Comme chaque mercredi, retrouvez aujourd'hui In Game, votre chronique qui s'attarde sur une séquence ou une scène d'un jeu afin d'en expliquer les ressorts, qu'ils concernent sa narration ou ses mécaniques. Pour ce dixième numéro, nous nous attardons sur le scénario de Dark Souls et sa narration.
Dans ce numéro de InGame TheGreatReview aborde le scénario et la narration de Dark Souls le célèbre action RPG très exigeant de From Software sorti en 2012. Attention Spoil à venir dans ce dixième épisode qui décortique le scénario du jeu à travers le combat contre le boss final : Gwen le seigneur des cendres. Le sound design, le chara design du boss ainsi que son nom sont les aspects majeurs sur lesquels l'analyse va s'attarder pour mettre en lumière le scénario obscur de Dark Souls.
Script
Dans Dark Souls : on vous donnera jamais l’histoire de façon claire. Les objectifs sont obscurs, les cinématiques sont muettes et les PNJ parlent par énigmes. Il y a donc 2 façons de faire le jeu : ignorer l’histoire et tracer en ligne droite en espérant pas se faire one-shot par un zombie, ou passer des heures à observer les cartes et à lire les descriptions des objets pour essayer de comprendre ce qui se passe.
C’est cette façon de raconter une histoire de façon indirecte dont on va parler aujourd’hui en se concentrant sur la scène où l’on affronte le boss de fin du jeu. Du coup ba, je vais spoiler Dark Souls , vous êtes prévenus.
Mais avant la scène de fin : rapide point histoire pour que vous compreniez comment on en arrive là : dans son état naturel le monde de dark souls est gris et figé et immuable.
Puis apparaît la flamme, qui n’est pas un feu ordinaire mais une magie et tant qu’elle brûle, elle amène la disparité dans le monde. La flamme crée la différence, elle crée l’évolution et surtout elle crée : les opposés : la lumière et les ténèbres, le passé et le futur, la vie et la mort.
Lorsque le jeu commence la magie est en train de s’éteindre et plus problématique encore : tout ce qu’elle a apporté est en train de disparaître avec elle. Parce que la distinction entre vie et mort est en train de s’estomper, tout le monde est coincé dans un État entre les deux, c’est pourquoi presque tous les personnages sont des morts-vivants. Parce que la distinction entre passé et futur s’estompe on rencontre des personnages qui devraient être morts depuis des siècles et d’autres qui ne naîtront pas avant plusieurs générations, le chevalier solaire dira poétiquement que « l’écoulement du temps est convoluté dans le royaume » mais la vérité est plus sérieuse que ça, la vérité c’est que le concept même de temps est en train de se faire la malle.
Et dans tout ça, y a vous, un mort-vivant libéré de sa prison qui va crapahuter pendant les 50 prochaines heures dans un royaume en ruine. Plus ou moins guidé d’objectif en objectif par une troupe de PNJ tous fous à lier et par un serpent qui vous fait miroiter la possibilité de relancer la flamme si vous allez là où il vous dit d’aller et affrontez qui il vous dit d’affronter.
Après 50 heures de douleur vous arrivez enfin à l’endroit où la flamme est apparue pour la première fois et le boss de fin vous attend : pour Le joueur ordinaire qui a traversé le jeu en ligne droite et qui avait mieux à faire que d’étudier les statues ça ressemble à ça : il tombe sur un boss avec une épée enflammée, se fait démolir un nombre X de fois, fini par gagner, le boss meurt sans dire un mot, s’ensuit une très courte cinématique pendant laquelle tout s’enflamme et …. rideau. À ce moment-là le joueur ordinaire se dit « chouette j’ai réussi à rallumer la flamme, c’était le but à la base, du coup probablement que tout est bien qui finit bien. » .
Maintenant on va lister qu’il fallait voir pendant cette scène :
La première chose : c’est la musique, cette musique si belle, mais terriblement mélancolique qui joue pendant le combat. En langage musical c’est un piano en la mineur qui forme une dissonance en répondant un autre piano en Fa majeur, en langage normal : ça veut dire que tu vas avoir envie de t’asseoir dans un coin pour pleurer. Et c’est très étrange d’avoir une œuvre aussi triste pour un épique combat final, c’est d’autant plus bizarre que dark souls n’a aucun problème avec les musiques épiques, jusque là les musiques de boss elles ressemblaient à ça.
Ensuite vient l’identité du boss : gwen, seigneur des cendres.
Gwen nous a été présenté dans la cinématique d’intro du jeu, c’est une créature d’une puissance hors du commun qui a profité de l’arrivée de la flamme pour instaurer un âge de lumière, c’est lui qui a fondé le royaume que l’on vient de traverser et qui régné dessus pendant probablement des millénaires.
