Les titres édités par Devolver se suivent et se ressemblent sur la forme mais pas sur le fond. Baignant dans un flot de pixels colorés agrémenté de musiques rythmées, Crossing Souls dépeint une grande aventure narrant le périple d’adolescents semblant sortir des Goonies. Imaginez : lors du premier jour des vacances d’été de l’année 1986, un crépitement de talkie-walkie réveille Chris, le héros. De l’autre côté des ondes, Kevin, son petit frère, l’invite à venir le rejoindre dans son QG (une cabane dans un arbre) en compagnie du reste de leur bande. Habituée à faire les quatre-cent coups, la fine équipe va devoir en distribuer d’autres. Comme si les bandes rivales ne suffisaient pas, ce sont carrément les âmes damnées qui viennent hanter les rues de Tajunga à cause d’une étrange pierre égyptienne. De quoi mettre à l’index ces amis unis comme les cinq doigts de la main ?
Crossing fingers
Lorsque le personnage principal de Crossing Souls sort des bras de Morphée suite à l’appel de son petit frère, il est un adolescent comme les autres qui souhaite profiter comme il se doit de ses vacances. En quelques secondes de jeu, le décor est planté avec en guise de graines de multiples références à la culture populaire des années 80. L’ambiance sonore oscille entre les symphonies d’un John Williams et les mélodies électro d’un Stranger Things. Si l’on ajoute de jolis graphismes en pixel art en plus de scènes cinématographiques semblant provenir d’un vieux dessin animé de Récré A2, le doute n’est plus possible quant à l’affiliation avec papa Devolver. Fourattic, le studio de développement, fait preuve d’une grande maîtrise dans l’ambiance qui se dégage de son oeuvre. Si vous avez vécu au moins une fois dans votre vie l’insouciance des matinées ensoleillées d’été planté devant Denver le Dernier Dinosaure, alors oui, Crossing Souls vous plongera en quelques minutes dans une plaisante mélancolie.
Afin d’aider les compères dans leur périple, 3 types de bonus sont à ramasser : vie, éclairs étourdissants et bombes. Ils sont accessibles grâce à la croix directionelle.
Le soft demande au joueur de remplir différents objectifs en vue de dessus, pour avancer dans le scénario en traversant divers environnements. Crossing Souls donne pour cela la faculté d’incarner cinq héros, qui, à la manière des RPG d’antan, “fusionnent” avec le personnage sélectionné dès lors qu’il se déplace dans un niveau. Une simple pression sur la gâchette gauche permet de switcher d’adolescent et donc de bénéficier de ses propres compétences d’attaque comme d’exploration. Il faut donc sélectionner le bon individu selon la situation donnée, certains ados ne pouvant tout simplement pas effectuer une action aussi primaire que le saut, ce qui peut poser problème lorsqu’un passage plate-forme s’annonce. Chris sait escalader et frappe à la batte de baseball là où Matt, la tête d’ampoule de la bande, tire au pistolet gamma et plane grâce à ses chaussures à propulsion. Il est aussi capable d’actionner les mécanismes électriques par l’intermédiaire de son arme fétiche. Big Joe, le pro de la castagne qu’un Lopez ne renierait pas, déplace les objets lourds tandis que Charlie manie la corde à sauter comme personne. Ensemble, ils sont une machine de guerre imparable capable de retourner n’importe quelle situation à leur avantage, si bien sûr le joueur sélectionne la bonne capacité face au défi donné.
De la baston dans les rues
Ghostbrothers
À un moment précis de l’histoire, il devient possible d’être accompagné par un autre lascar, à sélectionner cette fois-ci avec la gâchette droite. Ce dernier peut être dirigé indépendant du reste de la bande, ce qui est utile pour résoudre certains puzzles qui nécessitent par exemple la présence d’un poids sur un interrupteur pour ouvrir une porte pendant qu’un autre la franchit. Ce personnage spécial a également la particularité de passer à travers certaines paroies, faisant de lui l’adjuvant idéal pour les missions d’infiltration. Tous ces héros possèdent des points de vie (à ramasser dans le décor ou sur les ennemis occis) ainsi qu’une barre d’endurance qui se vide à chaque attaque, esquive, et compétence utilisée. Si un personnage meurt, alors c’est le game over pour toute la clique et il faudra recommencer au dernier checkpoint.
