Trois gouttes d’essence de belladone… Un foie d’ours haché menu… Quatre orteils pilés…
Maintenant, allumer la cornue. Aenius claqua des doigts, faisant apparaître une petite flamme magique au bout de son index. La mèche grésilla, fuma, mais refusa de s’allumer. Saleté de mèche ! Allait-elle prendre feu, à la fin ? C’était bien le problème de travailler dans des grottes. L’humidité imprégnait les grimoires et les robes, faisait moisir les cadavres et rongeait les couteaux rituels. Un vrai calvaire. Foutue humidité, oui.
Aenius claqua des doigts une nouvelle fois, sans effet. La mèche refusait désespérément de s’allumer, et même la flammèche magique n’y faisait rien.
« Par tous les Vers ! Tu vas t’allumer, saloperie ?! »
Clac. Clac. Clac. Pschiiiiit. Dans un grésillement, le bout de tissu récalcitrant daigna enfin s’embraser. Aenius poussa un soupir de soulagement. La magie, c’est bien pratique, mais quand on a les doigts vermoulus par l’arthrose, claquer des doigts peut être une véritable torture.
Bien, bien. Placer le mélange dans la cornue, et la cornue sur la flamme…
« Monsieur ? », fit une petite voix flûtée en tirant le bas de sa robe.
Le vieux nécromant sursauta et lâcha la cornue. Le délicat récipient de verre s’écrasa au sol, arrosant les orteils d’Aenius de la mixture. Celui-ci se retourna en criant :
« Par le Roi des Vers, mais quel est le con qui… »
Il s’arrêta net. C’était un enfant. Ou du moins ça y ressemblait.
C’était… petit. Petit et pas bien gros. Oui, ce devait être un enfant. Des genoux cagneux, une caboche aux joues creuses dévorée par deux grands yeux et un sourire. Moche, le sourire. De celui qui vous donne envie de foutre un coup de pied et de regarder le gamin aller pleurer chez sa mère.
« Monsieur ? », reprit l’insupportable petite voix.
Aenius détestait les enfants. Du moins, tant qu’ils respiraient. Une fois morts, ils devenaient immédiatement beaucoup plus vivables.
« - Qu’est-ce qu’y a, morveux ? C’est pas pour les gamins, ici. C’est une cache secrète de nécromanciens.
- Mon papa, y bouge plus. »
La face sinistre d’Aenius s’éclaira.
« - Tu veux dire qu’il est mort ?
- Oui, je crois. Il a fait « argh », et pis il est tombé par terre. Alors j’ai pris la fourchette et je lui ai mis dans l’œil, et même que ça l’a pas réveillé. Alors j’l’ai enlevée et j’ai refait pareil dans l’autre œil, pour voir. Et il a toujours pas bougé. Tiens. J’te l’ai apportée. »
En souriant, l’enfant lui tendit la fourchette, dégoulinante de sécrétions visqueuses.
« - Et mais… Qu’est-ce tu veux qu’j’en foute, de ta fourchette ! C’qui m’intéresse, c’est le cadavre ! On a jamais assez d’sujets d’étude…
- Mon papa, il a dit : Tohrj, si y m’arrive quelque chose, va voir Sjoring dans la grotte. C’est un sale con, mais y pourra t’aider, qu’il m’a dit. C’est toi, Sjoring ? »
Aenius ricana. Sjoring Langue-de-Glace était le supérieur de la petite guilde de nécromanciens locale, et son manque d’amabilité était en effet presque légendaire.
D’ailleurs, si le père du gamin le connaissait, ce ne pouvait être qu’un membre de la guilde. Ou un ancien membre… Par les Vers, mais oui !
« - Dis moi, gamin, ton père, y s’appellerait pas Kvir le Dément, des fois ? », demanda Aenius, illuminé par la soudaine révélation.
« - Si. Alors c’est toi, le sale con ? Pis d’abord, mon papa, il a dit, tu le reconnaîtras, c’est un sale con, mais y m’a même pas dit ce que c’était, un sale con. Monsieur, c’est quoi, un sale con ? »
Le nécromancien ricana une nouvelle fois. Si c’était bien le fils de Kvir, il fallait absolument le présenter au supérieur de la guilde. Sjoring allait être littéralement en-chan-té…
***
« - Maîîître ? », chevrota la voix éraillée du vieux nécromancien quand il pénétra dans la crypte.
« - Aenius, je vous ai répété mille fois de ne pas me déranger qu… Par Mannimarco !
- Bonjour monsieur le sale con ! », entonna Tohrj avec entrain. « Mon papa, il a dit, va trouver Sjoring, tu verras, c’est un sale con, alors le monsieur, je lui ai donné ma fourchette, et…
- Par les dieux, êtes-vous sérieux ? » siffla Sjoring, les yeux écarquillés, ivre de rage. « Pas – d’enfant – ici ! Je pensais avoir été clair, pourtant ! Vous connaissez les villageois, ils sont plus que pointilleux sur les histoires de morale.
