Le rugby pleure l'absence d'un jeu digne de ce nom depuis des lustres. Big Ben Interactive et le studio français Eko Software (Handball 17) espéraient surprendre les fans de l'ovalie en octobre 2017 avec une nouvelle adaptation de ce sport, mais Rugby 18 ne fut qu'une désagréable douche froide. Plusieurs mois se sont écoulés depuis er le studio a retravaillé sa copie dans l'espoir de corriger les nombreux défauts pointés du doigt avec la mise à jour 1.1. Chaussez vos crampons et bombez le torse, le retour en ovalie ne sera pas de tout repos.
L’épreuve des fondamentaux
Adapter en jeu vidéo un sport dont la complexité n'a d'égale que son intensité n'est pas chose aisée. De nombreux studios et éditeurs ont mangé le gazon en s'y essayant et peu d'élus ont réussi à concrétiser leur vision et à la rendre fun une fois implémentée. Le rugby repose sur une suite de phases arrêtées entrecoupées de courses-passes ponctuées de percussions et de plaquages. Mêlée, alignement en touche, ruck, pénalité et transformation... la qualité d'une adaptation de rugby commence par les fondamentaux. Et à ce petit jeu, les français du studio Eko Software relève le défi non sans une pointe de réussite.
Chacune de ces phases arrêtées est plaisante à jouer et les actions contextuelles imaginées par les designers assurent l'essentiel même si certaines simplifications de jeu et une rigidité d'ensemble nous laissent sur notre faim. Gratter un ballon dans un ruck se fait exclusivement en ajoutant un joueur... idem en mêlée où le résultat se résume à une poussée du pack. Et pourtant... une mention spéciale est donnée aux alignements en touche à la fois simple et tactique. Et les coups de pieds (pénalités et transformations) allient maîtrise de soi et des éléments, et prise de risque malgré l'absence remarquée d'une jauge de puissance de frappe
Et pourtant, le rugby est un jeu de mouvements, un flot constant de courageux gaillards s'écrasant de tout leur poids sur un mur de braves. Rugby 18 n'est jamais spectaculaire. Malgré toute sa bonne volonté, Eko Software balbutie son rugby. Le système de jeu est rigide et ne fait que trop rarement de l'oeil à une fantaisie nécessaire pour épicer les matchs. Le célèbre French Flair répond aux abonnés absents. A trop assurer l'essentiel, Rugby 18 en oublie d'exprimer l'amour qu'il porte à ce sport au grand désarroi des fans.
L’impact player
Les matchs se déroulent sans anicroches, mais la fantaisie inhérente à cette discipline sportive n’a que trop rarement son mot à dire. Et la construction du jeu va de pair avec ce manque de créativité. Chandelle, maul spontanée, trouver une touche, jouer rapidement… les grands classiques du rugby sont respectés à la lettre près. Et les améliorations notables impactant les systèmes de sprint, d'endurance, de plaquage et de raffut intégrées à la mise à jour 1.1 corrigent plusieurs problèmes décelés à la sortie du jeu sans pour autant effacer ce manque de rythme inhérent à Rugby 18.
L’intelligence artificielle donnant vie à l'équipe en face est à la peine. L’I.A adverse est aux fraises, oublie le ballon dans son propre en-but, dégage contre son poteau et j’en passe. Et cet équilibre précaire difficile à maintenir entre plaisir offensif et efficacité défensive explose en plein vol. Vos coéquipiers sont bien mieux armés face aux impondérables d’un match de haut niveau. Ils pensent à l’option “côté fermé”, prennent la profondeur et étirent la ligne d’attaque pour étioler la défense mise en place. L’imagination des joueurs est enfin récompensée. De plus, vos alliés s’avèrent efficaces en défense et sont rarement pris à défaut. Ces derniers se replacent convenablement et sont dans la majorité des cas à portée de plaquage. Il ne vous reste plus qu’à déclencher un tacle puissant avec le joystick droit. Cependant, l'I.A adverse sommaire et son manque de réactivité supprime toute notion de challenge.
Encore une fois, la réalisation n’est pas à la hauteur de l’événement. Aucun impact dans les percussions et les plaquages. Aucun momentum pour sortir le spectateur de sa torpeur. Rugby 18 donne cette désagréable impression d'évoluer à 2km/h dans du coton. Les impacts sont à l’image du reste du jeu… c’est à dire mous et réduits à leur plus simple expression. Et la mise en scène des matchs ne peut sauver du naufrage ces 80 minutes passées sur la pelouse. Le titre de Big Ben boude sa réalisation et faute de moyens se contente d’une caméra unique ponctuée de ralentis se comptant sur les doigts de la main. Essai, jeux dangereux et tirs au but sont les seules actions a mérité un traitement de faveur. Sans atteindre la maestria des réalisateurs sportifs rôdés à l’exercice, Rugby 18 aurait mérité de s’attarder sur la mise en scène afin de rendre hommage à ce sport bien souvent spectaculaire et qui en l’état ressemble à un jeu sorti au début du XXIème siècle.
Racing 92 vs. Toulouse (Màj 1.0)
La culture de l’ovalie
Loin des productions du passé se résumant aux modes Arcade et Championnant, les jeux de sport modernes empilent les expériences. Carrière, jeux de carte, jeu de gestion… la surenchère est de mise pour séduire le consommateur. Le rugby est une discipline secondaire dans l’imaginaire collectif et les moyens mis à disposition du studio Eko Software ne sont pas à la hauteur des blockbusters du marché, même si des titres tels que Jonah Lomu Rugby Challenge 3 ont prouvé par le passé que vivre la vie d’un Pro ou d’un Manager avait de quoi séduire. Rugby 18 assure une fois encore l’essentiel. Au-delà des incontournables championnats et Match Rapide (en local ou en ligne), les modes “Carrière” et “My Squad” perforent nos habitudes et nous surprennent… sur le papier seulement.
