Si vous n'avez jamais entendu parler d'un "popcorn STR", c'est plutôt normal. À l'exception de StarCraft et ses fameux rush Zerg, les jeux de stratégie en temps réel sont plutôt propices à des affrontements de longue haleine entre joueurs PC exigeants, ne jurant que par les APM (Actions Par Minute) et les tactiques les plus complexes. Avec Tooth and Tail, les développeurs de Pocketwatch Games (Monaco : What's Yours is Mine) tentent de mettre un grand coup dans la fourmillière en apportant une formule STR réduite à sa plus simple expression, pour permettre à la fois aux novices et aux joueurs sur consoles d'en profiter. Le résultat est pour le moins intrigant, aussi bien sur la forme et sur le fond.
Le trailer du mode histoire de Tooth and Tail.
Rat-volution
Si vous avez déjà touché à un STR par le passé, Tooth and Tail vous désarçonnera dès les premiers instants de jeu. Les fondations sur lesquelles son gameplay repose sont pourtant bien connues : gérer son économie, bâtir une armée puis étendre son territoire jusqu'à anéantir celui de ses adversaires. Ici, la différence réside dans le fait que vous accomplirez tout cela aux commandes d'un général-souris servant de porte-étendard à son armée, et non pas en utilisant votre bon vieux curseur de souris. Inutile au combat, votre héros peut construire des moulins et jusqu'à huit fermes autour de ces derniers pour récolter de la nourriture, l'unique ressource du jeu, ou alors construire des terriers produisant automatiquement des unités tant que vous possédez des réserves suffisantes.
Pour les contrôler, oubliez tout ce que vous savez de la micro-gestion : un bouton permet de rallier toute votre armée à l'endroit où votre héros est placé, un autre fait de même mais seulement pour un type spécifique de fantassins sélectionné. Avant chaque partie, le jeu impose de faire une sélection de six types d'unités différentes parmi les quinze existantes répartis en trois paliers de puissance et cinq bâtiments défensifs (tourelles, mines...). De quoi simplifier la vie sur l'aspect gestion des troupes, tout en faisant abstraction d'un quelconque système de recherche de techologie et autres arbres de talents complexes pour un gameplay rapide à prendre en main et parfaitement adapté à la manette.
Si le tout paraît alors simple et accessible de prime abord, il suffit de venir à bout d'une poignée de parties pour se rendre compte que Tooth and Tail cache bien son jeu. Constamment tiraillé entre le besoin de générer plus rapidement de la nourriture tout en évitant la famine et la nécessité d'avoir une armée suffisamment grande pour résister à de potentielles escarmouches, vous devrez prendre vos décisions à un rythme effréné, tout en sachant que la moindre erreur peut être fatale étant donné que les parties dépassent rarement une durée de dix minutes.
N'avoir qu'une seule ressource à gérer peut sembler être un jeu d'enfant, mais cela ne fait que renforcer la pression que l'on subit à chaque instant pour maintenir son économie à flot sachant que les fermes finissent par rapidement dépérir jusqu'à disparaître. Rester attentif sur sa base tout en parcourant la carte en long et en large pour trouver le spot idéal permettant de bâtir un nouveau moulin est alors primordial, puisque perdre tous ses moulins est synonyme de Game Over. Pour faciliter les déplacements et accélérer le scouting de la carte et des actions de votre adversaire, votre général peut creuser sous terre afin de rallier en un instant l'une de ses bases. Si celui-ci meurt au combat, pas de panique, il réapparait tout simplement au bout de quelques secondes.
Des souris et des guns
Comme dans tout bon STR, le passage par le mode solo s'avère nécessaire afin d'appréhender les mécaniques de jeu et d'être préparé à chaque situation que l'on peut rencontrer en partie. Oubliez les dessins animés Pixar ou Disney de votre enfance où les animaux vivent en parfaite harmonie. Tooth and Tail dépeint une société anthropomorphique peuplée de races animales qui embrassent pleinement leur instinct, et dans laquelle la lutte pour rester au sommet de la chaîne alimentaire et ne pas mourir de famine est permanente. Manger ou être mangé, une fatalité propice à une guerre civile entre quatre factions qui vont ainsi se livrer à de joyeux massacres pour ne pas finir sur la table de festin de l'autre. On tient d'un côté les capitalistes (les Longcoats en bleu) et les révolutionnaires (les Commonfolks en rouge), puis de l'autre les autorités militaires (le KSR en vert) ou religieuses (les Civilized en jaune) qui tiennent à garder leur position de force.
Pour scénariser tout cela, on se balade dans le hub de la faction que l'on dirige sur le moment pour trouver notre prochaine mission. Chacun de ces lieux fourmille de vie et de personnages dans tous les coins, certains pouvant vous faire la causette. Même si les dialogues sont plutôt bien écrits et teintés d'un humour noir particulier, difficile de trouver dans ce scénario une source de motivation pour progresser, surtout si vous êtes allergiques à la langue de Shakespeare (pas de traduction française pour le moment). On finit vite par se concentrer sur la stratégie que l'on devra adopter pour la prochaine mission.
