Après avoir enchanté le milieu de l’horreur et du jumpscare en 2016 avec unLayers of Fear du plus bel effet, le studio Blooper Team nous revient cette année avec un concept bien plus mature, plus élaboré, mais aussi plus perfectible. Abandonnons donc la demeure de l’artiste fou et plongeons ensemble dans l’immeuble futuriste du très orwellien Observer…
Trailer de lancement d'Observer
Commençons par le cadre de cette épopée, un élément très important pour les œuvres du studio, habitué aux huis clos horrifiques à la mise en scène savamment orchestrée. Nous sommes ici en 2084, dans une Pologne futuriste et post-apocalyptique. Le narrateur, que l’on incarne, nous apprend que le transhumanisme, devenu très courant, fut touché par un parasite informatique, le Nanophage, qui tua des milliers d’humains augmentés. Puis, c’est la guerre qui vint ravager l’humanité à travers La Grande Décimation, un conflit qui embrasa les blocs Est et Ouest du monde.
Gestapo Simulator
De ce conflit, rien n’émergea si ce n’est une entreprise, Chiron, qui domina alors les pays restants et étendit son emprise en forgeant une nation, la Cinquième République Polonaise. Archétype capitaliste, Chiron « rend les riches encore plus riches et laisse pourrir les pauvres dans leurs taudis ». Ces derniers tentent d’ailleurs d’oublier la réalité en consommant des drogues et cachent comme ils le peuvent toute volonté de rebellion aux troupes de Chiron. C’est à cet instant que le narrateur Daniel Lazarski, en sa qualité d’Observer, intervient pour pénétrer les esprits de ses proies et traque les souvenirs et les pensées. Dans ce monde digitalisé, où chaque homme et femme et muni de puces cérébrales et de membres cybernétiques, personne n’est à l’abri d’une intrusion informatique… Pas même un Observer comme vous.
L’immeuble et ses ouailles
Sur ce pitch orwellien s’ouvre Observer et c’est l’appel de notre fiston, disparu depuis des années, qui nous amène dans un vieux bâtiment résidentiel. C’est dans cet endroit fermé que tout ou presque va se passer et nous sommes dès lors en total contrôle de notre héros, magnifiquement campé par un Rutger Hauer (Roy Batty dans Blade Runner) à la voix fatiguée et profonde. Cette performance traduit d’ailleurs à merveille l’état de lassitude dans lequel se trouve le personnage de Lazarski, fossoyeur éreinté des faibles d’esprits qui meublent ses journées de travail.
Quand les ambitions vont un peu trop loin
Dès les premières minutes, on sent bien que les développeurs de la Blooper Team sont au courant que leur précédent jeu fut acclamé pour sa science du jumpscare et sa très pertinente retranscription de la folie artistique. Cependant, il lui manquait quelque peu de liberté et de profondeur de gameplay, ce pourquoi on le taxa souvent de couloir horrifique. Pour Observer, les développeurs ont donc voulu mettre les petits plats dans les grands et proposent en plus des interactions classiques de Layers of Fear (FPA à base de « glissé-déposé »), deux systèmes de vue cybernétiques pour détecter les traces organiques et informatiques, des documents, objets et interfaces informatiques mais aussi un ordinateur de poche pour afficher les objectifs principaux, secondaires et gérer son stress. Car oui, dans Observer, votre personnage peut se retrouver en situation de stress intense et… spoiler alert… peut également mourir. Car si Layers of Fear avait l’intelligence de nous immerger dans la peau d’un schizophrène en plein délire, heureusement inoffensif ou presque, notre bon vieux Daniel Lazarski risque ici sa peau et peut se taper un Game Over des familles, qui lui fait recommencer la séquence. C’est notamment ce qui vous arrivera souvent dans certaines phases, sorte de jeu du chat et de la souris, poursuivi par des abominations qui protègent l’esprit des gens que l’on tente d’interroger. C’est d’ailleurs durant ces phases que la magie du titre n’opère parfois plus du tout et laisse place à l’agacement…
Un enquêteur très branché
La médiocrité totale du titre de paragraphe devrait désormais nous assurer une certaine intimité et c’est tant mieux car nous allons aborder le cœur du jeu, à savoir la fracture toute relative entre le monde réel et les phases « hallucinées ». Souvenez-vous, votre boulot dans cette barre d’immeuble, c’est de faire la lumière sur cet appel mystérieux de votre fiston, lequel vous mènera très vite à une série de meurtres étranges dont nous ne dirons rien pour conserver le mystère. C’est donc à travers plusieurs « interrogatoires » et analyses de scènes de crime que vous passerez dans une toute autre ambiance.
