Il est parfois étonnant de constater à quel point de grandes responsabilités peuvent être attribuées à des personnes que nous aurions juré trop frêles pour relever le défi. Prenons l’exemple des deux frères à tête de tasse nommés Cuphead et Mugman, enfants terribles du royaume féérique d’Inkwell Isle. Suite à une partie de dés qui a mal tourné, les voilà missionnés de moissonner les âmes pour le compte du Diable. Dans un autre monde, Microsoft signe le studio indépendant MDHR, mandaté pour colorier le catalogue d’exclusivités de la firme américaine. De grandes responsabilités, nous disions. Mais dans l’enfer de ce shoot old school, nos petits écoliers ne risquent-ils pas de boire la tasse ?
Takahashi’s Challenge
Avons-nous encore besoin de présenter Cuphead, ce shooter arcade qui devait, lors de son annonce en 2014, ne proposer que des combats de boss sous une direction artistique à tomber avant d’être remanié pour y intégrer plus de diversité ? Tout semble déjà avoir été dit à propos du titre de Studio MDHR pendant sa longue période de gestation. Un style graphique qui vient des dessins animés Disney, Warner ou encore Fleischer des années 30 par-ci, un run-and-gun d’une difficulté prodigieuse par-là. Il se murmure même que le tutoriel abriterait les âmes perdues de journalistes spécialisés n’ayant jamais réussi à le terminer. Avant de pénétrer dans l’univers torturé d’Inkwell Isle, tordons d’emblée le cou à cette précédente rumeur. Le tuto de Cuphead se fait aussi simplement que cela :
Nous n’étions par contre pas forcément préparés à découvrir un titre avec autant de variété dans ses phases de jeu. La carte du monde, qui s’inspire de celle des grands classiques 8 et 16 bits, donne accès aux niveaux que nous découperons en 3 catégories avec les combats de boss à pied (les plus fréquents), les séquences de shoot à bord d’un avion et les passages plus Plate-Forme sobrement baptisés run-and-gun. Ces derniers demeurent les seuls à ne pas proposer le choix du mode de difficulté, car oui, le rejeton de Studio MDHR propose bien un mode facile en plus du normal lors des affrontements contre les boss. En facile, les adversaires disposent de beaucoup moins de points de vie et attaquent avec moins de vitalité.
À titre informatif, Cuphead n'est disponible qu'en anglais au moment où nous écrivons ces lignes.
Ce mode de difficulté, même s’il assure à presque tout le monde de pouvoir avancer dans l’aventure sans bloquer sur un duel, est à déconseiller à ceux qui veulent vivre l’expérience telle que les développeurs souhaitent qu’elle soit vécue. En effet, ce mode empêche de voir tous les patterns d’attaque et passe carrément sous silence certaines transformations des boss, ce qui est regrettable pour un jeu qui base son gameplay sur leur rencontre. Afin de punir les moins courageux, les développeurs ont eu l’idée de ne pas donner de contrat lors de l'annihilation d’un patron si celui-ci a été corrigé autrement qu’en normal. Sachant que le quatrième monde ne s’ouvre qu’avec la totalité de ces contrats en poche, le message ne peut être plus clair : Cuphead se mérite.
Two cups, one grill
Puisque ce sont dans les vieilles tasses que l’on fait les meilleurs cafés, les mécanismes de Cuphead empruntent beaucoup aux gloires passées, Super Probotector en tête. À l’instar des héros d’antan dont ils s’inspirent forcément, Cuphead et Mugman peuvent tirer dans 8 directions. Les premiers pas dans l’épopée demandent inévitablement une certaine gymnastique pour réussir à détruire les ennemis, volant parfois trop à droite du tir haut et trop à gauche de la diagonale droite. Dans le même ordre d’idée, la hauteur du saut n’est pas relative à la force exercée sur la touche assignée, ce qui peut désarçonner au premier abord. Aussi mignons qu’ils puissent paraître, nos petits personnages peuvent acheter des améliorations pour en découdre plus facilement avec la racaille enchantée. En échange de quelques deniers dénichés dans les niveaux, il est alors possible de changer son tir primaire comme secondaire (qui peut être switché à n’importe quel moment avec LB), son pouvoir spécial et son enchantement. De quoi s'équiper stratégiquement des caractéristiques les plus adéquates afin de passer moins de temps sur un monstre récalcitrant. Attention cependant, si par envie de faciliter le jeu il vous vient à l’esprit d’équiper un slot de vie supplémentaire, alors votre puissance d’attaque sera (légèrement) diminuée. On dit merci qui ?