- Excusez-moi, maître », s’excusa Aenius en s’inclinant, « mais ce gosse dit qu’il est le fils de Kvir, et…
- Kvir ?! Ô Vers, mais tout s’explique…
- Dis, monsieur, tu m’as pas répondu », fit Tohrj, boudeur.
Le supérieur de la guilde sembla se réveiller d’un long rêve et se pencha avec lenteur vers l’enfant, comme s’il venait de remarquer sa présence.
« - Toi, là. Tu es le fils de Kvir le Dément ? »
La voix était sèche, dure, implacable ; le ton, aussi glacial qu’il sied au maître d’une guilde de nécromanciens – il n’avait pas usurpé son surnom de Langue-de-glace. C’était l’intonation que prenait Sjoring pour se faire obéir des jeunes adeptes récalcitrants. Habituellement, l’effet escompté se manifestait sans attendre – vague bredouillement gêné, révérence maladroite et prudent repli stratégique. Tohrj, lui, fondit en larmes, criant à plein poumons de sa voix aigrelette.
« Mon pa…pa… il… est… moooort ! »
Désemparé, Sjoring se tourna vers Aenius.
«- Mais qu’est-ce qu’il a ? Qu’est-ce que j’ai dit ? Et par le Roi des Vers, comment on fait pour que ça s’arrête ?
- Je ne sais pas, ô maître… », répondit le vieux nécromancien en se bouchant les oreilles.
« - Et bien, débrouillez-vous pour que ça cesse ! »
Aenius grommela – intérieurement, bien entendu. Il en avait de bonnes, le patron. Lui, les mioches, il les connaissait que pendus à un croc de boucher et les tripes à l’air. Il tenta quand même le tout pour le tout.
« Dis-moi, mon petit, », susurra-t’il aimablement, « tu veux un bonbon ? »
Pour toute réponse, Tohrj hurla et pleura de plus belle. Evidemment, il aurait dû s’y attendre. Tout portait à croire que l’astuce était un peu usée, après plus de cinquante ans à attirer des enfants dans les grottes pour se fournir en sujets d’expériences.
La manière douce et diplomatique avait donc échoué. Soit. Aenius décida donc de revenir à des méthodes plus directes et ayant fait leurs preuves depuis longtemps, et fila au jeune pleurnichard une gifle mémorable. Comme par magie, les braillements cessèrent net, s’étouffant en un hoquet entrecoupé de sanglots.
« Aaaaah », soupira d’aise Sjoring en retirant les mains de ses oreilles, « ça fait du bien quand ça s’arrête… Et maintenant, répond à ma question. Es-tu le fils de Kvir le Dément ?
- Oui, m’sieur », fit Tohrj en reniflant. « Kvir, c’est mon papa. Mais y bouge plus, et je lui ai planté la fourchette pour vérifier, et…
- Ton père est mort ? », le coupa le chef de guilde.
« - Oui, ms’ieur. Mais c’est l’autre monsieur qui a gardé la fourchette. Alors mon papa y m’a dit…
- Kvir était un bon élément de la guilde, en son temps », poursuivit Sjoring pour lui-même. « Plus original que doué, oui, je dois l’admettre.
- … et y m’a dit, va trouver Sjoring, tu verras, c’est un sale con, mais y pourra t’aider, et...
- Et j’oubliais sa légère tendance à l’irrévérence », marmonna-t’il en rosissant légèrement sous son teint blafard. « C’est bien pour ça que nous avons dû l’exclure, hélas. Il n’était plus possible de supporter son comportement…
- Dis, monsieur, mon papa, y se réveillera pas ?
- Je ne pense pas, non. Quel est ton nom, fils de Kvir ?
- Tohrj, m’sieur. » La réponse fut suivie d’un reniflement peu ragoûtant. « Tohrj… tout court. »
« - Et bien Tohrj, vois-tu, la nécromancie est un art exigeant, et tous ne parviennent pas à leur but. Certains parviennent à atteindre a récompense ultime, l’immortalité, mais ils sont rares ; et pour les autres, et bien, la mort peut survenir n’importe quand, au hasard d’une expérience malencontreuse. Nous sommes comme des oiseaux, vois-tu. Certains parviennent à s’envoler et partent toucher le soleil, les autres tombent du nid et se brisent le cou. Tu comprends ?
- Tu veux dire, » fit Tohrj au prix d’un effort intellectuel apparent, « que mon papa, c’est un oiseau ?
- Ouiii ! Euh, non, non, bien sûr que non. C’était, eh bien, une métaphore.
