Il y a vingt-deux ans de cela, l’excellent Tim Schafer et son équipe de joyeux drilles, acclamés deux ans plus tôt pour Day of the Tentacle, nous revenaient avec Full Throttle : un jeu d’aventure plus cinématographique et moins casse-tête qu’à l’accoutumée. Le contexte a voulu que la presse ne l’envoie pas immédiatement au panthéon ; qu’importe, les joueurs se souviennent encore de cette petite pépite si particulière. Le studio Double Fine nous aide à nous rafraîchir la mémoire et met les mains dans le cambouis pour restaurer cette belle bécane.
BACK IN BLACK
Full Throttle, c’est une ode à la liberté, au plaisir simple de s’envoyer une mousse au bar du coin avec la bande des Putois, avant de tracer à nouveau la route sur une grosse cylindrée. Notre héros, Ben, répond à ce mode de vie. Sa maison, c’est sa moto ; le gasoil, son compagnon de route. Des comme lui, il y en a de moins en moins. Il existe bien encore le gang des Pourraves, les Charognards ou encore ces foutus Caverneux, et une bonne baston à coups de chaîne de distribution n’est jamais loin. Mais il faut bien l’avouer, l’espèce est en voie de disparition. Le progrès est en marche, ou plutôt en vol, les aéroglisseurs prenant doucement le dessus sur les longues routes américaines. Heureusement le fabricant historique d’engins à roues, Corley Motors, continue de tourner à plein régime.
Hélas comme dirait quelqu'un de beaucoup plus avisé que moi, quelquefois c'est toi qui cogne le bar mais d'autres fois, c'est le bar qui te cogne. C’est précisément ce qui est arrivé lorsque l’affreux Ripburger, vice-président de Corley Motors, a décidé de prendre les affaires en main. Le vieux Corley aime les bécanes et les sensations fortes ; mais Rip, lui, n’a que les actionnaires en tête et veut transformer l’entreprise pour lui faire fabriquer des… minivans. Par tous les moyens. Alors je ne vais pas entrer dans les détails et vous gâcher le plaisir ; mais sachez seulement que Ben et son petit monde ont des ennuis, et que ça risque de chauffer.
On voit bien que Tim Schafer et ses collègues ont mangé du film de biker et du Mad Max avant de développer leur jeu : celui-ci mise sur le cadrage, la mise en scène, l’atmosphère et les personnages plus que sur des puzzles retors. La comparaison avec un Monkey Island ou un Day of the Tentacle est édifiante. La fenêtre de commandes massive en bas de l’écran a disparu, au profit d’une interface épurée et efficace qui se présente lorsqu’on l’invite. L’accent est mis sur la narration, quitte à proposer des énigmes plus simples et une durée de vie moins copieuse. En 95, Full Throttle prend de court une industrie qui en plus de cela, est déjà bien repue du genre du point’n click. Mais ses grandes qualités sont là, plus vibrantes que jamais peut-être avec ce remaster. Voyons ce qu’il a dans le ventre.
UN BON COUP DE PEINTURE
Full Throttle Remastered se donne pour mission de retaper la carrosserie de ce jeu d’aventure culte, qui a subi les outrages du temps. Alors que Double Fine Productions aurait pu se contenter d’étirer le titre original en 4K, son travail s’avère bien plus sérieux et méticuleux que cela. On le remarque tout d’abord par les visuels, qui ont été entièrement redessinés, image par image. Certes, le rendu est plus lisse, plus frais et moderne ; les artistes se sont donné la peine de recadrer chaque plan pour les faire passer en format 16:9, en imaginant ce qui existe au-delà du 4:3. Toutefois, force est de constater que Full Throttle respire toujours à travers ce remaster, qui fait preuve d’un respect quasi-religieux du matériau de base.
