Comme chaque mercredi, retrouvez aujourd'hui In Game, votre chronique qui s'attarde sur une séquence ou une scène d'un jeu afin d'en expliquer les ressorts, qu'ils concernent sa narration ou ses mécaniques. Pour ce dix-huitième numéro, nous nous attardons sur le sadisme virtuel de Blade & Sorcery.
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Aujourd’hui dans Ingame je vais vous parler d’un truc qui m’arrive rarement : je me suis récemment senti mal à l’aise, moralement parlant, en jouant à un jeu vidéo. Ce jeu c’est Blade & Sorcery, qui vous transforme littéralement en gladiateur sadique, en VR. Attention, chronique PEGI18...
Qu’on se mette bien d’accord sur les termes, quand je parle d’être mal à l’aise, je parle de ce fameux sentiment de surpuissance, un peu transgressive, dans lequel on prend son pied avant de réaliser que tout ceci est un chouia pervers, dans le sens ou on prend plaisir à faire du mal, même s’il est virtuel… L’exemple parfait pour illustrer ce sentiment, c’est justement Blade & Sorcery, un jeu de combat à la première personne, où notre seul but est d’affronter des hordes d’ennemis variés, en réalité virtuelle. On y trouve plein d’armes différentes, des pouvoirs magiques, une physique assez crédible et d’autres features comme le bullet time, ce qui donnent un vrai côté bac à sable à l’expérience.
Ici, la question n’est pas tant de battre les adversaires, mais de le faire avec le plus de style et d’inventivité, puisque c’est à vous, dans la vraie vie, de faire les bons gestes pour triompher. En gros, si vous voulez prendre un adversaire par le cou, le soulever et le poignarder violemment à plusieurs reprises avant de le jeter du haut d’un pont, vous allez devoir mimer ces mêmes gestes dans la vraie vie, et c’est là qu’on se prend le premier effet kiss-cool de Blade & Sorcery, car la VR, c’est sacrément immersif. Et l’on a beau avoir éradiqué des millions d’ennemis dans notre vie de joueur, jamais on a dû mimer des actions qui conduiraient, dans la vraie vie, à une véritable agression physique. Et baser tout un jeu vidéo sur ces actions et sur ces gestes violents, c’est finalement assez dérangeant à vivre…
Pour être tout à fait honnête avec vous, l’un de mes premiers gros chocs sur le jeu, ça a été quand j’ai réussi à mettre un ennemi à terre après une parade, et qu’au lieu d’attendre qu’il se relève, j’ai tout naturellement eu l’idée de lui fracasser le crâne avec mon bouclier, un peu comme Russel Crowe dans Gladiator. J’ai trouvé ça super chouette que le jeu me permette de faire ça, car c’était la promesse de gameplay du titre, mais ça m’a fait bizarre d’apprécier ce réalisme. Et en faisant mes recherches sur le net pour cet InGame j’ai trouvé énormément de façon de jouer à Blade & Sorcery, souvent très classe et ultra-violente, preuve que mon coup de bouclier n’était finalement pas très inventif.
On est ici sur un jeu où c’est avant tout l’emprise totale sur des créatures virtuelles qui nous est proposé. Du coup, d’une certaine manière, le but est de les martyriser, de jouer avec leur mort. Et si, sur Blade & Sorcery, c’est totalement le but assumé, on pourrait comparer ce “sadisme virtuel” aux sessions de “meurtre créatif” qu’on a tous vécu sur Les Sims. Sur le papier, c’est pas pire que de trucider nos créatures en enlevant l’échelle de la piscine, en les affamant, ou en mettant le feu à une pièce blindée de mobilier en bois… bon, on l'a tous fait, mais est-ce qu’on est tous devenu des psychopathes suite à ça ? Non, enfin, je crois pas…
Pour autant la VR apporte une amplification immersive indéniable qu’il faudrait surveiller si on la conjugue à de l’ultra violence. car si l’immersion dans les jeux classiques vient des graphismes ou de la mise en scène, celle en VR vient en grande partie du gameplay, que l’on va souvent “mimer” dans la vraie vie. Il ne faut donc pas oublier que par nature, la VR dupe le cerveau, renforçant l’immersion dans les expérience vécues. Il suffit d’essayer un survival horror en VR pour se rendre compte que c’est déjà diablement efficace alors imaginez ce que ça donnera d'ici quelques années lorsqu'on aura renforcé le confort des casques et la crédibilité des graphismes et des contrôles.
Enfin et pour finir, j'évoquerai le second effet kiss cool de blade and sorcery : au fil des minutes, on se prend de plus en plus au jeu et on devient progressivement ce fameux gladiateur tout puissant. C'est comme pratiquer un art martial ou faire une grosse session d'airsoft ou de paintball : plus ça dure sur le temps et plus l'engagement physique, et mental, se voit renforcé. Est ce que ça en fait des activités dangereuses ? Probablement pas, mais attention à ne pas être trop s'exposer à ce genre de violence et de stress, certes exaltant et inoffensif puisqu'il s'agit d'un jeu, mais qui procure des sensations très fortes que l'on est pas toujours prêt à encaisser sur de trop longues sessions. Si je vous dit ça c'est évidemment pas pour taper sur Blade and sorcery que je trouve assez exceptionnel et jouissif, mais c'est plutôt pour prévenir que sans le savoir, et si on fait pas attention à la manière dont on conçoit et consomme la VR, on se dirigera peut être vers des dérives à la Dot Hack, ExistenZ ou encore Black Mirror. C’est à dire vers des mondes où le jeu est si prenant et immersif qu'il en deviendra dangereux pour l’esprit, bref, le rêve ultime du joueur, certes, mais aussi sa plus grande crainte…