Comme chaque mercredi, retrouvez aujourd'hui In Game, votre chronique qui s'attarde sur une séquence ou une scène d'un jeu afin d'en expliquer les ressorts, qu'ils concernent sa narration ou ses mécaniques. Pour ce seizième numéro, nous nous attardons sur la physique d'Half-Life 2.
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Comme un bug dans la matrice, une erreur dans notre espace temps actuel, Valve a annoncé un nouvel Half-Life le jour de la sortie de Shenmue 3 ! Pas de trois par contre dans le titre du projet des tauliers de Steam mais la promesse d’un véritable porte-étendard pour la réalité virtuelle. Et cet Half-Life : Alyx, s’il a pu surprendre de nombreux joueurs, entre, nous allons le voir, dans une certaine logique pour le studio, une logique physique même, qu’un certain Half-Life 2 a révolutionné à son époque. De Ravenholm à la VR, il n’y a qu’un pas que nous allons décortiquer dans cet épisode d’In Game où vous allez le constater, la physique, ça compte !
Lorsqu’au terme d’un développement compliqué et d’un leak qui aura coûté plusieurs retards au projet, Half-Life 2 sort en novembre 2004 sur PC, les joueurs découvrent une suite à la technologie en tous points supérieure à son aîné. Mieux animé, mieux éclairé, mieux mis en scène, le titre est tout entier construit autour des possibilités offertes par son nouveau moteur le Source Engine, méticuleusement conçu par Valve afin de répondre à une large palette de besoins mais aussi pour être le plus évolutif possible. Chacune des composantes de cet outil, qu’elles soit en rapport avec les graphismes, la partie sonore, l’intelligence artificielle ou ce qui nous intéresse ici la physique, peut être mis à jour à la volée sans impacter outre mesure les autres modules. Valve a d’ailleurs largement profité du déploiement quasi-simultané de sa toute jeune plateforme Steam, rendue obligatoire pour jouer à Half-Life 2, pour incrémenter au fil des patchs et des extension de nouvelles technos ou versions améliorées de son moteur. Ce fut par exemple le cas pour le HDR ou High Dynamic Range Lighting arrivé avec l’épisode Lost Coast.
Mais la véritable révolution du moteur source réside dans son utilisation inédite de la physique grâce à l’intégration d’une version hautement modifiée du moteur de rendu Havok sorti au début des années 2000 que Valve a trituré et largement adapté à ses ambitions tout au long du développement. Remettons les choses dans leur contexte, en 2004, la physique dans les jeux n’en est qu’à ses encore balbutiements, elle est utilisée au mieux en tant que gimmick visuel dans la plupart des productions ou de manière ultra contenue faute de maîtrise suffisante. Valve décide d’adopter une approche totalement inédite pour l’époque, non seulement le moteur physique sera constamment présent en jeu, mais il servira de pivot à un gameplay où l’interactivité totale entre le joueur et son environnement sera au centre de tout.
Nous n’évoluons donc plus dans des décors statiques, mais dans de véritables terrains d’expérimentation ou la plupart des objets peuvent devenir des outils de gameplay, des armes et peuvent aussi faire office de support narratif. Il n’y a qu’à voir de quelle manière nous est introduit la physique du jeu à travers une séquence toute simple, mais qui en dit pourtant long sur le boulot sur le travail du studio en matière de story-telling par la physique. Dans une séquence devenue aujourd’hui assez iconique, un agent de sécurité nous nargue et fait tomber au sol une canette vide nous ordonnant de la ramasser et de la jeter à la poubelle. Le joueur comprend à ce moment son emprise directe sur la physique du jeu, il peut saisir des objets, mais aussi les projeter face à lui et détourner leur fonction de base pour s’en servir d’outils. L’une des grandes réussites du jeu, c’est d’avoir réussi à rendre cette physique aussi intuitive et simple d’utilisation que dans la vie réelle. À aucun moment le jeu ne nous explique noir sur blanc qu’un bidon peut servir d’arme.
