute le billet d’entrée public, autre source de revenus majeure en temps normal (250 $ en 2019 pour 3 jours de show) alors que l’édition 2021, 100% en ligne, était gratuite. Sans oublier les frais afin de rendre l’événement compatible avec une version numérique, notamment une toute nouvelle application mobile.
Pour pas cher
Bref, il y a de très fortes chances pour qu’un E3 digital soit beaucoup moins viable qu’un show physique. Quand bien même, aujourd’hui, on verrait mal les éditeurs se presser aux portes du Convention Centers pour reprendre les conférences spectacles, comme au bon vieux temps. Après l’arrivée de la crise sanitaire, les grands acteurs du JV ont compris qu’ils pouvaient communiquer à moindre coût, inspirés par des formats comme le Nintendo Direct (qui existe depuis 2011) ou l’EA Play Live, qui se tient traditionnellement en marge de l’E3. Les éditeurs ont ainsi créé du temps d’antenne par leur propre moyen, mais surtout, de nouvelles initiatives avec pour objectif de fédérer les créateurs de jeu vidéo ont vu le jour. La plus célèbre d’entre elles est sans aucun doute le Summer Game Fest de Geoff Keighley, journaliste et insider qui se charge déjà de l’organisation des Game Awards chaque fin d’année. L’homme n’a d’ailleurs pas tardé à répondre présent après l’annonce de l’annulation de l’E3, sur Twitter, postant un clin d'œil tout à fait évocateur. Quelques minutes plus tard, il dévoilait la date de son Summer Game Fest 2022.
"Il n'y a pas plus grand fan que moi de ce qu'un événement comme l'E3 représente pour l'industrie. Je suis allé à chaque E3 pendant 25 ans. Au fur et à mesure que l'industrie évolue, la façon dont notre industrie s'unit doit également évoluer” - Geoff Keighley, sur Twitter
Juste différent
L’un dans l’autre, on aurait du mal à miser sur un retour des fameuses conférences spectacles de l’E3. Pour autant, cela ne veut pas dire que la grande messe du jeu vidéo s’est éteinte. En marge les show individuels, éditeur par éditeur, ce sont les soirées avec tout un tas d’acteurs du milieu qui semblent avoir la côte. Comme celle du Summer Game Fest 2021 - où on a vu les véritables premières images d’Elden Ring - ou la désormais traditionnelle Opening Night Live de la Gamescom, qui fera son retour le 23 août prochain. Alors oui, des événements en ligne, mais pourquoi ne pas imaginer une version physique quand le Covid sera fini, façon Game Awards ?
En tout cas, les salons physiques, eux, ne sont pas prêts de s’arrêter. Par exemple, pour cette année, la Gamescom fait le choix d’une approche hybride, avec de l’activité à Cologne et aussi en ligne. Et pour le Tokyo Game Show, ce sera de toute évidence - enfin - un retour à la normale. Comme le CES 2022, d’ailleurs sous le feu des critiques pour avoir fait comme si de rien n'était en janvier, sans considérer le risque sanitaire. Surtout, il ne faut pas l’oublier : ces rendez-vous constituent aussi bien une chance pour les joueurs que pour les professionnels. C’est souvent là que ces derniers nouent d’importants contacts et dénichent de très belles opportunités.