Quand je suis rentré, il n’y avait personne dans l’appartement. Les épais rideaux du salon empêchaient toujours autant la lumière de rentrer. Tout était calme et silencieux. J’allais frapper à la porte de la chambre de mon colocataire mais personne n’ouvrit.

Désireux de récupérer mon corps de garçon, l’absence de la vraie Nina m’embêtait quelque peu. Après avoir pris une bonne douche, je m’assis donc sur le canapé en repensant à Emilie, sans savoir trop quoi faire avant le retour de mon colocataire.

Laissant vagabonder mon esprit, mes idées devinrent de moins en moins précises et mes yeux se floutèrent de plus en plus, si bien que je fis un micro sommeil sans m’en rendre compte.

Je me réveillais en sursaut. L’heure de mon smartphone m’indiquait 21h passées. J’étais toujours seul dans l’appartement. Ou était-il donc ? Je commençais vraiment à m’inquiéter…

L’appartement était plus silencieux qu’une chambre froide. C’est alors qu’une pensée furtive me traversa l’esprit. Je pensais bien évidemment à cette porte, au fond du couloir, qu’on m’avait défendu d’ouvrir.
Je me levais, décidé. La lumière de mon téléphone me permis de mieux m’y retrouver. L’obscurité était toujours présente mais c’était mieux que rien. J’étais maintenant prostré devant la porte interdite. Avec mon poing, je frappai trois coups brefs. Si je ne pouvais y entrer, je pouvais au moins toquer.
Le bruit résonna dans le couloir. Aucune réponse.

Je restais comme un idiot devant la porte.

Je repensais alors aux avertissements de la veille. L’ambiance qui régnait dans l’appartement me donnait la chair de poule. Je me tenais devant la porte d’une pièce mystérieuse, dans la pénombre d’un couloir pas très rassurant.

J’espérais que rien ne serait fait à mon pauvre petit corps. J’avais pas fait n’importe quoi avec celui qu’on m’avait confié (enfin juste quelques petites cochonneries cette après-midi ) donc j’en attendais de même pour mon corps. L’idée comme quoi cette étrange sorcière, qui utilisait mon corps, trafiquait quelque chose dans un lieu peu recommandable me fit frémir

On me cachait probablement des choses. A nous deux, nous pratiquons déjà l’échange de corps, quelque chose que personne ne soupçonnerait sur cette Terre. On se faisait mutuellement confiance pour ne pas prononcer une formule secrète ni abîmer nos corps respectifs. Oui, une sorte de relation de confiance s’était installée. Alors pourquoi m’interdire l’accès à une pièce de l’appartement, sans même me dire ce qu’il y avait à l’intérieur ?

Je sais bien qu’une… sorcière… doit avoir des passe-temps qui échappent certainement à un humain mais… pourquoi ne rien me dire du tout ?

Plus j’y pensais, et plus je trouvais ça louche. Une évidence m’avait échappée ces dernières 48 heures. Aveuglé que j’étais par ma perversité incurable, je ne l’avais même pas remarqué.

A qui cette affaire profitait le plus ? Ou… disons plutôt… en quoi cette sorcière tire-t-elle un avantage de la situation. Perverse de mon niveau ? Peu probable. Sympathique personne qui « prête » son corps chaque année au garçon qui aura le bonheur de louer cet appartement ? Peu probable également. Elle en tire forcément un bénéfice quelque part. C’est certain. Cependant, cet avantage, elle ne semble pas vouloir me l’expliquer. Elle avait été très évasive sur le sujet et… il y avait cette porte qu’on m’avait interdit d'ouvrir.

La situation était belle et bien étrange. J’étais peut-être l’heureux idiot qui mord à l’hameçon tant que celui-ci est appétissant. Le conte pour enfant de la maison de sucre me vint à l’esprit. Deux petits enfants trouvent une maison dans la forêt, une maison faite en sucrerie. Une sorcière y vit et les invite chaleureusement à y entrer pour goûter quelques merveilles sucrées. Une fois à l’intérieur, et convaincus qu’ils étaient les plus heureux enfants du monde dans le meilleur endroit qui puisse exister, ils se firent piéger par la sorcière, qui les mit dans un four pour les manger à son tour.

Je me trouvais sûrement dans une maison de sucre, moi aussi.

Ces pensées me firent frissonner de plus belle. Mon cœur se mit à battre plus vite, je stressais un peu plus... était-ce mon imagination qui me jouait des tours ? Je dramatisait peut-être... mais un mystère planait assurément autour de cette pièce interdite et je me devais de l'éclaircir. Malgré l’avertissement sévère de la veille, non sans trembler, j’enclenchais la poignée de la porte.

Fermée à clé, bien entendu. Clé qui était cachée, quelque part dans l’appartement… Non, plutôt dans la poche de cette chère sorcière, qui utilisait mon corps, et qui se promenait bien tard dans Paris… Une idée de génie me vint alors à l’esprit. Je devais me dépêcher, et vite.

…

Quelques instants plus tard, j’entendis la porte d’entrée s’ouvrir. 22h12.

Juste à temps. Si tout fonctionnais comme prévu, cette nuit, j’en saurais sûrement un peu plus sur ce qu’on me cache depuis le début.

Effectivement, ce que j’allais y découvrir… allait me terrifier bien plus encore que ce à quoi je m’attendais.