Voilà une semaine que Doom Eternal est sorti. Vous avez pu apprécier ses combats, sa plastique irréprochable et sa bande-son énervée à souhait. Ça ne vous aura pas échappé les Glory Kills sont centraux dans le gameplay de Doom. Revenons donc ensemble sur les animations qui les composent et sur les principes qu'ils suivent dans ce nouvel épisode d'In Game
Script
Doom Eternal est un excellent jeu à bien des égards. Un gameplay jouissif, un gun design de génie, une bande-son à couper le souffle… Mais un des éléments qui m’a personnellement frappé lors de mes premières sessions, sont les animations. Alors évidemment les animations sont un élément de la plus haute importance de notre médium, cela vaut pour énormément de jeux. Mais Doom Eternal utilise tellement bien certains principes fondamentaux de l’animation traditionnelle et de jeux vidéo qu’il peut faire office de cas d’école.
Du coup, si je vous dis Doom et animation vous me dites… Oui : Glory Kills.
C’était LA nouvelle feature de Doom 2016, une mécanique qui a complètement remodelé la manière dont on appréhende les combats. Elle est centrale au gameplay car elle offre des points de vie au joueur, mais aussi une respiration dans un jeu qui n’en offre que très peu. Il était donc essentiel que ces exécutions soient calibrées au millimètre près. L’animation répond à beaucoup de principes. 12 principes de bases ont été listés par Ollie Johnston et Frank Thomas des animateurs de Disney qui ont posé les bases de toutes ces théories. Évidemment on ne les verra pas toutes aujourd’hui mais c’est intéressant de voir que ces préceptes sont utilisés dans Doom. Parce qu’entre le doomguy et Mickey, il y a un certain fossé. Ces règles sont globalement utilisées dans toute l’animation dans une certaine mesure. Mais celles qui nous intéressent aujourd’hui sont les suivantes : l’anticipation, la compression et l’étirement, la mise en scène, l’amorti, et le partie par partie.
Commençons par l’Anticipation. L’anticipation désigne tout ce qu’il se produit avant l’action. C’est la préparation d’un coup de poing, la course sur place de Tex Avery, tout ce qui induit une accumulation d’énergie qui rendra l’action plus impactante. Dans le cas de Doom c’est particulier parce que le personnage du Doomslayer nous est présenté comme surpuissant et est là pour donner un sentiment de contrôle et de satisfaction maximum au joueur. Hors, ici c’est l’absence d’anticipation ou en tout cas la minimisation qui est intéressante, car elle ne dure que quelques frames et est presque imperceptible. Cela induit que le doomguy est tellement puissant qu’il n’a pas besoin d’accumuler d’énergie. Ça a en plus l’avantage de raccourcir la durée du Glory Kill et de nous rendre plus rapidement le contrôle.
La compression et l’étirement servent à donner de l’élasticité à un objet. Ce sont les joues qui se déforment lors d’un coup de poing ou un personnage qui s’écrase sous un coup de marteau. Évidemment dans le cadre d’un jeu aux proportions réalistes ce principe se veut plus discret que dans un cartoon mais permet néanmoins d’accentuer la violence. Un nerf qui résiste, le haut du visage qui part avant le bas, il est plus minime mais présent néanmoins. Et surtout il crée chez le joueur une habitude, il imagine que chaque glory kill aura ce genre d'interaction. Ce qui rend ce glory kill bien précis complètement hilarant. Au delà de sa pauvre tête de victime, c’est bien le fait que sa tête reste coincée qui est fabuleux. On a la compression, mais pas l’étirement.
La mise en scène quant à elle est plutôt parlante, c’est tous les moyens utilisés par un metteur en scène, un animateur ou un développeur pour focaliser notre attention sur un élément. Ça peut être un élément en arrière plan, un mouvement de caméra, un script spécifique. Dans le cas des animations de Glory Kill c’est un mélange de gestion de caméra, de mixage audio et de modificateur de gameplay. La surbrillance d’un ennemi en plein milieu d’un combat lorsqu’il nous reste que 10 points de vie est un indicateur d’opportunité à saisir. Une fois initié, le son ambiant est atténué au profit des sfx et de la bande son de Mick Gordon, la profondeur de champ se réduit drastiquement, ce qui d’une part focalise notre attention sur la violence qui va être déchainée et d’autre part enferme littéralement l’ennemi dans le flou, ne lui laissant aucune chance. Le dernier élément de mise en scène par le gameplay est évidemment l’invulnérabilité qui est offerte au joueur tout au long de l’animation. La surbrillance est là pour nous donner envie d’aller chercher ce Glory Kill, le mixage et la gestion de caméra pour qu’on en profite et l’invulnérabilité et le gain de point de vie pour nous récompenser et nous permettre d’aller toujours de l’avant.
On va voir l’amorti et le partie par partie conjointement car dans le cas qui nous intéresse ces principes sont étroitement liés. L’amorti représente le ralentissement en début et en fin de mouvement. Beaucoup de jeux en 2d vont jusqu’à appliquer des freeze frames pour accentuer l’impact par exemple. Pour schématiser on peut le prendre comme une courbe de vélocité dont le plus grande intensité se trouve en milieu de courbe. Le début étant l'anticipation que nous avons traité plus tôt et la fin étant la continuité lorsque que la force d’un coup porté emporte avec lui le protagoniste. Le partie par partie quant à lui désigne le fait de déterminer plusieurs poses clés dans notre animation et de combler le vide par la suite. C’est généralement moins fréquent dans le cadre d’animations plus réalistes pour lesquelles on a tendance à privilégier la motion capture, mais la violence très graphique des glory kills et la rapidité de leur exécution nécessite des poses marquantes. L’amorti est ici particulièrement marqué car la pose clé est pratiquement systématiquement maintenue pendant plus de la moitié de l’animation. Ce qui permet encore une fois d’accentuer la puissance du coup et la satisfaction de cette demi seconde de répit.
Comme vous pouvez le voir énormément de connaissances, et de compétences sont mises en oeuvres pour des animations de très courtes durées. Toutefois cela à tout sons sens tant les Glory Kills sont au centre de toute l’expérience Doom. Et ils allient avec brio lisibilité, satisfaction, variété, impact sur le gameplay, nervosité... On pourrait en parler pendant des heures tant ils sont créatifs et utilisent les archétypes des ennemis. Certains ont des cornes ? laisse moi l’attraper pour lui trancher la gorge. D’autres ont un gros oeil globuleux ? Celui là envoie des grenades sur le joueur ?
Doom Eternal est un jeu particulièrement bien animé. Ce n’est pas le cas que lors des Glory Kills. Lors de combats intenses il est essentiel d’identifier instantanément une menace pour savoir comment y répondre. Chaque archétype d’ennemi ayant chacun leurs forces, leurs faiblesses et leurs patterns spécifiques. En designant des démons drastiquement différents, et en les animant d’une main de maître, iD Software nous le permet. Un test rapide pour déterminer si l’animation d’un personnage est fonctionnelle et lisible est de passer ledit personnage en silhouette. Ici le fait que les démons soient pratiquement toujours face au doomguy et qu’ils disposent tous de caractéristiques physiques propres nous permet de les identifier même en vision périphérique. Tout cela dans le but de conserver une action frénétique, lisible, jouissive et surtout juste car il en devient impossible de blâmer le jeu pour un déséquilibre quelconque ou d’être mort d’une attaque que l’on aurait pas vu venir. Je pourrais vous parler des animations de Doom Eternal tant c’est passionnant mais je pense que le meilleur moyen pour constater l’efficacité du travail accompli reste d’y jouer.