Genre très peu représenté en occident, le Visual Novel est érigé en institution au Pays du Soleil Levant et qui de mieux que 5pb.Games pour l'exporter sur nos terres. Ce studio s’est spécialisé dans le jeu d’aventure narratif et sa série “Science Adventure” est la parfaite représentante de son savoir-faire en la matière. Les licences Chaos et Steins appartiennent donc au même univers fictionnel et Chaos; Child, sorti initialement au Japon en 2014, prolonge la saga. 3 ans plus tard, le titre débarque dans nos contrées. Mais est-il à la hauteur de ses prédécesseurs ?
Il était une fois…
Tokyo, novembre 2009. Un tremblement de terre d’une magnitude sans précédent ravage le quartier de Shibuya. Les autorités déplorent près de 4.000 morts et plus de 30.000 blessés. Ce lieu fourmillant de vie est rayé de la carte en une fraction de seconde. Dans les décombres, un jeune garçon a survécu. 6 ans se sont écoulés depuis et ce champ de ruines a retrouvé son aura d’antan grâce au programme “A City Reborn”. Takuru Miyashiro désormais lycéen et président du club de presse, poursuit une existence sur le point de basculer. Embarqué dans une histoire faite de complots et de pouvoirs surnaturels, notre héros va lever sur le voile sur les événements qui frappent la ville de Tokyo. Cette uchronie aux fins multiples entraîne dans son sillage une ribambelle de personnages complexes couvrant une large gamme d’émotions et de caractères.
La qualité d’un Visual Novel se mesure à la profondeur de ses pro/antagonistes et à la richesse d’un scénario, seul et véritable intérêt des Visual Novel. Et Chaos; Child est le digne héritier de la série Science Adventure du studio 5pb.Games. Les scénaristes se sont creusés les méninges pour surprendre les habitués du genre sans les décontenancer outre mesure. Le récit est limpide et facile à appréhender. Et les personnages assurent parfaitement leur rôle. Sur fond d’enquête et de complot gouvernemental, ce Visual Novel prend le temps d’installer son intrigue, de développer les relations entre les différents acteurs de cette fiction qui plonge bien souvent dans l’étrange.
L’horreur côtoie ici l’insouciance de la jeunesse. Romances, échanges légers et prises de bec entre camarades de classe... la vie banale d’un étudiant transpire à l’écran. Mais ce thriller aborde également des thèmes extrêmement forts. Le malaise y est palpable et la violence omniprésente. Cependant, 5pb.Games a dilué toute cette noirceur. Le studio développe de nombreuses sous-intrigues et sème des pointes d’humour tout au long des 25-30 heures nécessaires pour voir le bout de la trame principale. Une fois celle-ci terminée, 5 pans alternatifs de l’histoire se révèlent. Alors que 4 d’entre nous font découvrir l'intrigue selon le point de vue de personnages secondaires (Nono, Hana, Hina, Uki), la 5ème et dernière route n’est rien de moins que l’épilogue.
Chaos; Child n’échappe pourtant pas aux dérives d’un genre (trop) codifié. Le prologue s’éternise, bien que cela soit utile pour introduire les personnages. Mais c’est surtout dans sa propension à taper sous la ceinture que ce Visual Novel trébuche. Sans scènes de drague et sans romances pouvant arriver à terme, un VN n’est que l’ombre de lui-même. Tout en sachant cela, forcer le trait au point de frôler le ridicule via des allusions sexuelles aussi explicites que forcées parasite un scénario au demeurant palpitant.
Terreur sismique à Tokyo
...une histoire d’illusions
Chaos; Child respecte à la lettre les codes du Visual Novel. Fidèle au genre et aux autres productions du studio 5pb.Games, le gameplay est au service de la narration et le contraire aurait été fort étonnant. Le joueur se contente ici de suivre un scénario, certes intéressant, mais peu interactif… à quelques exceptions près. Les illusions de Takuru Miyashiro brisent la “linéarité” de l’aventure par la simple présence de choix aux conséquences variées. Alors que notre héros se perd dans ses pensées, 2 options s’offrent alors à lui et expriment une bipolarité grandissante. Réalité ou illusions (positives ou négatives), cette prise de décision influe sur l’histoire et la tracte vers l’une des fins multiples nées de la plume des scénaristes.
De plus, le titre de 5pb.Games brise à plusieurs reprises la “linéarité” de la narration via l’intégration de gameplay secondaires. Malheureusement, ces phases d’investigation qui consistent à combiner des indices sur une carte de Shibuya n’ont aucun impact sur le scénario. Si une erreur est commise, la séquence recommence jusqu’à trouver la bonne solution. Sans jamais s’extirper du roman interactif auquel il s’enchaîne, Chaos; Child ose et donne à sa manière les clés du scénario aux joueurs. Une légère brise libertaire souffle à notre plus grande surprise sur les plaines du Visual Novel. Il serait inconvenant de bouder notre plaisir.
Le sens du détail
Sans une réalisation 2D irréprochable, l’histoire imaginée par les scénaristes ne pourrait s’épanouir pleinement et les artistes de 5pb.Games ont concocté un terrain de prédilection pour Chaos; Child. L'élégance des visuels porte sur ses épaules toute l’intensité du récit. Les émotions passent par l’image pour atteindre le joueur et dans ce domaine, ce Visual Novel marque durablement les esprits malgré un manque flagrant d’animations pour égayer les scènes. Qui plus est, le nombre limité d’arrière-plans qui se répètent sans cesse jure face au soin apporté à chaque environnement, chaque personnage.
Les accompagnements musicaux spécialement composés pour le titre par Takeshi Abo n’ont d’égal que l’ampleur du travail abattu sur des doublages criants de vérité (uniquement disponibles en japonais). Cependant, l’absence de sous-titres en français fera grincer les allergiques à l’anglais. Chaos; Child étant verbeux à souhait, ne pas maîtriser la langue de Shakespeare est rédhibitoire.
C'est juste une illusion
Points forts
- Des visuels 2D élégants...
- Un récit uchronique sanglant et horrifique aux fins multiples
- Le sentiment d’influencer le récit (système d’illusions)
- Des pans alternatifs de l’histoire à explorer
- Des personnages complexes et touchants
- Des dialogues crédibles sublimés par des doublages de qualité
- Une imposante durée de vie (40-50 heures)
Points faibles
- …qui manquent cruellement de vie
- Disponible uniquement en japonais sous-titré anglais
- Des scènes grasses et malvenues en totale contradiction avec la gravité des événements
Chaos; Child est un Visual Novel dans la plus pure tradition, sûr de ses forces et conscient de ses faiblesses. Récit uchronique palpitant, visuels 2D et bande originale parfaitement maîtrisés, personnages complexes… ce titre est le digne successeur des productions 5pb.Games. Sans révolutionner le genre, le studio japonais saupoudre l’aventure d’interactions et de phases de gameplay sans jamais se risquer au hors-piste. Chaos; Child est à la hauteur de nos attentes, ni plus ni moins.