- C’est comme une comparaison, tu vois », intervint Aenius pour se sentir utile.
- Vous, je ne vous ai pas sonné », répliqua Sjorling d’une voix tranchante.
Le chef de guilde observa l’enfant en silence. Il était plutôt maigre, limite squelettique, même. Il était presque étonnant qu’il ait survécu – Kvir le Dément ne devait pas être le père le plus attentif de Skyrim et Sjorling aurait parié qu’il avait oublié plus d’une fois de se préoccuper de nourrir son fils, absorbé comme il devait l’être par ses expérimentations farfelues. Un drôle de type, ce Kvir. Sjorling se rappelait comment il avait plus d’une fois manqué de tous les tuer par ses idées étranges – mettre au point une nouvelle substance explosive dans une crypte éclairée à la bougie, par exemple. Tohrj n’avait pas l’air malin, ça non, mais Sjorling était persuadé qu’il pourrait en faire un nécromancien digne de ce nom. Il avait quelque pré-requis avantageux : les genoux cagneux, la mine maladive, les orbites creuses, en plus d’un premier contact traumatisant avec la mort. Oui, il saurait en faire quelqu’un comme il faut ; et au pire, même son petit cadavre pourrait être utile.
« Mon garçon », fit Sjorling en affichant un sourire carnassier, « as-tu déjà songé à t’initier à la nécromancie ? »
et bien tu as du courage toi mes félicitasion
Très malin, vraiment.
Tu pourras me fouetter pour me punir.
Je vais remplir une taie d'oreillers avec des piles. Content ?
Des piles ? On aurait fait ça avec des briques, dans le temps. Une demi-brique et une chaussette, oui, pour chasser les créatures des Basses Fosses.
j'ai bien aimé, j'attend la suite!
pourquoi tout le monde faits des fic sur les nécromanciens?
J'aime bien, c'est agréable à lire.
C'est toi l'agréable à lire.
Des piles mortes, oui.
"pourquoi tout le monde faits des fic sur les nécromanciens?"
M'en fous, j'ai eu l'idée avant.
J'ai commencé à écrire ce matin. Et puis même, Tohrj ne quittait plus mon esprit depuis le RP.
La brique dans la chaussette ?
Ah ah ah.
C'est avec du sable pour les Basse-Fosse, pauvre amateur.
Du... sable ? Oui, il y a du sable dans les Basses-Fosses. Mais il ne l'avait pas remplie avant de descendre, sa chaussette ? Faudra que je relise en tout cas. Sourcellerie !
"pourquoi tout le monde faits des fic sur les nécromanciens?"
Parce qu'ils sont trop d4rK et mi-stérieux
Bon prologue en passant ( la flemme de faire une critique constructive)
Beaucoup de ponctuation, m'enfin ça ne gâche pas tellement le plaisir alors pourquoi pas ?
C'est bien sympa... voilà... j'ai fait un com
J'attends la suite pour me faire une meilleur idée, c'est intriguant ce concept tout de même.
OMG je suis tordu de rire , pour une fois qu'une fic ne se prend pas au sérieux ça fait plaisir
J'ai vraiment hâte de voir la suite , ça promet
Beaucoup de ponctuation, en effet. Surtout des guillemets. Ce doit être une déformation de mathématicien, j'aime quand les choses sont rigoureusement encadrées. Je ne supporte pas les bouts de dialogue qui vagabondent en liberté, il faut que je les enferme et que je les cloître. Comme un Dunmer qui voit un Argonien sans ses bracelets d'esclave. C'est plus fort que moi.
La suite viendra... eh bien, quand elle viendra. Difficile d'être plus précis. Mais difficile aussi d'être moins précis. Je joue sur les deux tableaux. Habile.
Musculus: Au fait, j'avais raison. Une demi-brique dans une chaussette pour aller défier l'Archichancelier. Je savais que je ne pouvais pas l'avoir inventé, tout de même, ou alors j'aurais eu de sérieuses raisons de m'inquiéter sur mon cas.
Vraiment chouette.... et surtout un énorme bon point : long, très long... on a le temps de savourer !
Peu de fautes d'orthographe (je n'en ai pas soulevé, mais je suis certain qu'en cherchant la petite bête... :D ) le style plutot impec' et peut etre beaucoup de ponctuation mais perso ça ne m'a pas frappé...
Que du bon quoi !
Vivement la suite.
"Comme un Dunmer qui voit un Argonien sans ses bracelets d'esclave."
Il l'a en travers de la gorge, j'peux le comprendre. Maintenant qu'il est occupé par l'autre.
J'ai beaucoup aimé.
La ton parodique passe très bien, c'est rare sur les fics du genre !
Il ne reste plus qu'à voir si tu vas garder tes bonnes idées !