“Carrière” n’est rien de plus qu’un mode Rugby Manager-like allégé et dépouillé d’une bonne partie des fonctionnalités attendues. Après avoir choisi un championnat dans lequel évolué et une équipe, 400.000 crédits vous sont octroyés pour monter un roster digne de ce nom. “Carrière” est un miroir déformant du mode “Championnat”, exception faite de la dimension financière et du recrutement en cours de saison. Même en tête de votre poule, le licenciement peut frapper si vos comptes sont dans le rouge. La déception est à la hauteur de ce plaquage manqué que représente ce mode “Carrière” opportuniste, mais surtout dénué d’intérêt.
“My Squad” justifie tout de même de passer des heures à fouler les 6 stades de Rugby 18. Composer sa Dream Team et la lancer dans le grand bain du PvP est un doux rêve pour de nombreux amateurs de rugby. Ce mode vous offre l’opportunité de piocher dans les championnats et équipes nationales mis à disposition, et d’imaginer l’équipe type qui gravira les échelons du rugby virtuel international. Chaque rugbyman a un coup en “étoiles” (de 100 à ~15.000), une monnaie virtuelle glanée en jouant aux autres modes disponibles. Et les allergiques à cette pratique ne pourront pas pester cette fois-ci. Ces étoiles ne peuvent pas être achetées en ligne. Il faudra bel et bien plaquer, aplatir, percuter et courir pour récolter ces précieux sésames. Un championnat de France déroulé équivaut à 50.000, soit 3 à 4 joueurs vedettes.
Rugby 18 percute tout de même de plein fouet la concurrence en s’accaparant les droits du TOP 14 et y ajoute ceux des championnats Aviva Premiership Rugby, Pro D2 et PRO14 ainsi que certaines équipes nationales au nombre de 13 : 10 officielles (Australie, Angleterre, Fidji, France, Italie, Lions britanniques et irlandais, Nouvelle-Zélande, Ecosse, Afrique du Sud, Pays de Galles) et 3 non-officielles (Argentine, Irlande, Japon). Les absences du tournoi des six nations, de la coupe du monde et du Rugby Championship (anciennement Tri-Nations) sont compensées par l’ajout de 3 championnats "placebo" qui ont le mérite d’exister. Certes, Big Ben Interactive s’est offert un portfolio de joueurs de prestige, mais cela n’est pas suffisant. Aucun championnat de l’hémisphère sud, des équipes nationales “fictives”… Rugby 18 manque la transformation
Finir sur les rotules
Sur le plan technique, Rugby 18 est un cas d’école. A des années lumières des standards actuels, le titre s’embourbe et ne parvient jamais à ressortir le ballon du ruck. Animations à la rigidité exemplaire, graphismes indignes de la 8ème génération de consoles (sans parler du PC), modélisation approximative des joueurs, caméra verrouillée à une dizaine de mètres du sol… le titre de Big Ben Interactive réussit l’exploit de surprendre par sa pauvreté technique. Il n’est jamais bon de tirer sur l’ambulance, mais dans le cas présent la déception est légitime. Le rugby, sport sous-représenté dans le jeu vidéo, méritait un titre digne de l'engouement qu'il suscite.
Les commentaires d’Éric Bayle et Thomas Lombard - commentateurs officiels sur Canal + depuis plusieurs années, ne font qu'appuyer cette frustration naissante. Les phrases s’enchaînent sans cohérence et sont souvent à côté de la plaque. Un coup de pied offensif tapé dans nos 22 ? Allons messieurs, un peu de sérieux s’il vous plaît ! Et le pire est encore à venir. Des fautes de syntaxes, des trous béants dans des phrases dénuées de sens… Le silence est parfois préférable à cette bouillie sonore qui oublie ses origines, cet argot rugbystique qui claque aux oreilles des aficionados de la cartouche et du caramel. Ce manque de rigueur (ou de temps) est à l’origine de nombreux crashs et de bugs rédhibitoires.
1ère mi-temps de France vs. Nouvelle-Zélande (Màj 1.0)
Points forts
- La présence de licences majeures (TOP 14 en tête)...
- Des phases arrêtées maîtrisées (mêlée, ruck, alignement en touche…)
- Créer son équipe de rêve avec “My Squad”
Points faibles
- … mais des équipes et championnats non-officiels
- Des matchs déséquilibrés à l'avantage de l'attaque
- Des plaquages et des percussions apathiques
- Une réalisation et une technique loins des standards de 2017
- Un contenu cantonné au strict minimum
Rugby 18 essaie et son envie de bien faire n’est pas à remettre en cause. Cette adaptation sportive récite ses gammes et ses fondamentaux, mais sacrifie le plaisir de jeu sur l'autel des fondamentaux. La technique et la réalisation sont à la hauteur du fond de jeu proposé par Eko Software, un vide gênant. Et le contenu ne sauve que partiellement ce nouveau jeu de rugby. Certes, Big Ben Interactive se paie le luxe du TOP 14 et de 3 autres licences majeures, mais manque le coche avec des équipes non-officielles et des absences remarquées. Rugby 18 se fait plaquer dans son en-but et il sera bien difficile de se relever après un tel tampon, mise à jour 1.1 ou non.