Comme chaque mercredi, retrouvez aujourd'hui In Game, votre chronique qui s'attarde sur une séquence ou une scène d'un jeu afin d'en expliquer les ressorts, qu'ils concernent sa narration ou ses mécaniques. Pour ce dix-neuvième numéro, nous nous attardons sur Super Mario Bros, et plus particulièrement son premier niveau, qui parvient à nous faire comprendre les mécanique du jeu sans lire une ligne de texte.
Script
Qu’est-ce qu’il y a de plus emblématique que le premier niveau de Super Mario Bros, sorti en 1985 au Japon et deux ans plus tard en Europe ? En effet, les premiers pas du plombier moustachu recèlent de trouvailles en tout genre, pour nous apprendre à jouer sans lire une ligne de texte. Retour sur ce niveau mythique qui a marqué les créateurs comme les joueurs dans l’épisode d’InGame d’aujourd’hui.
Est-ce vraiment nécessaire de vous présenter Mario ? La mascotte de Nintendo s’est illustrée dans tellement de jeux et de genres qu’elle apparaît aujourd’hui dans 200 aventures, et a fait vendre 600 millions de titres. Chaque sucess story à son origine, et après des débuts remarqués dans Donkey Kong en 1981, le célèbre plombier a droit à son propre épisode quatre ans plus tard : c’est la sortie de Super Mario Bros sur NES. Et son premier niveau est un bijou de level-design : il arrive parfaitement à faire comprendre les règles du jeu au joueur, uniquement via le gameplay.
Voilà ce que ça donne si on décompose le tout : dans les premiers instants, Mario est placé à gauche de l’écran, avec pas mal d’espace devant lui. Pour le joueur, c’est l’occasion idéale de se familiariser avec les commandes, mais aussi de comprendre ce qu’il devra faire dans l’intégralité du jeu : aller de la gauche vers la droite. A noter que pour l’instant, il n’y a ni ennemi, ni objet qui bouge : c’est quelque chose de totalement voulu par le créateur de Mario Shigeru Miyamoto et Takashi Tezuka, qui fut designer sur le titre. Comme l’expliquent les deux hommes à Eurogamer, il était initialement prévu qu’un Koopa arrive dès le début. Mais il a été retiré par souci de difficulté.
Alors oui, avec des années de jeu vidéo derrière soi, ça paraît ridicule qu’un Koopa soit synonyme de difficulté ou que Mario se dirige autrement que de la gauche vers la droite. Mais ce qui est évident aujourd’hui ne l’était pas forcément dans les années 80. En effet, à la sortie de la NES en 1985, l’industrie du jeu vidéo essuie encore les plâtres du crash de 83, qui a coûté des millions de dollars à des éditeurs comme Atari. Le marché dispose alors d’une dizaine de consoles différentes, avec des titres et surtout des périphériques de contrôle très variés. Bref, quand la NES débarque, c’est opération séduction pour Nintendo : il faut familiariser les joueurs à la manette de la console avec un jeu agréable à jouer.
Mais les qualités du premier niveau ne sont pas uniquement là pour garantir un succès commercial. Si Super Mario Bros apprend des choses au joueur de manière implicite, c’est surtout parce que ça fait partie de la philosophie de game-design de Shigeru Miyamoto. Cette philosophie peut être résumée en une phrase : créer des jeux plaisants et accessibles à tous. Mais revenons à notre niveau de Super Mario Bros.
Quelques mètres après l’écran de départ, le premier bloc surprise apparaît, accompagné du premier ennemi. De nouveau, avec les bons choix de design, le titre arrive à nous faire comprendre ce qui est une menace de ce qui ne l’est pas. En effet, l’air énervé du petit monstre et le fait qu’il s’approche vers nous indique clairement qu’il n’est pas fréquentable, à la différence du bloc lumineux qui ne bouge pas. Le contraste de mouvement entre les deux éléments est ici vraiment important, et ça devient encore plus évident quand on met le jeu en pause. C’est ce que conseille la chaîne YouTube “Extra Credits”, et comme on peut le voir, le Goomba est tout de suite moins menaçant.
Bref, à cet instant du niveau, deux issues possibles : soit on sait que l’on peut sauter par-dessus l’ennemi parce qu’on a bidouillé la manette un peu plus tôt, soit on meurt, on revient quelques secondes en arrière, et on comprend qu’il va falloir passer par-dessus. Et même si c’est l’issue fatale qui nous attend, et bien ce n’est pas grave, car la mort dans Super Mario Bros est très peu pénalisante. Et ça a son importance ! En rapprochant ainsi le début du niveau du premier ennemi, le jeu minimise la frustration du joueur, qui prendra littéralement deux secondes pour retenter sa chance. Le but étant de rendre la courbe d’apprentissage la plus fluide et agréable possible. Bon par contre, dans Super Mario Bros, il n'y a pas plusieurs checkpoints par niveau, comme dans les dernières aventures du plombier. Mais on peut pas tout avoir !
Bref, après ce premier Goomba, l'apprentissage du jeu continue : c'est l'heure de récupérer son premier champignon ! On peut trouver le fameux bonus dans l'un des premiers blocs surprise. Pour l’occasion, une nouvelle astuce force le joueur à aller à sa rencontre : l’item tombe sous une rangée de briques qui empêche Mario de sauter dans tous les sens. Et j'ai bien dit forcer le joueur, car je le rappelle, les moins gamers d'entre nous ne comprendront pas forcément que le champignon est un bonus, surtout qu’il a la même forme qu’un Goomba. C’est donc important de contraindre n'importe quel joueur à prendre l'item. En parlant d’item, Miyamoto a plusieurs fois expliqué que lui et ses équipes avaient choisi le champignon pour représenter le bonus, car ils pensaient que ce serait un symbole positif compris par tous.
D’ailleurs, la compréhension naturelle et intuitive de certains éléments est quelque chose de très important dans Super Mario Bros : c’est ce qu’on appelle l’affordance. On peut définir ça comme des d'éléments intégrés au jeu dont la fonction paraît tout de suite évidente, notamment grâce à leur apparence. Un bon exemple d'affordance est la pièce du cube dans Tetris : il est en effet évident que la forme prendra 2 cases par 2 cases une fois placée en jeu. Même si les affordances de Super Mario Bros sont un chouïa moins parlantes, c’est le genre d’intuitions naturelles qui nous indique que l’on peut se glisser dans un tuyau, ou que l’on peut sauter sur le crâne rondelet des Goomba.
Donc voilà, vous savez à peu prêt tout : c'’est entre autres avec l’affordance et le placement de certains obstacles que Super Mario nous enseigne ses mécaniques. C’est malheureusement quelque chose qui se fait rare aujourd'hui, notamment à cause des gameplay qui se complexifient et des titres qui font appel à une dizaine de touches dans un environnement en 3D. Et malgré sa renommée internationale, même Mario s’autorise des petits rappels. Comme quoi, il vaut parfois mieux être sûr d'être compris que pas du tout.