Street Fighter, Counter-Strike, League of Legends, Dota, Starcraft, Tekken… Tous ces jeux et bien d’autres que je n’ai pas le temps de citer sont considérés comme difficiles. Évidemment comme dans toute discipline reconnue comme ardue, la question se pose : “Qu’est-ce que la difficulté ?”. Il n’y a bien sûr pas de réponse absolue, car chaque domaine, jeu, instrument ou pratique réclame des prérequis différents ou un investissement variable. Les jeux compétitifs demandent tous un délicat équilibre entre maitrise technique, connaissances, précision, vision de jeu et intuition. Différents genres demandent évidemment différents taux de maitrise entre ces piliers, mais tous ont un point commun, ils demandent un investissement de temps conséquent pour comprendre leurs principes fondamentaux ou leurs règles avancées. Ça peut être décourageant pour plus d’un joueur, parce que perdre en boucle sans comprendre pourquoi, ça peut être frustrant. Le principe même du jeu compétitif veut que l’on soit confronté à un ou plusieurs autres joueurs d’un niveau à peu près équivalent. Seulement les joueurs débutants peuvent présenter des écarts de connaissance ou de prédispositions techniques assez dramatiques et ça génère donc des joutes déséquilibrées ou frustrantes pour certains. Toutes les disciplines peuvent générer de la frustration, mais ce qui est assez dommage c’est que cela peut décourager des joueurs qui penseront que tel ou tel jeu n’est pas fait pour eux. Et si ces situations sont inévitables, elles pourraient être plus rares si les développeurs poussaient dans la bonne direction pour rendre leurs titres moins opaques.
Accompagner le joueur tout au long de son développement pourrait être un excellent moyen de le faire, car en l’état hormis un bref tutoriel en début de parcours, on note assez peu d’initiatives intrinsèques au jeu pour faire progresser les participants. Si dans Street Fighter on nous présente les commandes de base où l’on nous propose des challenges pour apprendre des combos, certains fondamentaux sont inexplicablement absents de ces tutoriels et rien n’offre au joueur d’explications de Match Up. Dans League of Legends, le comportement typique des débutants est de mal choisir son moment pour retourner à la base ou de passer son temps à pousser sa ligne sans réfléchir. Or, rien dans le tutoriel du jeu n’est là pour leur dire quand décaler vers leurs coéquipiers ou quand engager un affrontement par exemple. Si ne pas dire au joueur quoi faire est problématique, ne pas leur dire ce qu’ils ne doivent absolument pas faire et ne pas leur expliquer leurs erreurs est encore pire. Un débutant sur dota n’ayant pas constaté que son adversaire est bien mieux équipé que lui se fait atomiser et aura vite fait de remettre en question l’équilibrage du jeu. Il est essentiel de donner toutes les cartes en mains aux participants, ils peuvent ainsi comprendre leurs erreurs, apprendre comment y remédier et ainsi constamment progresser.
Et pour ça, les développeurs peuvent s’inspirer d’autres disciplines. Récemment une série Netflix à succès, The Queen’s Gambit, a créé un nouvel engouement autour des échecs. Les nouveaux joueurs comme moi ont pu découvrir la plateforme Chess.com disponible sur PC, mobiles et tablettes. Cette plateforme offre une interface de jeu, une liste d’amis, des tutoriels très précis appuyés par des vidéos et des exercices, des problèmes pour s’entrainer à des situations précises et améliorer sa vision du plateau. On retrouve également des bots de tous les niveaux et un matchmaking basé sur un système d'Elo, système qui était en premier lieu utilisé par les jeux de plateaux comme le go ou les échecs avant d’être adapté à d’autres disciplines, notamment les jeux en ligne. Globalement cette plateforme regroupe absolument tout ce qu’il faut pour apprendre et jouer aux échecs dans différents modes. Il est même possible de regarder des parties, car des streams sont intégrés. Mais personnellement ce que je trouve le plus intéressant c’est qu’après chaque partie, les joueurs ont la possibilité d’analyser tous les coups qui ont été joués. L’ordinateur leur mentionne chaque opportunité manquée, chaque erreur critique, mais aussi chaque bonne option. Ce qui, couplé à tous les tutoriels concis et poussés rend la progression particulièrement fluide. Bref, Chess.com propose une plateforme complète qui fait s’affronter des joueurs de niveaux équivalents tout en leur offrant tout ce dont ils ont besoin pour progresser. Enfin elle ne leur offre pas vraiment, car pour profiter de toutes les fonctionnalités de manière illimitées il faut souscrire à un abonnement, mais ce n'est pas vraiment la question.
C’est ce genre d’initiatives et de fonctionnalités dont les jeux vidéo compétitifs ont désespérément besoin pour permettre aux joueurs de tout âge et horizon de se lancer et de progresser dans un environnement sain. Et si certains titres proposent des outils comme des modes d’entrainement, l’affichage des frames ou des hits boxes, ils ne sont à mes yeux pas assez didactiques et demandent aux joueurs d’interpréter des résultats. Toutefois on note quelques progrès, par exemple Tekken 7 dispose d’un entrainement à la punition. Pour faire simple, l’adversaire contrôlé par l’ordinateur va enchainer des coups aux propriétés variées tandis qu’il affichera une proposition de coup suffisamment rapide pour punir son assaut. C’est donc un outil qui propose un environnement dénué de toute pression pour apprendre certains aspects d’un match up, car dans Tekken, reconnaitre des attaques, apprendre la frame Data et savoir comment répondre aux coups de l’adversaire c’est le nerf de la guerre. Il est même possible de revoir ses parties en affichant les commandes pour repérer une éventuelle erreur de manipulation et les punitions manquées ou réussies. On pourrait donc imaginer que d’autres jeux de ce type implémentent des outils similaires et les introduire dans un mode arcade pourrait être une solution. On pourrait même imaginer un système de retour dans le temps comme dans un forza horizon qui associé à des propositions de punitions ou de contre-attaques permettrait d’apprendre de nombreuses subtilités mécaniques et ce même au joueur préférant affronter des ordinateurs.
Je suis bien conscient que tous les jeux du marché ne peuvent pas proposer d’outils aussi poussés et que ce qui est valable pour un jeu aussi vieux et « simple » que les échecs ne l’est pas pour des jeux vidéo au nombre de variables gargantuesque. Seulement, tout le monde n’est pas prêt à enchainer des heures de streams ou de vidéos YouTube pour apprendre comment maitriser telle ou telle mécanique avancée. D’autres ont aussi beaucoup de mal à avoir le recul nécessaire pour reconnaitre leurs erreurs et en apprendre. C’est là qu’un système d’analyse absolu et incontestable par ordinateur permet de calmer les égos et d’apporter une approche productive à ces disciplines. Maintenant que des IA comme OpenAI parviennent à battre des joueurs pro des DOTA on peut espérer qu’elle puisse être mise au service du plus grand nombre en partageant les données analysées et en expliquant les choix effectués. J’ai de sérieux doutes quant à la possibilité que ça se réalise parce que ça pose beaucoup de problèmes d’interprétation de données et d’interface, mais elles pourraient apporter beaucoup à des joueurs de tous niveaux. Certains diront peut-être que les joueurs n’ayant pas la motivation d’apprendre par leurs propres moyens n’auraient pas la motivation pour utiliser de nouveaux outils d’apprentissage, mais je reste personnellement convaincu qu’un plus grand nombre de joueurs est pratiquement toujours positif. Et les développeurs ont leur rôle à jouer pour faire disparaitre un maximum de barrières empêchant des novices de persévérer.