Genre à part entière, le Dungeon-RPG souffre bien souvent d’une image déformée auprès des RPG-istes qui se l’imaginent austère, plus mécanique que narratif, replié sur des conventions d’un autre temps. C’est à la fois vrai… et faux. Si sa structure, son architecture mêmes n’ont pas dévié depuis Wizardry en 1981 sur Apple II, voire depuis certains jeux amateurs sur système PLATO à partir du milieu des années 1970, le genre n’en continue pas moins d’évoluer, de se transformer. Il y a d’un côté ceux, occidentaux, qui s’inspirent de Dungeon Master et de ses multiples puzzles, et, de l’autre, les japonais qui oscillent entre la cartographie imposée (Etrian Odyssey) et des approches plus narratives, comme la production du studio Experience Inc. (l'exigeant Stranger of Sword City), dont Demon Gaze II est le dernier né.
Demon Gaze se dévoile
Tout aussi amnésique celui du le premier volet, le héros de Demon Gaze II se réveille dans une ville d’Asteria dirigée de main de maître par le tyran Magnastar. Rejoignant rapidement la résistance, Signa, puisque c’est son nom, aura alors pour mission de nettoyer les différents quartiers de la ville de ses démons. D’abord, rassurez-vous, il n’est nul besoin d’avoir joué au premier Demon Gaze pour profiter de cette suite puisqu’à de rares clins d’œil et personnages récurrents, il n’en n’esr fait aucune mention. Reste qu’avec sa thématique de rébellion, le scénario avoue un penchant pour le classicisme, même si quelques originalités (émission de radio des résistants, etc.) s’y invitent régulièrement, et que la structure du jeu elle-même rappelle le premier volet, notamment avec cette base qui sert autant de lieu de sociabilisation que de boutique. Par ailleurs, on retrouve ici un certain nombre de mécaniques et fonctionnalités auxquelles le studio nous a habitué dans ses jeux précédents: combats au tour par tour avec vue à la première personne, touche (triangle) pour automatiser les affrontements, possibilité de se déplacer rapidement et automatiquement d’un point de la carte dévoilé à un autre, logements à payer pour ses compagnons de route, etc. Qui s'est essayé à un des précédents jeux d'Experience Inc., aura sans doute une impression de déjà-vu. Cependant, dans une volonté de rendre le genre plus accessible au plus grand nombre, l’équipe de développement a très largement simplifié l’arrangement de son aventure. D’abord en optant pour une plus grande linéarité: peu de quêtes annexes, pas de classes à gérer, les démons qui se joignent au joueur sont imposés par la narration et la progression, etc. Exemple concret de cette linéarité, si trois donjons sont accessibles dès le début de l’aventure, on se rend rapidement compte, grâce à des indices ainsi qu’au niveau des créatures qui y errent, que certains sont à éviter dans un premier temps. Ainsi, le tombeau caché derrière la cathédrale demande d’être équipé d’armes saintes ou de posséder le sort pour les bénir avant de s’y aventurer.
Les neuf cercles des enfers
Une fois dans un quartier à explorer, Demon Gaze II prend une forme connue où la découverte du chemin à suivre s’effectue au rythme des empoignades. Si une bonne partie des adversaires, objets et autres est clairement indiquée à l’écran (ce qui permet au joueur d’éviter ou de retarder certaines confrontations), d’autres sont aussi aléatoires que dans le tout premier Wizardry. Par ailleurs, durant l’exploration, certains passages secrets, coffres et autres peuvent être révélés si vos personnages disposent de la capacité spécifique. On y déniche aussi des cercles de démons, affichés à l’écran, qu’il s'agit de détruire pour faire apparaître le boss de cette partie du labyrinthe. Là, en lançant ces affrontements particuliers, le joueur peut alors placer des gemmes d’équipement dans des slots prévus à cet effet pour espérer ramasser de l’équipement de qualité. D’autres gemmes (puissance, etc.) permettent d’augmenter les capacités des adversaires invoqués pour récupérer des pièces d’armures encore plus protectrices ou des armes plus puissantes. Intéressant. Les cercles de la zone abattus, l’antre du démon (enfin, de la démone) en chef apparaît avec quelques simplistes énigmes à la clef (notes de musiques à lancer dans le bon ordre, interrupteurs). Rien de bien compliqué cependant, le jeu reposant plus sur les affrontements que sur ces puzzles. Une fois la démone principale mise à terre, notre héros aux yeux vairons peut alors la recruter dans son équipe. On le disait plus haut, Demon Gaze II est plus linéaire que les précédentes productions du studio, et ce recrutement est un des moyens qu'Experience Inc. a intégré pour diriger et de contrôler la progression du joueur. Un choix étonnant, mais qui simplifie grandement la tache du joueur. Disons- le clairement, on est ici très loin de la complexité d’un Shin Megami Tensei dans son système de recrutement/fusion, ou d’un Etrian Odyssey dans ses symbioses entre classes. Pour autant, les donjons de Demon Gaze II ne manquent pas d'intérêt dans un premier temps, autant esthétiquement qu’en termes de level design avec par exemple des passages à sens unique, etc. On regrettera seulement que l’ensemble ne se renouvelle que peu sur la durée de l'aventure...