Ce qu’il faut remarquer ici c’est que très étrange que ce soit lui le boss de fin parce que, on est dans le même camp. Gwen veut bien évidemment que l’âge de lumière continue, donc il a besoin que la flamme continue de brûler et nous on cherche à la raviver, on devrait pas se battre.
La raison pour laquelle on se bat : n’est pas immédiatement visible lorsqu’on entre dans la salle, parce que Gwen se tient trop loin au début du combat, mais lorsqu’il traverse la salle et que la lumière émise par son épée illumine son visage, un premier mystère s’éclaircit : sa peau est émaciée, ses orbites sont vides, il ne reste plus rien du visage vénérable de la cinématique d’intro, Gwen a pris l’apparence des carcasses qu’on a affrontées tout au long du jeu : des morts-vivants qui, a force d’être tués en boucle sans pouvoir vraiment mourir, on perdu leur âme.
La traduction française a été très moyenne sur le coup, en anglais les carcasses s’appellent des hollow, un mot qui signifie « creux », parce que c’est en perdant leurs âmes et donc en se retrouvant creux que ces gens ont perdu la raison et sont devenus ces créatures qui hantent le royaume.
Gwen nous attaque parce qu’il est devenu une carcasse et à ce moment-là il nous reste plus qu’une question à poser pour comprendre ce qui se passe, où a bien pu passer son âme ? Les humains perdent leurs âmes à force d’être tués en boucle sans pouvoir vraiment mourir mais ça n’est certainement pas arrivé à la créature la plus puissante du monde. La réponse à cette dernière question se trouve dans l’endroit où on le trouve, le Kiln de la première flamme, mais également dans la seconde partie de son nom : Gwen, seigneur des cendres : c’est pas la bon nom. Gwen est le seigneur de la lumière, ça nous est répété à peu près 12 500 fois dans le jeu. Son nom est toujours suivi par son titre, ce titre est révéré par les habitants du royaume parce que ce n’est pas qu’un titre, dans ce monde, Gwen représente presque physiquement, la lumière. Mais lorsqu’on le trouve, la lumière a été remplacé par les cendres.
Et ce dieu qui est passé de la lumière aux cendres, nous le découvrons à côté de la flamme, cette magie qui fait des choses miraculeuses mais qui se comporte en bien des aspects comme un véritable feu : pour continuer à brûler, une flamme ça a besoin de quelque chose à consumer, or on peut facilement imaginer qu’une flamme pareille ne consomme que ce qu’il y a de plus précieux dans le monde de dark souls : les âmes.
Terrifié à l’idée de voir la flamme s’éteindre, Gwen a offert sa propre âme comme combustible ce qui a probablement retardé la fin du monde, mais vu l’état dans lequel est le royaume qu’on vient de traverser, la solution n’était définitive, et il est l’heure de rajouter du combustible.
C’est pour ça que le serpent nous a envoyé au 4 coins du royaume pour y affronter les pires monstruosités, parce que dans dark souls tuer quelque chose permet d’absorber son âme pour renforcer la nôtre. Le serpent a choisi un mort-vivant parfaitement ordinaire, et lui fait absorber des âmes d’adversaires de plus en plus puissantes jusqu’à ce que sa propre âme soit devenue assez grande pour brûler avec une force telle qu’elle relancera la flamme.
Et alors même qu’on nous demande déjà de de nous sacrifier, on comprend que la solution n’est pas même pas définitive, parce que si une âme comme celle de gwen n’a pas réussi à ramener définitivement la flamme, alors on fera pas mieux.
Le lieu dans lequel se déroule le combat nous apprend que Gwen est allé à la rencontre de la flamme elle-même pour trouver une solution, son apparence nous apprend la nature prédatrice de la flamme qui consume des âmes pour continuer à brûler, l’identité de Gwen nous apprend que la flamme est insatiable et que notre propre sacrifice ne sera qu’une solution temporaire, et la musique finit d’appuyer sur le sentiment de d’inéluctabilité qui accable le joueur au moment où il réalise tout ça, alors même qu’il est censé être en train de triompher du jeu.
Dark Souls est un jeu dur, certains s’amusent à le speedrun ou à le faire en restant niveau 1, mais pour nous autres mortels, compléter un souls est un combat, et arriver au boss de fin c’est déjà une victoire, ça veut dire que 99 % du jeu est dernière nous.
Et bien dans ce moment, qui devrait appartenir au joueur, Dark Souls le regarde dans les yeux et lui dit « t’es arrivé à la fin, bravo, mais c’est pas une fin glorieuse qui t’attend. Tu ne vas sauver personne et sur le long terme tu ne va rien changer, t’es juste le prochain sacrifice et le mieux que tu puisses espérer c’est fournir un peu plus de lumière à un monde perpétuellement en train de s’éteindre. »
Et tout ça est dit sans cinématique et sans dialogue, avec rien d’autre que le design du boss, son nom et sa musique. Dans une séquence de fin qui ne prononce pas un mot, mais qui dit beaucoup.