Au niveau du son, les développeurs ne se sont pas non plus moqués de nous. D’une part les enregistrements des voix ont été retrouvés et remixés ; quel plaisir d'entendre à nouveau ces doublages exquis, mettant notamment en scène Mark Hamill, sans compression aucune. Eh oui, Full Throttle était un peu étriqué sur CD-ROM ; il étend désormais tout son potentiel en s’étalant fièrement sur plus de 5 gigas. Le constat est plus impressionnant encore au niveau de la bande originale : pour le coup les musiques d’ambiance n’ont pas seulement été retouchées, elles ont été réorchestrées. À l’instar des graphismes, les nouvelles compositions sont d’une fidélité exemplaire, et le passage du MIDI a de véritables instruments réussit à Full Throttle.
Enfin le gameplay a lui aussi eu droit à son coup de polish : la pression d’une touche permet de mettre en surbrillance les éléments importants d’une scène ; autre ajout, le menu contextuel ne nécessite plus que nous laissions le clic gauche appuyé. Mais la beauté de la chose est que nous pouvons nous passer de chacune de ces modernités, indépendamment. Il est possible de modeler son expérience à la carte, par exemple en choisissant les graphismes originaux (qui gardent un charme fou) tout en profitant du son remasterisé et des commandes modernisées. Il suffit d’indiquer nos choix dans les menus du jeu ; de plus durant notre partie, une simple pression de la touche F1 permet de passer du titre de 95 à son remaster, et d’apprécier le boulot de Double Fine.
En parlant de menus, ceux-ci nous réservent quelques surprises supplémentaires. Histoire de nous en donner encore plus pour notre argent, les développeurs ont inclus divers bonus tels que de nombreux concept arts signés Peter Chan, qui nous font découvrir l’envers du décor. Dans le même ordre d’idée, on constate également un jukebox qui permet d’écouter à tête reposée la somptueuse bande originale, en hi-fi comme en lo-fi. Enfin, un commentaire audio qui peut nous accompagner tout au long de notre aventure et nous révéler des informations aussi drôles qu’intéressantes. À la fois proche de ses racines et plus fringuant que jamais, tout en embarquant quelques extras au passage, Full Throttle Remastered semble être un indispensable aussi bien pour les aficionados que pour les novices.
VIEUX MOTARD QUE JAMAIS
Il faut quand même bien rappeler que la bête a quelques kilomètres dans les pattes. Malgré sa carcasse retapée et ses rustines, Full Throttle demeure un titre qui montrait quelques faiblesses, lesquelles ressortent d’autant plus aujourd’hui. Si le studio Double Fine a largement rehaussé l’habillage de son titre, avec respect et souci du détail, des mécaniques quelque peu rouillées subsistent : tout spécialement la scène de conduite sur la route de la mine, ou encore celle du demolition derby. Des passages qui hérissent toujours autant les poils mais restent assez anecdotiques, avouons-le. Il faut également savoir que l’on a vu plus long comme point’n click, bien que son format particulier l’exige et qu’il occupera tout de même les nouveaux venus six bonnes heures. Non, vraiment, même en cherchant la petite bête, on aurait du mal à déconseiller ce titre ; surtout vu son petit prix : 14,99 euros.
Points forts
- Un point’n click dynamique et accessible…
- Trame scénaristique singulière et cinématographique ; tantôt drôle, tantôt dramatique
- Personnages mémorables et doublés avec talent
- Direction artistique et musicale au poil
- Un remaster irréprochable, pas fainéant et qui n’impose rien aux puristes
- Prix tout à fait adapté
Points faibles
- … aux énigmes trop simplistes pour certains
- Quelques scènes auraient mérité un petit coup d’huile
Full Throttle Remastered passe le contrôle technique avec succès. Certes, ses développeurs sortent de chez LucasArts, mais ils ne nous proposent pas un remake bizarre qui remplace les armes par des talkie-walkies. Non, les tronçonneuses sont toujours de la partie. Tout comme l’humour particulier, l’action, les protagonistes, la direction artistique et les musiques enjouées qui font le charme de ce jeu d’aventure pas comme les autres. Cette nouvelle édition, complète et respectueuse, est le meilleur hommage qui soit et convient aussi bien aux profanes qu’aux connaisseurs ; chacun pourra embarquer pour un voyage décoiffant, agrémenté de quelques extras et commentaires de développeurs. Une virée à faire une fois dans sa vie.