Que se passerait-il si on donnait le pouvoir aux artistes plutôt qu’aux professionnels du jeu vidéo ? Blue Reflection vient donner des éléments de réponse à cette situation incongrue, car l’homme fort du dernier jeu de Gust n’est autre que Mel Kishida, le génial illustrateur des Atelier version Arland. L’homme peut-il conduire Gust une nouvelle fois vers la voie du succès?
Test réalisé à partir d'une version japonaise, sur une partie complétée de 35 heures de jeu.
Hinako est une jeune fille brisée : son rêve de devenir ballerine professionnelle s’envole lorsqu’elle se fait une blessure irrémédiable à la cheville. Errant tel un fantôme dans son nouveau lycée, elle est par conséquent prise de court quand elle s’aperçoit qu’elle a le pouvoir de rentrer dans l’esprit de ses camarades afin de résoudre leurs angoisses. Hinako est une Reflector, terminologie un rien sophistiquée, voire sophistique pour ce qui est ni plus ni moins qu'une magical girl : elle se transforme et revêt une robe pleine de frou-frou, avec bien sûr certaines capacités à la clé.
You can not Redo
Entraînée par ses comparses Reflectors Yuzu et Raimu, Hinako va poursuivre dans cette voie et pour cause, car son vœu le plus cher sera réalisé à l’issue de la confrontation contre les genshu, entités démoniaques en guerre contre l’humanité depuis toujours. L'idée de reprendre la compétition hante la jeune fille qui y voit là l'ultime chance de revenir à sa passion. La recontre avec son ancienne rivale Sarasa ne fait que renforcer sa détermination : la frustration de ne jamais pouvoir reprendre le ballet qui s'est emparé d'elle ne fait que grandir. Le quotidien de notre héroïne va alors consister à vadrouiller dans l’école en quête d’autres filles à "guérir" psychologiquement.
À cet effet, les trois héroïnes sont transportées dans le Comon, monde spirituel formé par l’inconscient collectif, un peu comme le mementos de Persona 5. Là, le jeu vous demandera de vaincre 1, 2, 3 ou 4 ennemis du même type, ou de récupérer des fragments ici et là sur des cartes plutôt étroites, pour ne pas dire minuscules. Ca ne va hélas pas plus loin que ça : toutes les quêtes sont pareilles et à aucun moment le jeu ne viendra varier les plaisirs pour tout ce qui concerne le Comon, qui représente quand même l'immense majorité des séquences de gameplay. Les quêtes manquent donc cruellement d'inventivité et peuvent ennuyer assez vite.
Blue Reflection est un JRPG au tour par tour, avec une timeline sur laquelle l’ordre d’action des personnages et des monstres évolue en temps réel, un peu comme dans Child of Light en fait. Les combats ont trois paramètres principaux : HP, MP et Ether. Si les deux premiers sont bien connus, l’Ether est la grande particularité de Blue Reflection car il est source de tout un tas d’avantages. Par exemple, l’Overdrive permet à une des trois filles de lancer plusieurs techniques ou sorts dans le même tour, en échange d’une bonne quantité d’Ether : c’est l’atout rêvé pour se soigner tout en continuant à attaquer.
En faisant de petites quêtes secondaires, vous allez pouvoir récupérer des fragments. Ceux-ci peuvent être équipés sur une capacité pour en maximiser les effets : renforcer les soins, absorber des HP/MP ou décupler la puissance d’attaque quand le niveau d’Ether atteint un certain seuil (50, 40 ou 30%). Autre utilisation importante, certaines capacités peuvent retarder l'icône des ennemis sur la timeline, levier stratégique intéressant et au demeurant bien exploité dans Blue Reflection. Les fragments fonctionnent comme les capacités passives des Atelier du même développeur, et permettent de constituer une stratégie globale assez poussée, bien que nettement moins complexe que dans l’autre série de Gust.
Mais l’innovation la plus intéressante de Blue Reflection est sans conteste l’Active Command. Entre les tours, vous aurez à chaque fois 1 ou 2 secondes pour appuyer sur la croix de direction, les différents sens entraînants divers effets. En restant appuyé, vous aller booster la défense, la vitesse ou soigner vos personnages mais en contrepartie, votre niveau d’Ether descend en flèche ! La gestion de l’Ether est donc primordiale et il faudra souvent garder une des filles en défense pour faire monter celui-ci. Etant donné sa rapidité, ce système embarque un bon dynamisme et s’intègre remarquablement bien aux combats de boss en particulier.
You are not alone
Comme un Persona, Blue Reflection contient un grand nombre de personnages secondaires non jouables, et comme dans Persona, Hinako pourra les inviter à papoter ou à sortir en ville. Toutes ont un niveau d’amitié à faire grimper qui dépend assez grandement des réponses que vous donnez, donc il y a un petit côté dating sim qui étoffe un peu le contenu annexe. Le souci est que contrairement à Persona, les filles du lycée ici n’ont pas toutes un grand charisme, ni une histoire personnelle fouillée ou originale. Les dialogues sont également assez banals en règle générale. La seule exception fut Yuri : dotée d’un QI hors normes et d’un syndrome rare, c’est de loin le personnage le plus amusant et l’histoire secondaire la plus touchante. Plus, et c'est là que le bât blesse, que le scénario principal étonnamment exempt de rebondissements majeurs, et assez prévisible qui plus est.