Car si l’immeuble est assez calme et vous propose de sillonner les couloirs, escaliers et sous-sols en posant des questions aux résidents (bien trop souvent à travers leur porte), l’intérieur de l’esprit des gens vous réservera en revanche pas mal de surprises. En tentant de hacker leur conscience, vous vous heurterez à des flashbacks, à des mécanismes de sécurité cérébraux, à des puzzles et autres phases horrifiques qui viendront vous mettre mal à l’aise et prendrons la relève des très maitrisées phases de délires psychotique de Layers of Fear. Seulement voilà, ces phases sont souvent trop longues et perdent parfois en efficacité.
La recette de Layers of Fear fonctionnait parfaitement parce que l’on doutait constamment de la réalité qui nous entoure : l’alternance entre le réel et le délire était la clé de voute de la surprise et, malheureusement, cet élément fait quelque peu défaut à Observer dans la mesure où l’on devine trop souvent lorsque nous sommes dans le vrai et lorsque nous sommes face à des mécaniques de défense. Alors oui, les développeurs prévoient à cet égard bien des astuces pour le joueur, mais cela n’enlève pas le fait qu’une fois que nous y sommes, nous sommes préparés à tout, et les sursauts sont bien trop réguliers pour laisser à l’esprit le temps d’être à nouveau surpris. Et si certaines phases mêlent toujours aussi bien le malaise, le dégoût et la peur, d’autres deviendront tout simplement laborieuses par un trop-plein de jumpscares ou par des phases de poursuite pas vraiment pensées pour le gameplay FPA du titre et qui viennent, par leurs Game Over, dénaturer l’expérience.
Le fantasme des ambitions, la réalité du jeu
Ce polar-cyberpunk amène donc avec lui une palanquée d’ajouts de gameplay qui viennent un peu trop surcharger la jouabilité : les différentes « visions » nous font souvent retourner chaque pièce trois fois afin de voir LE truc que l’on a raté, les dialogues à choix multiples sont bien doublés mais s’avèrent finalement assez mous et manquent quelque peu d’intérêt, bref : là où il souhaite innover, Observer trahit un manque de maîtrise ce qui est dommage sur un jeu où elle est essentielle pour conserver l’émerveillement du joueur et son immersion. Comprenons-nous bien, cela ne fait absolument pas d’Observer un jeu raté : il s’agit même là d’un bon titre. Il est juste bien plus long d’expliquer pourquoi quelque chose est décevant que de dire que tout est réussi. Par trop d’émancipation, la Blooper Team perd donc ici son expertise du « couloir à jumpscare » qu’elle avait si bien illustré dans Layers of Fear. Observer tente de faire plus, de faire mieux et, grâce à son ambiance cyberpunk totalement hallucinée, réussit à honorer les écrits de Gibson et d’Orwell tout en transportant le joueur dans un monde dégueulasse et inhospitalier en tant que traqueur de souvenir sur la piste d’un monstre qui aura toujours un coup d’avance sur nous. Il réussit également à nous faire chérir l’accalmie de courte durée qui laissera place à une nouvelle séquence d’horreur psychologique. En somme, quelques erreurs de game design disséminées çà et là, heureusement rattrapées par l’originalité du concept, une superbe D.A. et le talent des équipes.
Notre Gaming Live d'Observer
Points forts
- D.A. somptueuse
- Le génie de certaines phases de délire
- La voix de Roy Batty en héros !
- Des jumpscares à gogo
- Chouette intrigue et plusieurs fins
Points faibles
- Certaines phases vraiment laborieuses…
- Plus dispersé et donc moins maîtrisé qu’un Layers of Fear
- Des nouveautés pas vraiment bien intégrées (dialogues longs qui manquent d’intérêt, phases de fuite mal pensées, multi-vue parfois laborieuse)
A la fois polar sci-fi aux ramifications complexes, mise en garde contre les dérives de l’intelligence artificielle, du transhumanisme et de l’hyper-sécurité, Observer offre pendant près de 8 heures une plongée glauque et franchement crade dans un monde que l’on espère ne jamais voir devenir réalité. Digne héritier de Layers of Fear au niveau de la mise en scène de ses jumpscare, bel exemple d’audace en ce qui concerne le renouvellement du gameplay (même si tout est loin d’être parfait), Observer enchante par son ambiance, sa D.A. et par la voix profonde de son héros, joué par l’acteur qui campait jadis l’androïde blond platine de Blade Runner.