L’exécution d’un super coup (qui ne fait qu'égratigner un petit peu plus l’adversaire) doit également être réfléchie puisqu’elle peut bloquer le personnage quelques dixièmes de secondes à l’écran, ce qui ne la rend utilisable qu’aux moments stratégiques pour ne pas se faire punir dans la seconde qui suit. Tout ce qui est rose étant mignon, un objet de cette couleur dans Cuphead signifie qu’il peut être détruit et occasionner un double saut en cas de bon timing, qu’il s’agisse d’un élément du décor ou projectile tiré par un opposant. Avec l’accroupissement puis le dash qui peut s’effectuer aussi bien au sol que dans les airs, le soft de Studio MDHR octroie au joueur une palette simple mais complète de mouvements qu'il devra obligatoirement maîtriser pour collecter les contrats. Au rayon des regrets, nous notons qu’il n’est malheureusement pas possible de changer de mode de difficulté ni d’équipement à la volée entre deux tentatives. Si vous souhaitez vous frotter à des adversaires moins coriaces ou vous munir d’autres pouvoirs, il faudra retourner sur la carte principale pour relancer le niveau.
Warner Boss
Même s’il est plus habituel de rajouter du sucre dans sa tasse, le sel de Cuphead vient de son gros plat de résistance : les affrontements contre les boss. Ces batailles représentent à la fois le squelette et le cœur de Cuphead, et elles sauront mettre à défaut le système nerveux du joueur imprudent. Pour sortir victorieux, il suffit de retenir les patterns qui varient selon le stade du combat, et faire preuve de dextérité. Car comme dans tout bon drame qui se respecte, les duels possèdent une phase d’introduction, de développement, de conclusion voire de rappel. Chacune de ces parties apporte son lot de surprises et joue sur cette envie de tout voir, de tout jouer, et de tout recommencer. À ce propos, nous devons bien évidemment insister sur le fait que le titre est difficile et qu’il possède un côté die and retry. À chaque nouvel essai, l’ordre des attaques de l'adversaire change, ce qui oblige à s’adapter perpétuellement plutôt que d’apprendre par cœur le déroulement du combat. À la suite d’une défaite, une barre de complétion s’affiche pour indiquer à quel point nous étions loin d'anéantir le vilain dans ses différentes transformations. De quoi donner l’envie de remettre une pièce virtuelle pour arriver à ses fins, ou plutôt à sa fin.
Les niveaux qui font la part belle au run-and-gun permettent quant à eux de varier les plaisirs. Plutôt rares sur l’intégralité de l’aventure, ils s’avèrent suffisamment bien conçus pour que nous ne les qualifions pas de remplissage même s’ils demeurent relativement classiques. Les fans de shoot en avion seront ravis de tirer sur tout ce qui bouge lors de séquences aériennes réussies mais plus difficiles encore que la moyenne du jeu. Nous gardons un souvenir ému de notre affrontement contre ce maudit robot géant. Afin de s’assurer une ultime touche de variété, Inkwell Isle cache au sein de son univers 3 temples qui mettent au défi le joueur de protéger une urne de l’attaque de fantômes roses qu’il faudra détruire grâce à la technique spéciale enseignée lors du tuto.
Les boss de Cuphead adoptent différentes phases de combat en fonction de leur pourcentage de vie. En cas d'échec, une petite animation retrace le parcours du joueur par rapport à ces repères.
Ça cartoon
Si les nombreux combats de ce Cuphead se font et se refont dans la bonne humeur, c’est aussi grâce à cette superbe direction artistique qui fait que le titre est reconnaissable au milieu de centaines d’autres. Les animations des boss comme des personnages principaux sont tellement soignées qu’il faut s’obliger à ne pas trop les admirer afin de ne pas se laisser déconcentrer. L’ambiance sonore délicieusement jazzy colle également parfaitement à l’aventure, laquelle s’amuse à parodier de nombreux éléments de notre culture populaire plus ou moins actuelle. Le revers de la soucoupe, c’est que la lisibilité de l’action n’est pas tout le temps optimale (surtout à 2 en coop locale), la faute à des éléments graphiques très détaillés baignant dans des tableaux légèrement surchargés. Le filtre graphique utilisé pour vieillir l’image n’aide pas non-plus à avoir une impression de précision au top, tandis que les éléments au premier plan se superposent trop facilement aux projectiles et divers dangers. De même, les plateformes vues en légère isométrie troublent parfois la perception que l’on peut avoir de ce qui est une surface “en dur” ou juste le décor avec un effet 3D. Par contre, le jeu est vraiment beau à se damner, on vous l’a dit ?
Points forts
- Direction artistique incroyable
- Des boss hallucinants aux multiples transformations
- Varié pour un shoot
- Difficile, mais pas (trop) injuste
- Disponible pour une vingtaine d’euros
Points faibles
- Manque de lisibilité lors de certains chapitres
- Pas (encore) de mode coop en ligne
- Il ne faut pas être rebuté par le challenge et le die and retry
On a du bol, Cuphead est surement le plus beau shoot arcade 2D disponible à l’heure actuelle. Si le plat concocté par Studio MDHR est appétissant à l’oeil, ses ingrédients lui assurent également variété et saveur. Malgré ses inspirations bien visibles, Cuphead ne donne pas l’impression de verser la même soupe dans un vieux mug et réserve des combats de boss qui resteront dans les mémoires. Evidemment, si le genre n’est pas votre tasse de thé et que vous n’appréciez pas la difficulté pimentée, la dégustation jaugée à une huitaine d’heures (game over inclus) risque de vous brûler les papilles. Nous, on va au rabe !