La création de ce terrain d’expérimentation pour le joueur, à la mise en pratique simple et intuitive, ne relève pas du domaine de la magie du game design et a nécessité un immense travail du côté des développeurs. Tout était à faire car si tout le monde parlait de la physique à cette époque, personne n’avait le bagage technique pour l’incorporer facilement en jeu. Dans une conférence donnée lors de la Game Developer Conference de 2006, le développeur Jay Stelly de chez Valve explique que l’équipe n’a pas voulu construire le jeu à la manière d’un simple simulateur, ils se sont d’abord focalisés sur l’efficacité du gameplay avant d’essayer de petit à petit intégrer chacun des outils physiques via une série de petits prototypes playtestés des centaines de fois en interne.
L’idée était d’introduire clairement et sans précipitation chacune de ces nouvelles possibilités au joueur et de lui faire comprendre l’étendu de ses futures possibilités par plusieurs techniques de game design. La première étape est d’introduire le joueur à une mécanique en lui démontrant son efficacité comme lorsque ce bidon roule sous la langue d’un Barnacle suspendu au plafond et que la créature s’en empare. On comprend alors qu’il sera possible de leurrer ce type d’alien en utilisant des éléments du décors. Half-Life 2 introduit donc petit à petit chacune de ses mécaniques de jeu, la plupart du temps par des indices visuels mis en évidence dans une situation donnée. Un procédé que le studio réutilisera avec succès dans sa saga Portal.
Tout est suggéré par le placement des objets ou encore la position des ennemis. Les opportunités physique d’Half-Life 2 prennent une toute autre dimension grâce à l’introduction de deux éléments en particulier dans le jeu : l’acquisition du Gravity Gun et l’arrivée de Gordon Freeman à Ravenholm. Le Zero Point Energy Field Manipulator, plus connu sous le nom de Gravity Gun est l’une des armes les plus iconiques du FPS moderne, un outil si riche en possibilités qu’il est capable de radicalement changer notre manière d’aborder les affrontements du jeu. Lui qui est à la base destiné à des tâches de manutention, comme soulever de lourdes charges, se transforme, en combinaison avec le moteur physique du jeu en une arme de premier choix, aussi fun à utiliser que gratifiante pour le joueur. Et quoi de mieux qu’une zone entièrement pensée autour de son utilisation pour en découvrir tout le potentiel, c’est précisément la fonction que rempli la cité abandonnée de Ravenholm et ses hordes de crabe de tête à zigouiller de manière créative.
Dès son arrivée dans la ville minière, on se retrouve bloqué par deux lames de scie circulaire plantées dans le mur, on utilise alors son Gravity Gun pour en extraire une et c’est pile à ce moment là que le script du jeu déclenche l’arrivée d’un headcrab n’attendant qu’un simple clic pour se faire découper en deux. On est alors immédiatement récompensé pour notre action, tant visuellement car c’est cool de zigouiller un alien de cette façon qu’au niveau de la progression à venir puisque utiliser le décor en tant qu’arme ne gaspille pas de munition. La physique devient ainsi une seconde nature pour le joueur, elle lui est enseignée par différents exemples concret tout au long du jeu, parfois par de simples tuto de mise en situation lorsque la mécanique se montre plus complexe, parfois de manière plus environnementale comme on a pu le constater.
Valve a beaucoup appris du développement de Half-Life 2, faisant par la suite de l’utilisation du moteur physique associé à son Source Engine l’une des fonctionnalités indissociables du studio, raffinant sa technique quelques années plus tard Portal 2, supportant officiellement la boîte à outil sandbox Garry’s Mod et à la lumière de ce passé guidé par la recherche constante de la physique la plus réaliste et fun. On comprend aujourd’hui mieux l’envie de Valve de faire renaître sa saga Half-Life sous le jour de la réalité virtuelle. La VR est un champ d’expérimentation rêvé pour la physique, permettant des interactions directes avec le décor. Ce n’est pas pour rien qu’une bonne partie des jeux en réalité virtuelle entretiennent un rapport tout particulier avec le sens du toucher, de la préhension et que les évolutions hardware en la matière concernent certes l’amélioration de la qualité d’affichage ou la portabilité des casques, mais aussi leurs manettes qui cherchent toujours plus à reproduire fidèlement les possibilités physique de nos mains et de nos corps, un domaine que Half-Life : Alyx entend sans doute lui aussi chambouler à sa sortie.