Comme chaque mercredi, retrouvez aujourd'hui In Game, votre chronique qui s'attarde sur une séquence ou une scène d'un jeu afin d'en expliquer les ressorts, qu'ils concernent sa narration ou ses mécaniques. Pour ce vingtième numéro, nous nous attardons sur l'Histoire fantasmée dans Call of Duty WW2.
Script
Qui n’a jamais rêvé de voyager à travers le temps et de revivre les moments clés de notre Histoire ? Le jeu vidéo nous offre cette opportunité, celle d’explorer activement notre passé. Et qui de mieux placés que Call of Duty WW2 et le débarquement sur les plages de Normandie pour s’immerger pleinement dans l’Histoire ?
Les oeuvres historiques ou seulement inspirées de faits réels suivent certains codes, et le FPS d'Activision ne déroge pas à la règle en s’appropriant une facilité d’écriture propre au cinéma… le carton.
Le carton - ou intertitre - est un texte filmé ayant pour but d’apporter un complément d’information aux spectateurs. Ce procédé, autrefois utilisé dans les films muets, subsiste encore aujourd’hui et sert à ancrer une oeuvre dite historique dans le réel et donc d’asseoir la légitimité de son propos. Jeu vidéo oblige, ce texte généralement blanc sur fond noir laisse place à une courte introduction en vidéo reprenant le style des documentaires et autres vidéos de propagande d’époque afin de gagner en crédibilité. Choix étrange et notable, Activision a privilégié les images de synthèse plutôt que les images d’archives pour élaborer son introduction. Cela aurait pourtant permis d’attester de la véracité des événements à suivre. En fin de compte, l’Histoire n’existe qu’à travers les yeux de celui ou celle qui la raconte.
Nous sommes le 6 juin 1944, probablement l’une des dates les plus significatives du XXe siècle en occident. Les forces Alliées entassées à bord de navires de guerre attendent patiemment avant de lancer l’assaut sur le mur de l’Atlantique.
Call of Duty WWII débute quelques heures avant le Jour J. Une discussion on ne peut plus anodine et la perte d’un médaillon à l’effigie de Saint-Michel est alors l’occasion de plonger dans la vie de Ronald “Red” Daniels, le première classe que nous incarnons. Cette séquence pouvant paraître dispensable a pour seul et unique objectif de tisser un lien entre ce soldat et ses frères d’armes. Les cadavres qui joncheront bientôt les plages normandes ne sont plus des étrangers désormais et cela sert un but précis… accroître la charge émotionnelle du récit par le biais de l’affecte et donc le sentiment d’immersion.
Un discours galvanisant plus tard - cliché par excellence des films de guerre - les troupes américaines montent à bord des iconiques barges de débarquement direction les rives de la Normandie.
Cette séquence au gameplay limité n’existe que pour augmenter doucement mais surement la tension à mesure que le mur de l’Atlantique se rapproche. Les lointaines détonations puis les salves de mitrailleuses lourdes font ici office de compte à rebours. Les impacts se rapprochent. Une demande de briquet détourne un instant notre attention. Puis le Jour J devient réalité. La rampe de la barge se baisse sous une pluie de plombs qui emporte la majorité de l’escouade. Daniels manque alors de se noyer avant de poser les pieds sur le sol français et de faire la rencontre des tristement célèbres fortifications allemandes… hérissons tchèques, barbelés et bunkers en tête. En remontant la plage, Daniels assiste et nous avec à la folie de la guerre et aux atrocités qu’elle engendre avant d’enfin atteindre la digue et de la faire voler en éclats à l’aide d’une torpille Bangalore. Il est alors temps de répliquer et de repousser l’ennemi à l’intérieur des terres.
Activision ne cherche pas à reconstituer grandeur nature une bataille en particulier, mais à simplement évoquer à sa manière le débarquement en Normandie.
Le studio Sledgehammer Games n’est en quête ni de vérité, ni de réalisme, mais puise dans la littérature et le cinéma pour construire un Jour J divertissant et fantasmé dont vous êtes le héros au risque d’empiler les clichés. Survivre sur la plage, détruire la digue et ses barbelés, parcourir les tranchées, nettoyer les bunkers au lance-flamme, secourir un compagnon et lui administrer de la morphine… quiconque ayant visionné les films “Il faut sauver le soldat Ryan” et/ou “Le jour le plus long” connaît le déroulé des événements à venir avant même d’y prendre part. Call of Duty WWII suggère l’Histoire, s’en imprègne avant de bâtir une expérience de jeu gratifiante autant pour les initiés que pour les profanes.
Albert Einstein disait : “Les amères leçons du passé doivent être réapprises sans cesse.” Espérons que les Arts, et donc le jeu vidéo, nous permettent de nous prémunir de cela en se faisant l’écho de l’Histoire quitte à parfois la fantasmer.