Après avoir marqué de nombreux joueurs grâce à leurs deux précédentes livraisons, les très populaires Bastion et Transistor, les petits gars de Supergiant Games ont à nouveau mis à contribution leur griffe immédiatement identifiable et nous livrent Pyre, assez éloigné des créations passées du studio, mais certainement pas moins qualitatif.
Avant même d'aller plus loin, il convient de préciser que Pyre est avant tout une aventure textuelle, qui demandera au joueur de lire de très nombreuses lignes de dialogue. Ainsi, ne soyez pas désarçonné d'évoluer dans un registre bien différent de ce à quoi Supergiant nous avait habitués. Si la lecture n'est pas votre fort et que les visual novel vous rebutent, vous passerez immanquablement à côté de ce qui fait tout le sel du jeu à savoir son univers, ses personnages et leur personnalité.
Une direction artistique de choix au service d'une belle histoire
Cette précision étant évacuée, sachez que dès les premiers instants de Pyre, l'immersion est totale. Qu'il s'agisse des superbes décors faits main, du chara-design ou de la bande-son proprement enivrante du jeu, tout donne l'envie de se perdre dans cet univers original et envoûtant. Chaque tableau traversé profite de son propre code de couleur, de son propre univers, et chaque découverte est source d'émerveillement et de dépaysement. Le souci du détail transpire d'un bout à l'autre de l'aventure et traverser les quelques 12 heures de jeu est un vrai régal pour les yeux et les oreilles.
Toutefois, un bel environnement, s'il n'est pas assorti d'un background solide, a vite fait de tourner à la coquille vide. Pour éviter cela, Supergiant Games a réalisé un travail d'écriture exemplaire pour donner de l'épaisseur à son univers. Dans Pyre, vous incarnez le Lecteur, personnage qui n'apparaîtra jamais à l'écran et qui s'éveille dans les Bas-Fond, sorte de purgatoire réservé aux dissidents du Commonwealth, monde ayant viré à la dictature, où la lecture est interdite et les livres brûlés en masse. La possession d'un livre constitue donc l'un des crimes les plus graves dans le Commonwealth, peu désireux d'être peuplé d'intellectuels susceptibles de véhiculer des pensées dissidentes. Si, sur le papier, il est presque impossible de s'extirper des bas-fonds, les exilés étant condamnés à y finir leurs jours, votre arrivée dans ces lieux changera la donne.
Pris en charge par un groupe de 3 exilés, vous vous découvrez des talents de lecteur et devenez rapidement le partenaire indispensable des renégats vous accompagnant, puisque vous êtes le seul à pouvoir les guider à travers les Rites, qui voient s'affronter les différentes factions d'exilés et dont le vainqueur peut de regagner le Commonwealth. Le pitch de base, plutôt intriguant, sait se développer au fil du temps et des rencontres, et si nous nous garderons bien de spoiler les rebondissements qui surviennent et changent le cours de l'aventure– notamment à mi-parcours – sachez qu'un soin tout particulier a été apporté à l'écriture. Les nombreux personnages avec lesquels vous pourrez interagir, qu'il s'agisse de vos compagnons d'infortune ou d'autres exilés, ont chacun une personnalité propre, et ont tous une histoire riche et intéressante à raconter, notamment à propos des raisons les ayant conduits dans le purgatoire. Chacun a ses motivations pour regagner le Commonwealth, et tous ont une identité très marquée favorisant l'attachement du joueurs à ses compagnons.
Entre deux accomplissements de rites, dont nous expliquerons le déroulement plus bas, vous aurez de nombreuses opportunités de vous arrêter un instant pour dialoguer avec vos partenaires, qui seront assez loquaces et aussi prompts à vous poser des questions dont la réponse que vous choisirez pourra directement impacter leur moral. Dans cette grande aventure, les multiples interactions créeront un lien affectif fort avec les membres de votre groupe. Les évolutions du scénario vous conduiront d'ailleurs à faire certains choix drastiques, qui – en substance – impliqueront de choisir de quel membre vous souhaitez vous séparer en l'aidant à regagner le Commonwealth. Agirez-vous égoïstement en gardant près de vous un membre de votre équipe que vous aimez particulièrement, ou serez-vous grand seigneur en le laissant regagner le monde du dessus ? Il n'appartient qu'à vous d'en décider, même si certains choix, en fonction des interactions et des affinités développées avec les exilés, seront plus faciles que d'autres.
Si les conversation et la découverte de l'univers de Pyre constituent les deux mamelles principales du jeu, il ne faut pas négliger le déroulement de ces fameux Rites, conditionnant votre retour au Commonwealth. Si leur place est centrale dans l'intrigue, dans les faits, c'est un peu moins le cas, ce qui posera sans doute problème aux joueurs habitués au rythme de Bastion et Transistor.