Variées dans leurs objectifs (un principal puis un facultatif à accomplir systématiquement), les missions ne donnent jamais l'impression de faire plusieurs fois la même chose et introduisent comme il se doit les subtilités du gameplay. Dommage que certaines d'entre elles se montrent si frustrantes à cause d'une difficultée mettant les nerfs à rude épreuve, d'une IA particulièrement efficace et d'une certaine part d'aléatoire. Si les objectifs restent les mêmes à chaque fois que l'on recommence une mission, les cartes, elles, sont générées procéduralement. Il arrive donc fréquemment de progresser sans problème dans le scénario grâce à des terrains vous mettant dans une position de force (barrières naturelles, collines...), mais également d'enchaîner les échecs en attendant un coup de bol pour que la carte dispose de propriétés adéquates, sachant que la lisibilité des environnements est parfois brouillonne, le pixel art n'aidant pas.
Rush écureuil
Un apprentissage à la dure qui laissera sur la touche les moins courageux, mais qui ne peut qu'être bénéfique lorsque vient le moment de se lancer dans le grand bain des parties en ligne, là où Tooth and Tail prend toute sa dimension. Le titre offre le nécessaire pour s'y consacrer longuement, avec des affrontements en équipe ou seul jusqu'à quatre joueurs, sachant que les parties classées se concentrent sur les duels en un contre un. Dans un style très arcade, les joutes s'enchaînent très vite pour une progression constante, mais seuls les joueurs chevronnés capables d'une réactivité à toute épreuve trouveront le moyen de se frayer un chemin dans les hauteurs du classement, tant les stratégies agressives laissent peu de place à l'hésitation. Les autres pourront se réfugier dans le jeu en local et en écran partagé, fonctionnalité si rare de nos jours et parfaitement exploitée ici.
Dans tous les cas, difficile de ne pas y trouver son compte, peu importe le type de joueur que vous êtes. Tooth and Tail pourrait vous séduire rien que grâce à son ambiance et sa direction artistique. Les sangliers armés de lance-flammes et autres mouffettes équipées de lance-grenades au gaz moutarde ou hiboux gerbeurs de gerbilles qui composent vos troupes sont représentés sur le champ de bataille par un pixel art de bonne facture et des animations réussies. Même les illustrations, entièrement dessinées à la main, viennent sublimer cette ambiance inspirée de la révolution russe de 1917. Que dire enfin des compositions du maestro Austin Wintory, qui fait une nouvelle fois preuve de son talent pour livrer des partitions inspirées et parfaitement dans le ton, rythmant à merveille les batailles complexes sans être compliquées, mais parfois frustrantes, de Tooth and Tail.
Points forts
- Un gameplay original, rapide à prendre et main et énergique pour des parties courtes.
- Enfin un STR parfaitement jouable à la manette.
- Un mode solo doté d'une durée de vie convenable (6 à 8 heures selon votre niveau), découpé en missions variées...
- Une ambiance révolutionnaire prenante, servie par une direction artistique en pixel art séduisante...
- ... et des compositions musicales dans le ton par Austin Wintory ([http://www.jeuxvideo.com/jeux/jeu-75294/ Journey], [http://www.jeuxvideo.com/jeux/jeu-67109/ flOw], [http://www.jeuxvideo.com/jeux/jeu-82707/ Abzû]...).
- Expérience multijoueur complète : en local écran partagé ou en ligne (et bientôt en crossplay PC / PS4).
Points faibles
- L'IA ne fait pas de cadeau.
- Amateurs de micro-gestion, passez votre chemin.
- Lisibilité des cartes et des combats parfois brouillons.
- ... mais à la difficulté mal dosée, notamment à cause des cartes générées procéduralement.
Dans un genre qui peine à se renouveler depuis l'apparition des MOBA, Tooth and Tail apporte un vent de fraîcheur bienvenue. Son gameplay rapide à prendre en main et adapté à la manette le rend accessible au plus grand nombre sans toutefois délaisser les habitués des STR, qui y trouveront là une expérience différente de ce qu'ils connaissent mais assez subtile et bien rodée pour satisfaire leurs envies de compétition, à moins d'être allergique au pixel art. Pocketwatch Games réussit à livrer une copie complète présentant un mode solo suffisamment long et jamais lassant, mais déroulant un scénario quelconque sauvé par une ambiance et un univers révolutionnaire originale et réussie, notamment grâce aux compositions d'Austin Wintory. Le tout sert de prétexte pour découvrir non sans difficulté les différentes mécaniques de jeu et se préparer aux affrontements entre humains, aussi bien en ligne qu'en local. Que demander de plus ?