Des scènes cinématiques à la douce saveur des vieux dessins animés des années 80 ponctuent les moments forts du jeu.
Grâce à une pierre magique récoltée au début du jeu, la bande a la faculté de faire apparaître des ennemis se trouvant sur une dimension où des fantômes rôdent. Une tâche sombre les matérialise par ailleurs dans le monde réel, monde dans lequel ces démons restent agressifs et peuvent blesser le badaud. Switcher de dimension ne permet pas d’esquiver les coups, la petite escouade restant atteignable quoi qu’il arrive, contrairement aux adversaires qui ne peuvent être touchés que dans la dimension annexe.
Un puzzle qui en fait des caisses
Le Douât dans l’engrenage
Dans sa grande générosité, Crossing Souls alterne des phases de recherche, de plate-forme, de combat et de réflexion. Il n’y a pas d’objectif secondaire ici, et le jeu est au final linéaire, narratif. Les ennemis rencontrés ont des patterns simples à retenir et se contentent la plupart du temps d’envoyer des projectiles ou de charger nerveusement. Il n’y a pas de système de combo ni de points d’expérience : le titre de Devolver fait dans la simplicité et l’efficacité. Les séquences de plate-forme, globalement simples, manquent légèrement de précision à cause d’un soupçon d’inertie dans les contrôles, et d’une vue isométrique qui trompe parfois la perception. Du côté des puzzles, là encore, tout se fait sans encombre. Les énigmes, pas vraiment originales, font appel principalement à la mémoire et se résolvent plus facilement avec un bloc note ou avec un appareil photo à portée de mains. La présence de puzzles basés sur des caisses à tirer puis à contourner laisse cependant perplexe, puisqu’elle met en exergue l’impossibilité de passer par-dessus les propres objets déplacés par Big Joe. Les boss remplissent totalement leur rôle et font gentiment rager en fin de parcours, même si la profusion de sucettes de vie rend ces affrontements totalement surmontables.
Crossing Souls fait visiter du pays : ville californienne, forêt perdue, manoir hanté, ruines dans le désert, temple mystérieux... Il y en a pour toutes les envies.
Tout au long de l’épopée qui dure une dizaine d’heures, les développeurs cassent fréquemment la routine en délivrant des scènes au gameplay spécifique. Qu’il s’agisse d’infiltration en se faufilant entre des faisceaux lumineux, de fuite pure en slalomant entre des obstacles, ou encore d'exercice musical en reproduisant les séquences d’un simon géant, les jeux dans le jeu rythment agréablement l’avancée. Une variété qui se retrouve dans les décors visités, même si ces derniers n'impressionnent pas forcément par leur originalité. On peut évidemment comprendre l’envie des développeurs de mettre en pixels des stages qui parlent à tous, mais il est tout de même dommage de devoir traverser une nouvelle fois des égouts verdâtres et autres bases militaires aussi secrètes que peu réjouissantes à parcourir. Si certains niveaux tirent en longueur, Crossing Souls réussit tout de même à nous embarquer dans son délire rocambolesque qui semble sortir de l’esprit d’une jeune âme abreuvée aux Chair de Poule. Peu importe, au final, la qualité de l’écriture somme toute conventionnelle, c’est le chemin parcouru qui compte.
Points forts
- Direction artistique réussie
- Gameplay efficace et sans fioriture
- Rythmé, dynamique, plein de rebondissements
- De l'action, de la plate-forme, du puzzle...
Points faibles
- Scénario qui part vraiment dans tous les sens
- Certains niveaux tirent en longueur
- Des puzzles loin d’être originaux
- Une maniabilité pas faite pour les passages trop précis
Crossing Souls parlera avant tout aux trentenaires dopés à la “culture geek” des années 80 qui sont à la recherche d’un bon jeu d’action-aventure capable de leur évoquer de bons souvenirs. Filmiques, tout d’abord, avec de nombreuses références aux oeuvres de cette époque. Vidéoludiques, ensuite, grâce à du pixel art qui habille un gameplay simple et très efficace qui rappelle les vieux beat’em up des salles d'arcade. Comme dans toutes les quêtes initiatiques, l’amour et la mort se côtoient. Cette histoire de pierre magique qui mélange action, plate-forme et puzzle ne nous a en tout cas pas laissé de marbre.