On se rappellera à peine des autres tant les personnalités manquent de relief, et la très grande rareté des doublages n’a pas aidé. La jeu est quasiment muet, c’est fatiguant et cela invite encore une fois là à l’ennui. La partie "dialogues" constituant un des principaux attraits dans ce genre de jeu, des doublages plus complets sont impératifs pour se plonger dedans. Dans ce cas précis, le manque d'investissement de la part de l'éditeur est en faute.
Le bon point de ce jeu par rapport à Persona est que les alliées sont présentes lors des combats de boss. On pourra faire appel à elles relativement souvent et elles apparaissent avec une petite animation rigolote et des effets sur l’équipe formidablement utiles. Les copines peuvent attaquer, soigner, réanimer, augmenter l’attaque et surtout vous rajouter de l’Ether! De plus, elles sont affectées par la progression de l’affrontement : elles peuvent prendre peur et fuir si le combat tourne mal, et revenir comme si de rien n’était quand vous reprenez la main. On est assez ravi, pour le coup, d’avoir une vraie intégration des personnages secondaires dans le gameplay.
You can not advance
Les boss justement, parlons-en. C’est la plus grande réussite de Blue Reflection car ces combats sont super bien réalisés. Aux étapes importantes de l’histoire, d'imposants genshu s’avanceront irremédiablement vers l’école afin de la rayer de la carte, tels les shito d’Evangelion. La créature avance concrètement durant le combat, et si elle atteint votre ligne de défense, c’est perdu. Et à mesure que la menace se rapproche, la musique change, l’expression des personnages aussi. C’est de la très bonne mise en scène, et tout particulièrement dans les cinématiques juste après dans lesquelles Hinako donne le coup de grâce au cours d’une petite scène digne des plus grands shows magical girl. Des moments très cools visuellement mais qui n’amènent hélas pas l’avancée narrative espérée.
Ces combats sont plutôt longs, complexes aussi car le boss a plusieurs parties qui se régènerent : il faut bien veiller à les détruire régulièrement car elles attaquent elles aussi ! Malgré cette réussite, les combats restent assez simples, à l’image du jeu. Même le mode difficile ne résiste pas vraiment au joueur expérimenté qui aura maîtrisé le fonctionnement des fragments et de l’Active Command. Blue Reflection est finalement une expérience assez légère au niveau du gameplay : pas de game over (hormis les boss), expérience glanée par la validation des quêtes et non par les combats, et des affrontements dans le Comon vite fastidieux.
Blue Reflection est donc, malgré les atouts de son système de jeu, une expérience avant tout visuelle et le moteur de jeu a été fait pour ça. C’est incroyablement beau, tellement que Blue Reflection fait un peu figure de passage de témoin de la PlayStation 3 à la PlayStation 4 non seulement pour Gust, mais également pour tous les studios de même taille au Japon qui doivent maintenant s’aligner techniquement. L’univers n’est peut-être pas très grand, mais la modélisation fait vraiment honneur aux designs de Mel Kishida, et en combat c’est juste éblouissant. Les ombres, la luminosité, les reflets, les textures… tout constitue un record pour un studio de cette taille. Vu son avance, l'exploit technique de Gust risque d'impressionner longtemps. Et il n’y a pas que ça car tout, du simple menu au plus petit détail des immenses boss, a été l'objet d'une conception minutieuse, originale, et qui donne un sentiment de grande classe. Ca a été supervisé par un pro et ça se voit.
Cela avait été suggéré lors du teasing du jeu et donc on ne sera qu'à moitié surpris à ce niveau-là, mais Blue Reflection ne cache pas son côté fétichiste. Le soin apporté à la réalisation sert aussi à ça, à savoir admirer les filles au corps superbement modélisé sous des angles et avec des costumes suggestifs. Il est amusant de constater que le choix « faire des étirements » le soir chez Hinako débouche avec 100% de probabilité sur une scène de piscine! Et des scènes dans le même genre, il y en a beaucoup : les douches, les vestiaires, les vêtements trempés sous la pluie, etc. Lors de la sortie japonaise, le costume "maillot de bain" était carrément offert en bonus de pré-commande pour tous les personnages ! Très clairement Blue Reflection vend son fan service et il le fait plutôt bien.
Blue Reflection : Trailer combat
Points forts
- Vraie révolution technique pour Gust
- Design sans faille
- Bon système de combat
- Boss joussifs
- Yuri, un excellent personnage...
Points faibles
- … mais elle paraît bien seule
- Un peu facile
- Gameplay peu varié
- Histoire sans relief
- Peu de doublages
Dans l’absolu, Blue Reflection est un RPG très moyen. Voilà ce qui arrive quand l’artiste prend le pas sur le producteur : le jeu est magnifique mais plutôt contemplatif, pas formidablement bien écrit et inégal dans son expérience de jeu. En outre, le fait que KoeiTecmo n’aie pas véritablement investi dedans n’aide pas. C’est en fait un peu comme une galerie d’art : on aimera à certains endroits, sans vraiment s’attarder sur les autres. Restent un système de jeu qui tient la route, des boss assez incroyables et quelques rares éclairs de génie dans la narration