Un gameplay fun et nerveux, mais relégué au second plan
Au début d'un Rite, opposant systématiquement deux équipes de 3 exilés, chaque groupe dispose d'une flamme dans son camp, dont la vigueur est déterminée par un compteur de 100 points. Un orbe est alors propulsé au milieu du terrain, et il faudra pour les joueurs s'en saisir pour l'amener dans la flamme adverse afin d'en grignoter les points jusqu'à bien entendu les amener à 0. Avant d'engager les hostilités, il est possible de choisir lesquels de vos compagnons vous désirez voir aller au front. C'est là la première phase stratégique, puisque tous les exilés ne jouissent pas des même compétences. Certains seront très rapides, mais n'infligeront que peu de dégâts à la flamme adverse en y portant l'orbe, d'autres, quant à eux, auront des déplacements plus simiesques mais auront la possibilité de voler sur une courte distance. Il faudra donc porter une attention toute particulière à la composition de votre groupe, et privilégier par exemple un roster axé sur la vitesse face à des adversaires puissants, mais lents.
Une capacité, commune à tous les membres du Rites en revanche, est également déterminante dans le déroulement des parties. D'une simple pression de touche, chaque exilé peut projeter devant lui une zone sombre qui aura pour effet de bannir tous les joueurs qui s'y trouvent. Ce bannissement implique que l'un de vos héros ne pourra pas réapparaître pendant une courte période de temps, laissant ainsi à l'adversaire l'avantage du nombre. Et en dépit du fait que globalement, il n'est clairement pas compliqué de réussir un rite, même dans les modes de difficulté élevés, voir son groupe amputé d'un ou deux membres pourrait bien faire peser lourdement la balance en faveur de l'adversaire. Le bannissement n'est d'ailleurs pas uniquement provoqué par l'activation d'un sort, chaque exilé ayant autour de lui une aura dans laquelle il est impossible de pénétrer sans passer l'arme à gauche. Cette aura est en revanche éteinte sur le porteur de balle, également délesté de toutes ses capacités offensives, et devra donc tenter d'esquiver au mieux celles des opposants.
Malgré la relative facilité des affrontements, il existe une certaine tension au cours des rites, principalement liée au fait que vous ne pouvez contrôler qu'un personnage à la fois, les deux autres restant totalement statiques avant que vous n'en preniez les commandes. Ainsi, si vous choisissez par exemple de passer l'orbe à un camarade en retrait, le porteur initial restera à l'endroit où la passe a été effectuée, totalement démuni face aux pouvoirs de bannissement adverse. Il est donc nécessaire de ne pas négliger le positionnement et votre progression sur la zone de jeu, qui change parfois en fonction des adversaires ou du déroulement du rite.
Malheureusement, dans les faits, les rites représentent davantage une formalité qu'un challenge, et une fois les mécaniques bien prises en mains, le conflit est résolu en à peine 2 ou 3 minutes. Si l'ensemble s'avère fort agréable et nerveux à l'usage, et que plonger dans la flamme adverse in extremis est souvent grisant, le cruel manque de challenge ne permet pas aux rites de prendre toute l'épaisseur que le scénario leur donne. Il n'est donc pas délicat de faire gagner de l'expérience à vos personnages, pouvant monter jusqu'à un timide niveau 5 et s'étoffer de compétences via un arbre de talent un peu rachitique, essentiellement axé sur le boost de capacités existantes par défaut. Il est également possible d'équiper l'équipe de talismans dont on pourra booster les bienfaits, grâce à un marchand itinérant que vous croiserez régulièrement, ou suite à une petite session d'exploration.
Si la victoire n'est pas forcément compliquée à obtenir, la défaite, elle n'est pas pour autant synonyme de game over. D'une manière assez élégante, Supergiant Games a choisi de ne pas briser le rythme et de renforcer l'implication du joueur en le laissant assumer pleinement les erreurs l'ayant conduit à échouer lors d'un Rite. Toutefois, rien de bien déprimant dans ce monde ou même de l'échec peut naître une conclusion positive.
Ainsi, même si les portions de jeu effectif sont assez expéditives, et qu'effectivement, la plus grosse partie de votre session de jeu sera constituée de menues explorations et de dialogues avec la multitude de protagonistes qui arpentent les bas fonds, Pyre parvient sans aucune peine à happer le joueur pour ne plus le lâcher jusqu'à la fin de sa narration. Un très beau jeu vidéo, qui pour l'heure n'a malheureusement pas profité d'une traduction française et ne se réserve donc qu'aux personnes ayant un niveau d'anglais correct.
Trailer de lancement de Pyre
Points forts
- Univers riche et fouillé
- Visuellement superbe
- Bande originale impeccable
- Les relations fortes avec les autres personnages
- Grand soin apporté à l'écriture
- Durée de vie solide (entre 10 et 15 heures)
- Les rites, souvent grisants
Points faibles
- Les rites, souvent trop faciles et expédititfs
- Niveau d'anglais correct exigé
- Peut-être quelques longueurs en fin de parcours
Bien éloigné de Bastion et Transistor, Pyre est un jeu qui aime prend son temps et qui s'appuie davantage sur ses dialogues que sur ses phases d'affrontement, certes nerveuses et fun, mais un rien trop faciles et expéditives. Toutefois, si la lecture ne vous fait pas peur, n'hésitez pas à vous procurer Pyre, qui sait brosser à grand coup de génie artistique, de bande originale enivrante et d'écriture soignée un univers dans lequel on ne demande qu'à se perdre. On ne peut que s'incliner devant le travail d'orfèvres réalisé par Supergiant Games, qui transpire par tous les pores d'un amour inconditionnel de la chose bien faite.