Drague ta démone
On l’a dit, à chaque donjon rencontré, l’objectif est identique : dénicher les cercles d’invocations des monstres et les réduire à néant pour faire apparaître le repaire de la démone en chef de la zone. Enfin, « l’emprisonner » serait plus juste, puisqu’elle se joindra bientôt à vous. Pour permettre au joueur d’améliorer ces démones, Experience a, en plus du classique système d’…expérience, intégré un mini-jeu dans lequel il faut dénicher un point précis (ou « sweet point ») du corps de la démone en le touchant… Après cinq essais gratuits, qui permettent de localiser ce point, il faut passer à l’acte en dépensant un cristal spécifique qu’on déniche principalement dans les donjons. Amusant, mais évidemment sujet à interrogations sur la volonté des développeurs, ce mini-jeu réussi débouche sur un rendez-vous galant avec ladite démone pour encore améliorer ses capacités, et débloquer certaines compétences- par ailleurs liées à l’alignement que vous choisissez en tout début de partie (offensif, neutre, défensif). Ces « dates » sont l'occasion de quelques séquences amusantes, donnant un peu de corps aux compagnes du héros (l’écologiste, la bagarreuse…), mais sans véritable impact sur le scénario en lui-même. Avec seize unités à recruter avec chacune leurs compétences propres et leur rôle à jouer sur le champs de bataille, il y a cependant de quoi faire en termes de possibilités tactiques.
En direct de la nomade
Comme de nombreux titres du genre sur PlayStation 4, Demon Gaze II trahit dès les premières minutes son origine nomade : donjons texturés à la truelle et très répétitifs dans leur rendu, taille gigantesque des textes à l’écran, etc. Tout rappelle que, oui, Demon Gaze II est d’abord, et avant tout, un jeu PS Vita, limité par les capacités la portable. D’ailleurs, il n’est pas rare que des éléments de décors « popent » comme on avance dans une pièce. Pour autant, dans son ensemble, ce portage est loin d’être déshonorant, personnages, adversaires et interfaces profitant de design réussis et bien rendus sur grands écrans, même si on tiquera sans doute devant le manque de cohérence stylistique générale. Par ailleurs, ne vous attendez pas à des cinématiques ou à des cut-scenes, le jeu se contente de portraits (avec quelques expressions) et de lignes de dialogues doublées sur fond immobile, façon Visual Novel, avec quelques choix de réponses pour le joueur. Heureusement, le mouvement dans le cadre (image qui vibre, personnages qui entrent et sortent, gros plans, etc.) permet à ces séquences, parfois longues d’une dizaine de minutes, d’être suffisamment rythmées pour qu’on ne s’endorme pas devant l’écran, pad en main.
Par son rythme, par sa structure, par son esthétique même, Demon Gaze II trouve plus naturellement sa place dans la ludothèque de la Vita que dans celle de la PS4. Par ailleurs, tous les zooms sur les personnages – ils occupent alors tout l’espace- et autres mouvements dans le cadre, voire les déplacements dans les décors, passent bien mieux sur le petit écran de la nomade de Sony que sur un grand écran où les textures sommaires et répétitives des dédales finissent par lasser. Enfin, il nous a semblé que la croix de la PS Vita était plus réactive que celle de la Dualshock, du moins durant les déplacements dans les donjons. Si vous en avez la possibilité, préférez la version PS Vita, parfaitement identique du strict point de vue du contenu, mais indubitablement plus agréable à regarder et à contrôler.
Points forts
- Un casting de personnages foufous
- Une difficulté bien dosée, très progressive
- La structure générale de la campagne, classique mais efficace
- Des décors et adversaires assez variés
- La touche « combats rapides » très utile pour « leveler
- Des dialogues amusants et une histoire rythmée
Points faibles
- Pas de sous-titres en français
- Moins délirant et intéressant que son aîné
- Un manque de renouveau durant la progression sur la durée
Plus accessible que son aîné, Demon Gaze II constitue donc une excellente porte d’entrée dans le Dungeon Crawler pour qui voudrait s’y essayer une toute première fois. Simple, assez linéaire, peut-être un peu trop classique pour les vétérans, le titre d’Experience ne se distingue réellement que par son esthétique, réussie, et par sa partie « simulation de drague » qui n’apporte finalement que peu à l’expérience. Demon Gaze II est donc un bon investissement, un peu cher au vu de la réalisation technique, avec une courbe de difficulté vraiment bien dosée. : si les premières heures sont d’une simplicité enfantine, la suite donnera un peu plus de fil à retordre, et ce même aux vétérans qui dénicheront un challenge de poids en fin de parcours et après… Du bon Dungeon-RPG donc, mais sans surprises.